La Mauritanie a terminé sa traversée du désert   
01/03/2018

L’Adrar est sans aucun doute le joyau de la couronne mauritanienne, mais est malheureusement formellement déconseillée pour des raisons de sécurité. » L’extrait, issu du guide Lonely Planet de l’Afrique de l’Ouest, devrait disparaître de la prochaine édition.



 Car la petite ville d’Atar (25 000 habitants), capitale de la région saharienne, est en train de se réconcilier avec le tourisme.

En effet, chaque semaine depuis Noël 2017, un avion nolisé par des voyagistes français y amène jusqu’à 100 visiteurs avides de désert depuis Paris. Voilà 10 ans qu’on n’avait pas vu ça. Une décennie de mauvaise réputation à l’international et de crise au niveau local, que toute la Mauritanie veut maintenant oublier, afin de redevenir attrayante pour les touristes du monde entier.


La dégringolade commence en 2007 par l’assassinat de quatre Français dans le sud du pays. « Un acte qui tenait plus du brigandage que du terrorisme », soutient Kadi Mehdi, directeur de Mauritanides Voyages, agence réceptive à Atar des voyagistes français. Cela a quand même suffi à éloigner le légendaire rallye Paris-Dakar de l’Afrique. Fin 2009, al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) passe à l’acte en enlevant trois humanitaires espagnols sur l’axe Nouadhibou-Nouakchott.

Et lorsque AQMI exécute un otage français au Mali en 2010, « le ministère des Affaires étrangères français a badigeonné toute la sous-région de rouge », se souvient le professionnel mauritanien, en référence à la couleur utilisée sur les cartes de conseils aux voyageurs pour signifier qu’ils n’y seront pas assistés en cas de pépin.

Fini, donc, les vols depuis la France, ancienne puissance coloniale et principale pourvoyeuse de visiteurs. Mais tous les pays occidentaux ont emboîté le pas et proclamé la mise au ban du pays. « Évitez tout voyage non essentiel en Mauritanie, en raison de la menace terroriste ciblant particulièrement les intérêts occidentaux », peut-on lire sur le site du gouvernement du Canada. « Mais aucun événement n’a jamais été signalé dans l’Adrar ! s’emporte M. Mehdi. Nous avons été surtout victimes de ce qui s’est passé ailleurs, au Mali, en Algérie et au Niger. »

Le guide Abderrahmane Bouh, de l’agence Ngadi Tours, partage ce sentiment d’injustice : « Il y a eu plus de victimes du terrorisme lors de l’attentat contre Charlie Hebdo que dans toute la Mauritanie depuis 10 ans. »


Rien après les dattes

Sur le terrain, les conséquences sont lourdes. « Ici, il n’y a qu’une petite saison de dattes en été, et le tourisme en hiver », résume Aïcha Youba, gérante de l’auberge Mer et désert à Atar. La première est victime d’années de sécheresse, et le second s’est vu fortement réduit. « Il ne restait que la clientèle des "babas cool" qui viennent ici en camion, dit M. Bouh. Ils dépensent beaucoup moins que les passagers des charters. »

Le retour de ces avions devenait donc crucial pour l’économie régionale. Kadi Mehdi a milité en ce sens depuis 2014. Il a dû convaincre voyagistes et diplomates français que la sécurité des touristes était bien assurée dans l’Adrar. Ses arguments sont bien rodés : « La Mauritanie a créé et formé une vraie armée, qui est impliquée dans des missions de paix au Sahel. Le long de la frontière malienne, une large bande de terre a été déclarée zone militaire pour empêcher l’infiltration de djihadistes. » Le Canada a apporté un certain soutien, en versant 39 millions pour la lutte contre le terrorisme dans l’ensemble du Sahel depuis 2010.

Le déploiement sécuritaire est bien visible sur le terrain : dans chacun des nombreux barrages de police, les passeports des étrangers sont systématiquement contrôlés. Chaque guide partant dans le désert remplit un ordre de mission, tamponné par les forces de l’ordre, avec son itinéraire, tandis que des brigades mobiles parcourent le territoire. Un voyageur ne pourra donc être porté disparu bien longtemps.

