Interview exclusive: Me Brahim Ould Ebety, candidat au bâtonnat mauritanien: Tout candidat qui tenterait d’avoir un parrain politique ou économique échouera…   
13/04/2014

«L’homme sans qui les choses ne seraient que ce qu’elles sont… » C’est en ces termes que Me Mario Stasi rendait hommage à Me Brahim Ould Ebety au cours du 26eme congres de la Conférence Internationale des Barreaux (CIB) de Tradition juridique Commune tenu à Nouakchott en décembre 2011.



Me Stasi faisait référence au rôle joué par Me Ebety dans la lutte pour l’instauration d’un État de droit en Mauritanie.

Me Ebety, membre fondateur de la Ligue mauritanienne des droits de l’Homme, membre fondateur de SOS esclaves et du Gerddes… après plus de 30 de gestion de son cabinet, est candidat à l’élection du bâtonnier de l’ordre national des avocats mauritaniens. Une élection qui aura lieu en juin 2014.

Pourquoi cette candidature ; quelles sont les propositions de Me Ebety ? Réponses dans l’interview qui suit.


Cridem : Quelles sont les raisons de votre candidature ?


J’exerce le métier d’avocat depuis plus de 32 ans. Après ce long parcours, je crois que je suis de ceux qui peuvent prétendre à la fonction de bâtonnier. J’ai géré un cabinet pendant plus de 30 ans. J’ai géré le conseil de l’ordre en tant que secrétaire pendant 08 ans. J’ai des relations au beau fixe avec l’ensemble de mes confrères. Ces bons rapports avec mes collègues ont pour cause mon passé, mon professionnalisme et la qualité de mes relations. Comme vous le savez, la Mauritanie a connu des moments difficiles, notamment de 1980 à 2005.

Le barreau auquel j’appartiens à jouer un rôle important dan l’assistance de toutes les personnes sans voix, éprises de justice. J’étais de ceux qui étaient là pour défendre tous les courants politiques ou idéologiques, défendre des citoyens victimes d’arrestations arbitraires, de tortures voire d’exécutions sommaires.

Ce passé, pour un avocat, est très important, je dirai capital et je m’en glorifie de l’avoir bien rempli aux côtés de mes vaillants et courageux confrères et parfois dans des circonstances des plus pénibles, mais exaltantes et toutes les victimes que nous avons défendues peuvent en témoigner. J’ai également un passé politique. Durant ma jeunesse, j’ai milité au sein du courant kadihine entre 1971 et 1975. J’ai aussi appartenu à des formations politiques durant la période 1991 à 2003. Ce passé politique, je ne le regrette point, il me rehausse plutôt

Et depuis 2003, je me suis libéré de toute appartenance partisane. Je me définis alors en personnalité indépendante, un avocat sans appartenance partisane. Un bâtonnier doit avoir de bonnes relations avec tout le monde, avec ses confrères mais aussi avec toutes les composantes de la société. Un bâtonnier doit été équilibré, avoir de bonnes relations avec le ministère de la justice car c’est lui représente le barreau, qui peut ester en justice en son nom, c’est lui qui discute avec toutes les institutions publiques concernant la gestion de l’ordre qu’il dirige.

Il doit donc instaurer un partenariat avec le ministère de la justice. Pour cela, le bâtonnier doit donc éviter toute prise de position pouvant avoir une connotation politique dans la gestion du Barreau. Un bâtonnier qui s’assume pleinement peut être utile à ses confrères.


Cridem : Quelles sont vos propositions, vos idées pour convaincre vos collègues qui vont décider au moment du renouvellement du bureau de l’ordre national des avocats mauritaniens ?


Le barreau mauritanien est très jeune. Il est né en 1980. Il a besoin d’être restructuré, redynamisé. Il a besoin d’une forme d’entraide entre ses différents membres dans le cadre d’échanges d’expériences et de méthodes de travail.

La formation des avocats doit être intensifiée en matière de recherche, de rédaction et de toilettage de contrats…Nous pouvons aussi nous faire assister par des amis des barreaux étrangers avec lesquels j’ai d’excellentes relations.

Je suis membre du conseil de Présidence de l’Union Internationale des Avocats dont je suis le représentant national en Mauritanie, membre aussi du conseil d’administration de la Conférence Internationale des Barreaux (CIB) de tradition juridique commune. Un conseil d’administration né en décembre 2013 à Abidjan après le décès du regretté Mario Stasi qui a dirigé par consensus et compétence cette conférence depuis sa création en 1985

Ce réseau de relations me permet de redynamiser les rapports entre l’Ordre National des Avocats mauritaniens et les barreaux étrangers.

Un autre volet important : le bâtonnier doit avoir un comportement exemplaire, un passé propre, c’est important, je dirai essentiel pour tout candidat à l’élection du Bâtonnier.

