Par ce temps de rĂ©volution, les meneurs sont-ils des hommes du peuple?   
05/12/2011

Certains mauritaniens semblent aujourd’hui ne plus jurer que par la révolution. Ce fait, rétorquent-ils, est consécutif au niveau de déliquescence et d’usure du pouvoir, d’une part, et la dégradation des conditions de vie des citoyens, d’autre part. Sans rentrer dans la polémique, je dis que nul ne...



...peut ignorer la crise dans laquelle se débat aujourd’hui le pays.

 Mais l’attribuer au seul pouvoir alors que mĂŞme s’il nous est arrivĂ©, dans notre rejet du coup d’Etat, de nous inscrire en faux avec lui en le dĂ©nonçant et l’incriminant, nous avons aussi acceptĂ© Ă  raison ou Ă  tort de le reconnaĂ®tre comme partenaire dans la gestion des affaires publiques de l’Etat en signant l’accord cadre de Dakar. Prenant comme toujours « (la mauvaise) habitude de considĂ©rer (nos) rĂŞves de pouvoir pour la rĂ©alitĂ© Â» nous avons acceptĂ© de nous engager dans une Ă©lection que tout le monde savait perdue d’avance. En plus quel est le parti de l’opposition qui n’a pas fini par reconnaĂ®tre Mohamed Ould Abdel Aziz ? Rien ne nous y obligeait mais nous l’avons fait. Alors il nous revient, au nom de la logique, le devoir d’être cohĂ©rent et d’assumer nos dĂ©cisions, fussent-elles dĂ©cevantes.

S’agissant maintenant de la rĂ©volution et de sa magnificence, au-delĂ  du fait que cela constitue une reconnaissance de fait que nous en sommes arrivĂ©s Ă  un point de non-retour, c’est aussi un appel sans dĂ©tour Ă  la confrontation et donc Ă  la violence. Le va-t-en-guerre lisible en filigrane dans les dĂ©clarations, dans les communiquĂ©s et les interviews qui ne manquent de rien que de l’essentiel : savoir poser les problèmes avec rĂ©alisme et sang froid, loin de la surenchère et la dĂ©magogie. On y va sans gants ni pincettes. Pas de pragmatisme. Pas de praxis. A ce fait s’ajoutent les insinuations insidieuses tout comme les manĹ“uvres populistes et machiavĂ©liques d’instrumentalisation des souffrances humaines ; des courbettes, par-ci, des clins d’œil, par-lĂ . Tous les prĂ©textes sont bons pour s’arrimer sur l’orbite des organisations des droits de l’homme dont pourtant les responsables n’échappent pas Ă  la vindicte et la diffamation des idĂ©ologues de la rĂ©volution qui les accusent dans leurs rĂ©unions de racistes, d’extrĂ©mistes et de divisionnistes.

Que l’appel à la révolution soit spontané, c’est logique. Que la révolution soit conçue par le peuple et pour le peuple, c’est concevable. Qu’elle exprime les revendications sincères des masses populaires écrasées, les victimes de l’injustice et des dénis de droits, c’est permis et même légitime. Car nul n’a le doit de mépriser le peuple ni s’opposer à sa volonté. Aucune voix n’est au-dessus de celle du peuple. Mais pourvu que ce soit lui, le peuple et non des instigateurs de révoltes, ces thuriféraires de la sclérose exactement, les mêmes qui chantaient naguère les privilèges de la race, le droit de naissance et qui rivalisaient de plaidoyers pour nier l’existence de l’esclavage ou le rebaptiser séquelles selon le jargon des partisans du marxisme aplati. Ceci est d’autant plus absurde que les partis politiques s’érigent en officine de fabrication de rhétorique de diversion et de calomnie se dérobant ainsi à leur mission originelle comme cadre de promotion et d’ancrage des valeurs de dialogue, de tolérance et de paix.