Courant 2017, la récompense arrive : le reclassement de l’Adrar de rouge à orange (« Déconseillé sauf raison impérative ») par le ministère français des Affaires étrangères. Un changement qui n’a rien d’anecdotique, puisqu’il permet aux voyagistes français d’être assurés dans la zone. L’Adrar peut de nouveau exploiter à fond son potentiel touristique.


Du sable, des livres et du thé

Car la Mauritanie a énormément à offrir. Officiellement, c’est une République islamique où la loi impose un islam rigoureux : l’alcool y est interdit, et l’apostasie passible de la peine de mort. Mais la population multiculturelle se montre très tolérante à la différence. Son hospitalité est indéniablement une de ses plus grandes forces.

Trait d’union entre le monde arabe et l’Afrique noire, le pays s’est longtemps limité à quelques villes caravanières, à commencer par Chinguetti, à 80 km d’Atar, autoproclamée septième ville sainte de l’islam. Fondée en 1264, inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en 1996 alors qu’elle était victime d’ensablement, elle est célèbre pour les bibliothèques qui se lovent au creux de ses ruelles de pierre. Autrefois une trentaine, il n’en reste maintenant plus que cinq, toujours tenues par les descendants de familles érudites.

« On venait à Chinguetti retranscrire les connaissances apprises ailleurs et troquer des livres », explique Seif Heiba, gardien de la bibliothèque Al Ahmed Mahmoud, créée en 1699. Si les ouvrages religieux dominent, on trouve aussi de l’astronomie, des mathématiques et de la poésie. Cette dernière prend une place fondamentale dans la culture locale : « La cadence de la poésie permettait à des femmes et à des hommes illettrés de réciter tous les textes difficiles qu’on doit savoir, aussi bien dans le domaine du sacré que des sciences. » Un art qui a valu à la Mauritanie le surnom de « pays au million de poètes ».

Aujourd’hui, c’est les dunes du Sahara qui rendent Chinguetti attrayante : la ville est le point de départ de plusieurs méharées d’une à deux semaines, au cours desquelles on marche paisiblement aux côtés d’une file de dromadaires charriant bagages et nourritures. Cette manière de voyager est la mieux adaptée au cruel manque d’infrastructures touristiques dans la région et aux connaissances des gens du coin… mais aussi à leurs besoins économiques.

« Notre concept, c’est un tourisme durable qui permet de stopper l’exode rural, soutient Kadi Mehdi. Le premier vol qu’on a reçu représente près de [l’équivalent de 60 000 $] dépensés dans une chaîne de prestations qui compte des guides, des chauffeurs, des chameliers, des auberges… En plus de cela, un touriste peut laisser 200 $ en une semaine en achats locaux, notamment de l’artisanat, dans un pays où le salaire minimum est de 150 $ par mois. »

Le trek le plus populaire est celui ralliant Chinguetti à l’oasis paradisiaque de Terjit, nichée entre deux falaises abruptes. Après trois jours d’erg, la randonnée s’engouffre entre les rochers noirs du massif de l’Adrar, donnant ainsi un bon aperçu de la variété du désert, mais aussi de sa vie : sur le chemin, des nomades sortis de nulle part viennent parfois partager un repas, et restent pour la sieste à l’ombre d’un acacia. On se douche près d’un puits, au beau milieu d’un troupeau de chèvres, et on dort sous la khaima, la tente des Bédouins. Comme le veut la tradition saharienne, le thé se prend toujours à raison de trois verres.

L’authenticité est présente du début à la fin, et pourrait rapidement transformer la Mauritanie en une destination très tendance. La saison en cours est un test, et pour le prochain exercice, M. Mehdi espère deux vols par semaine, ou un gros-porteur. Et ne doute pas qu’il peut attirer des agences d’autres pays, incluant le Canada. Car il sait que la conjoncture joue en faveur de son pays, et n’en est pas peu fier : « Partout ailleurs, en Algérie, au Mali ou en Libye, le "Grand Sahara" est fermé. Alors, si vous connaissez des voyagistes intéressés par cette destination à Montréal, parlez-leur de nous : il n’y a qu’en Mauritanie que les gens assoiffés de désert peuvent venir ! »


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