Le barreau mauritanien est composé d’anciens avocats, de jeunes et de professeurs d’université. C’est une diversité enrichissante qui nous permettra de revoir l’ensemble de nos textes pour les actualiser, accompagner la législation et la jurisprudence par nos propositions et nos commentaires.

Nous devons aussi intensifier la formation continue comme ailleurs dans le monde. Cette formation, cette mise à niveau continue est importante car la Mauritanie s’ouvre aux sociétés minières, pétrolières et autres investisseurs. Nous devons nous préparer pour accompagner cette ouverture.

Je signale aussi, qu’à ce jour, les avocats mauritaniens ne bénéficient d’aucune forme d’assurance et notamment les assurances maladie et vieillesse. Je compte initier une grande réflexion sur la question au sein des avocats à l’effet de susciter une prise de conscience pour engager des pourparlers avec tous les organismes spécialisés en étroite collaboration avec les barreaux amis pour s’imprégner de leur expérience et des techniques qu’ils ont adoptées.

Les avocats doivent aussi engager une vaste réflexion pour diversifier leurs ressources pour combler le déficit des moyens que connaît actuellement notre barreau dont les ressources ne proviennent que des cotisations de ses membres. Il y a également la création d’un siège. Nous sommes actuellement hébergés au palais de justice. C’est important pour le suivi des affaires courantes. Mais comme ailleurs, il nous faut une maison du barreau.

Je dois préciser que la force d’un avocat réside dans sa parole, ses écrits, dans sa foi en lui-même, sa richesse intellectuelle. Il ne doit pas compter sur l’assistance d’un gouvernement ou d’une force politique ou économique quelconque.

La question de l’indépendance constitue la raison d’être de tout barreau et constitue les termes de référence auxquels tout Bâtonnier doit veille. Il ne s’agit pas seulement de l’indépendance par rapport au pouvoir politique, mais aussi par rapport à toutes les forces politiques, économiques et sociales.

Je compte aussi initier un plaidoyer pour sensibiliser le gouvernement et l’ensemble des institutions et sociétés tant nationales qu’étrangères sur le rôle des avocats. Un rôle qui ne se limite pas à la phase du procès. Il y a l’avant procès pendant lequel l’avocat peut donner son avis, son expertise. C’est un rôle préventif.

Les avocats peuvent aussi jouer un rôle dans l’assainissement du secteur de la justice. C’est pourquoi, je compte proposer au Ministre de la justice un partenariat bien conçu qui permettra aux avocats d’apporter leur contribution dans toute entreprise de reforme et d’assainissement du système judiciaire.

Le système judiciaire est composé des magistrats, des greffiers et des avocats. Le succès de toute entreprise de reforme passe nécessairement par l’implication de ces composantes qui doivent veiller à la bonne entente pour améliorer le rendement et rehausser le prestige du système pour le bien être du pays pour assurer la sécurité et attirer les investissements.


Cridem : Vous avez beaucoup insisté sur les rapports entre l’ordre national des avocats et le ministère de la justice. Ces dernières années, ces rapports ont été tendus entre le barreau et le ministère de la justice ou plus largement l’exécutif. Avec vous, y aura-t-il retour à une sorte de normalité ?


Je tiens à mettre fin à ces rapports conflictuels. J’entends instaurer un véritable partenariat avec le ministère de la justice pour le bien être de l’ordre et de la justice. J’ai un passé politique, je suis militant des droits de l’homme et je suis depuis 2003 une personnalité indépendante, donc sans affiliation partisane.

Une telle situation constitue un atout majeur qui me met à l’abri de toute tentative de manipulation que tenterait toute force politique ou économique surtout qu’aucun courant ou force politique ne peut me reprocher un comportement ou acte qui me fait honte en raison des soins que j’ai toujours veillés à imprimer à mes activités professionnelles et à ma vie privée.

Je pense le Ministre de la justice est en droit d’attendre du barreau la fin de toutes formes de tensions et de conflits. C’est ce climat loin de toute forme de tension, mais aussi de respect mutuel des prérogatives de chacun que j’entends cultiver et instaurer dans nos rapports avec la chancellerie.

Ces conflits doivent appartenir au passé et doivent être dépassés. J’entends instaurer une nouvelle ère, une nouvelle ambiance avec le Ministre de la justice et l’ensemble des composantes du pouvoir exécutif. Mais, en même temps, j’entends, bien entendu, garder mon indépendance qui est ma force.

Le bâtonnier doit avoir des rapports distants avec tout le monde mais aussi des rapports fondés sur le respect. Si chacun s’en tient à son rôle, nous allons évoluer. Le bâtonnier doit avoir comme objectif de gérer en bon père de famille les intérêts matériels et moraux des avocats nonobstant leur affiliation partisane.

Il doit se mettre au dessus de la mêlée, éviter les positions partisanes et veiller au respect des principes d’indépendance et à la protection des droits de la défense à tous les niveaux et en toute circonstance.