D’oĂą que cela puisse venir, ces agissements dĂ©notent un aveu d’échec cinglant et un sentiment de dĂ©chĂ©ance politique sans prĂ©cĂ©dent. Cela exprime-il l’état d’esprit d’une partie de la classe politique qui serait aujourd’hui aux prises avec le doute et Ă  l’usure faute de pouvoir se faire comprendre ? Je souhaite que non ! Car nos partis savent, Ă  ce que je sache, que c’est l’opposition qui a eu le mĂ©rite d’avoir mis le pays sur l’orbite de la dĂ©mocratie contre la volontĂ© du pouvoir de l’époque et c’est Ă  elle que reviendrait aussi le devoir d’en dĂ©fendre les nombreux acquis dont les gestions pluralistes communales, la polyphonie des voix sous l’hĂ©micycle du parlement…, n’en dĂ©plaise aux sceptiques.
Par ailleurs, la dĂ©mocratie comme un processus tire ses lettres de noblesse de sa longĂ©vitĂ©. Mais c’est un fleuve dont les eaux se renouvellent ; une somme d’expĂ©rience dont les acteurs se doivent de s’adapter aux conjonctures. C’est dire que sa pratique requiert l’usage d’approches rationnelles libĂ©rĂ©es des stĂ©rĂ©otypes et de schèmes pensĂ©es aux relents pervers.

A ce niveau d’analyse, on se doit d’avouer que s’il devait avoir en Mauritanie une révolution, et il devait effectivement y en avoir, l’arrestation attentatoire et rébarbative en 1980 des leaders d’El Hor, dont le seul crime fut d’avoir exigé que fin soit mise à l’esclavage fallacieusement légitimée au nom de Dieu aurait du en constituer une raison évidente. Cependant cela n’émut que peu ou prou au point que bon nombre d’avocats de la défense ne prirent par au procès. Tel fut le cas du sénateur Yahya Ould Abdel Ghahar et acabit. Plus arrogant fut l’avocat Ould Lehbib qui refusa la défense des abolitionnistes en se targuant d’être maître d’esclaves et pactisant avec la féodalité qui les accusait d’apostasie les militants antiesclavagistes. On n’a pas vu nos prêtres improvisés dont la liturgie rime à tout vent avec révolution. Il n’y avait ni les gauchistes du MND et leurs frères siamois, ni les libéraux et leur gourou chef général de tribu. Tous semblaient tirer leur épingle du jeu.

S’il devait y avoir une rĂ©volution, et il devait y en avoir, pourquoi pas quand une kyrielle aux idĂ©ologies meurtrières, sectaires et sĂ©paratistes a pris en otage la Mauritanie et instaurĂ©e Ă  feu et Ă  fer une Ă©cole bicĂ©phale ; une vĂ©ritable machine-rhinocĂ©ros ayant produit deux types de citoyen qui ne se parlaient pas. Pas parce qu’ils ne voulaient pas mais parce qu’ils ne se comprenaient pas. Cette bĂŞtise humaine fut commise au nez et barbes de nos penseurs improvisĂ©s dont le silence nous tua. On nous conçut contre notre volontĂ© et on nous enfanta au grĂ© d’une naissance cĂ©sarienne pour rĂ©pondre au caprice d’un roi fou rĂ©solu Ă  refuser le Sud et le Nord le refuse.
S’il devait y avoir une rĂ©volution, et il devait y en avoir portant, le moment idĂ©al aurait Ă©tĂ© ce moment oĂą l’incarnation du système dominant arrĂŞta l’éminent historien Tène Youssouf Guèye et ses camarades dont le seul tort Ă©tait d’avoir criĂ© qu’ils sont diffĂ©rent et qu’ils s’érigeaient contre l’ostracisme. Et tout le monde semblaient ravis de leur sort puis de leurs morts !
S’il devait y avoir une rĂ©volution, et il devait vraiment en avoir, c’était ce jour-lĂ  oĂą nous foulâmes au grand regret le ramadan, un des cinq principaux piliers de l’Islam sous nos pieds et nous Ă©gorgeâmes, nous violâmes, nous dĂ©portâmes, nous usurpâmes… Et que sais-je encore ! Tout cela au nom du racisme et la barbarie. Peut-on aujourd’hui le nier ?

S’il devait y avoir une rĂ©volution, et il devait y en avoir justement, ce devait ĂŞtre pendant ces annĂ©es de braise oĂą des fosses communes s’ouvrirent grandement comme les gueules hideuses de Satan et avalèrent les charniers, Ă©touffèrent l’odeur putride des corps ; ces annĂ©es oĂą des mauritaniens de souches Ă©cartelèrent, dĂ©chiquetèrent, criblèrent de bales des mauritaniens de souche, leurs frères de sang et d’armes, comme des ennemis exterminĂ©s sur le champ de guerre. Le motif, ce n’est ni plus ni moins qu’ils sont nĂ©s nègres et don diffĂ©rents…
S’il devait y avoir une révolution, et il devait en avoir, pourquoi pas à la suite de l’élection de 1992 quand on tira à bout portant sur les militants entourant Boubacar Ould Messaoud et ses amis devant le siège de l’UFD, à Nouadhibou tuant quatre négro-africain. C’est l’élection au cours de laquelle disparut le wali de Nouadhibou. Jamais on ne reparla des opposants massacrés, ni du wali éploré. 15 jours après ce drame, on libéra Boubacar tandis qu’Ould Taya recevait Oulde Babah à la présidence de la République comme si rien n’était.

S’il devait y avoir de rĂ©volution, et il devait en avoir en son temps, c’était quand les gĂ©nĂ©raux et parlementaires de la fronde se sont liguĂ©s prenant en otage la lĂ©galitĂ© constitutionnelle et la Mauritanie toute entière ; quand les lĂ©galistes ont investi la rue s’opposant Ă  l’usurpation du pouvoir par la force et le mĂ©pris de la volontĂ© du peuple.
S’il devait y avoir une rĂ©volution, et il devait y en avoir, pourquoi pas en 2009, c’était quand, ensemble, les partis du FNDD ont dĂ©cidĂ© de porter Messaoud Ould BoulkheĂŻr Ă  l’élection prĂ©sidentielle, chose Ă  laquelle seuls les islamistes de TAWASSOUL avaient dĂ©rogĂ©. MĂŞme leur aile communĂ©ment dite progressiste ne cachait pas son embarras quant Ă  toute Ă©ventualitĂ© de soutenir un candidat hartani, sous prĂ©texte que leurs bases ne suivraient pas ! Mais ironie du sort, ce sont certains cadres de ce mĂŞme parti qui multiplient aujourd’hui les initiatives, souvent en apartĂ© avec l’intelligentsia Hratin en tentant de l’amener Ă  prĂŞcher la rĂ©volution. L’objectif n’étant pas plus de bâtir un Etat moderne que de vouloir reproduire le scĂ©nario libyen, tunisien, marocain et Ă©gyptien. Pourquoi aller Ă  la conquĂŞte du pouvoir d’abord ? Et nos problèmes socioculturels pendants dont ils assument en grande partie une responsabilitĂ©, du fait du silence de leurs, marabouts, leurs thĂ©ologies, leurs idĂ©ologues, entre autre leur père spirituel Mohamed El Hassan Ould Daddew qui se refuse de tout commentaire sur l’esclavage en dĂ©pit des appels itĂ©ratifs de tous les abolitionnistes ?

S’il devait y avoir une rĂ©volution, et il devait y en avoir, pourquoi notre inertie face Ă  la grève de faim des antiesclavagistes (Boubacar Ould Messaoud, Biram Ould Dah Ould et Aminetou Mint El Mocta) ayant tenu en haleine, trois jours durant, l’opinion publique nationale et internationale, Ă  la suite de la rĂ©vĂ©lation, de trois cas d’esclavage avĂ©rĂ©s le mĂŞme jour ? Et la rĂ©currence des sit-in mobilisateur des populations rĂ©clamant l’application de la justice et les respects des droits pourquoi n’a-t-elle pas fait des Ă©mules ? Et si les thurifĂ©raires de la rĂ©volution sont rĂ©ellement sincères pourquoi ont-ils BoycottĂ© la commĂ©moration d’Inal organisĂ©e par le mouvement abolitionniste comme si c’était un non-Ă©vĂ©nement ? OĂą Ă©taient-ils les rĂ©voltĂ©s Ă  tout Ă  vent ? Dormaient-ils quand on rĂ©primait dans le sang « Ne touche pas Ă  ma nationalitĂ© Â» ? Comme Ă  chaque fois en de pareille situation, nous n’avons entendu que les froufrous des feuilles de papier. Encore les dĂ©clarations. Pas une seule action forte de solidaritĂ©. 

Que de causes justifiaient l’enclenchement d’une rĂ©volution ! Mais toutes furent ignorĂ©es. D’abord, parce qu’elles Ă©taient perçues comme prĂ©judiciables Ă  la stabilitĂ©, la sĂ©curitĂ© et la pĂ©rennitĂ© du système prĂ©Ă©tabli que les uns et les autres des deux bords politiques dĂ©fendaient et dĂ©fendent toujours avec acharnement. Ensuite, parce que les valeurs comme l’abolition, l’émancipation, le retour des dĂ©portĂ©s, restaurer le droit des victimes, la rĂ©partition Ă©quitable des richesses et l’application de la discrimination positive sont Ă  leurs yeux autant de facteurs de risque et de dĂ©sĂ©quilibre. Et quand vous leur posez la question « de quel dĂ©sĂ©quilibre s’agit-il ? Â», ils vous rĂ©torquent : « Que de dĂ©sĂ©quilibres il y en a. Allez, on compte ! Le dĂ©sĂ©quilibre ethnique, le dĂ©sĂ©quilibre dĂ©mographique, le dĂ©sĂ©quilibre rĂ©gional et que sais-je encore. Â» Mais ce qu’on ne dit pas, en fait, c’est que derrière tous les dits et les non-dits rĂ©side une seule chose : la volontĂ© de prĂ©server la domination sociopolitique en vue de maintenir un système fondĂ© sur l’injustice.


Que les populations Ă©crasĂ©es, victimes de toutes les formes d’injustices imaginables aient frayĂ© leur propre route et fait leur bonhomme de chemin vers l’acquisition de la plĂ©nitude de leurs droits, aux prix de combats acharnĂ©s avec leur cortège de martyrs et de martyrisĂ©s, on crie rĂ©volution ! C’est absurde ! Car personne n’est dupe. Tout le monde comprend les raisons de telles agitations. C’est parce que, quelque part, Ă  l’Orient et au Maghreb qui nous fascinaient les peuples s’agitent, le printemps dĂ©boulonne les statues ! C’est parce que dans l’euphorie du mimĂ©tisme, nous nous Ă©tions habituĂ©s Ă  aller chercher nos idĂ©ologies meurtrières sur les rives mythiques de l’Euphrate et du Nil, et c’est pourquoi on pense, qu’aujourd’hui encore, nous allons y retourner pour « (…) apprendre l’art de gagner sans avoir raison Â».
On se trompe si l’on pense que le peuple c’est des moutons de Panurge ! Le peuple s’opposera aux rĂ©volutions les moins rĂ©flĂ©chies et les moins honorables ; celle qui ne vise le remplacement d’un homme par un autre. Car la rĂ©volution la vraie c’est la rĂ©volution faites dans les idĂ©es et les mĹ“urs ? NapolĂ©on 1er avait raison de dire, dans ce cadre, que « Dans les rĂ©volutions, il y a deux sortes de gens : ceux qui les font et ceux qui en profitent. Â» Et cela les populations le savent.

Ethmane Ould Bidiel
Professeur

 

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