Cridem : Il y a un reproche qui est fait à la justice ; Ceux qui ont les moyens se paient des avocats de luxe. Les pauvres, la grande majorité, se contentent des commis d’office qui ne les prennent pas au sérieux…


En Mauritanie, l’assistance judiciaire conçue pour combler ce vide en offrant aux démunis les moyens pour se défendre l’objet d’une loi et de textes d’application, mais les sans moyens pour qui le système a été conçu restent dans l’attente de la mise en application de l’ensemble des textes. J’entends tout faire en étroite collaboration avec le Ministre de la justice et l’ensemble de ses collaborateurs pour que cette assistance judiciaire se réalise.

Quant aux commis d’office, ils existent partout dans le monde pour les plaideurs dépourvus de moyens grâce aux efforts conjugués des pouvoirs publics et du barreau à travers les mécanismes de l’assistance judiciaire.


Cridem : Les avocats mauritaniens souffrent aussi de la concurrence d’intermédiaires informels…


Ce genre d’intermédiaires avait partiellement disparu, mais il est de retour. Le meilleur moyen de le combattre passe par la mobilisation des avocats et l’instauration d’un suivi avec les magistrats et le service des greffes de toutes les juridictions. Il faut aussi que les avocats cultivent et entretiennent des rapports sains et suivis avec les magistrats du siège et ceux du parquet pour pouvoir combattre le système de démarchage qui entrave le bon fonctionnement de la justice.

Certains intermédiaires s’enrichissent sur le dos de justiciables. Le justiciable doit être en contact direct avec son avocat sans intermédiaires surtout que dans notre pays, les avocats ont l’exclusivité de la représentation devant la cour suprême et les cours d’appel.


Cridem : Vous êtes avocat, vous avez un passé et même un présent de militant actif des droits humains. Dans plusieurs procès, vous avez pris la défense de militants des droits de l’homme ou autres contre l’Etat. Pour l’élection du bâtonnat, est-ce que ça ne peut pas représenter un handicap quand on sait que les avocats ont aussi leurs orientations politiques et que l’État, semble-t-il, a une certaine influence sur cette élection du bâtonnier ? Votre statut de contradicteur permanent de l’État, du pouvoir, peut-il être un handicap ?


Non, c’est plutôt un facteur enrichissant. J’ai été dans tous les procès de 1983 à nos jours. Je crois que c’est plutôt un facteur hautement positif qui m’a permis de jouir d’un prestige de respectabilité et d’honorabilité dans les milieux du pouvoir, de l’opposition, de la société civile et dans l’opinion en général. Grace à ce parcours, je suis au parfum plus que tout autre des mécanismes de fonctionnement du système judicaire, des rapports entre l’État et les avocats.

Je suis aussi militant de plusieurs organisations des droits de l’Homme. Je suis membre fondateur de la Ligue mauritanienne des droits de l’Homme et de son premier bureau exécutif, membre fondateur de SOS Esclave et du Gerddes dont le suis le secrétaire général. Les pouvoirs publics œuvrent conformément aux textes organisant le barreau et à leurs engagements internationaux à veiller à l’indépendance et à l’unité du barreau, en somme à sa force.

Un barreau faible ne peut remplir sa mission tout comme un Bâtonnier soumis ou inféodé à une force politique ou économique. Le bâtonnier doit jouer le rôle d’organe régulateur des relations entre les avocats et l’État.

Je serai le bâtonnier de la situation qui œuvre pour apporter solution à tout conflit et à toute situation conflictuelle. Je suis par tempérament posé et je m’efforce toujours d’agir avec sang froid. Je pense que le gouvernement actuel, contrairement à 2002 sous le régime de Ould Taya ne s’impliquera pas dans le renouvellement de nos instances dirigeantes qui aura lieu à la fin du mois de juin.

L’expérience de 2002 appartient au passé et les leçons que les avocats ont pu tirer de cette période leur ont permis d’assumer pleinement leur indépendance de toute force politique et économique à travers l’unité et la confraternité qui constituent le ciment de leur existence.

Les avocats sont des électeurs d’un certain niveau, je dirai de qualité en raison de leur niveau et de leur appartenance à un corps qui fait leur fierté, mais aussi la fierté nationale qui fut la sentinelle vigilante et disposée à apporter son concours dans les moments difficiles que beaucoup de nos compatriotes ont traversés dans leur existence et dans leur liberté. Les membres d’un tel corps resteront maîtres de leur voix qu’ils donneront en toute conscience et dans le secret de l’isoloir.

En 2002, le pouvoir a tenté de faire de l’ordre national des avocats une sorte de satellite. Mais depuis 2005, je crois que cette orientation a été abandonnée. Je n’ai senti ni de la part de l’actuel ministre de la justice, ni du pouvoir politique une quelconque tentation de s’immiscer dans l’opération électorale à venir. Ce sont les avocats qui vont élire leur bâtonnier et leur conseil de l’ordre.

Tout candidat qui tenterait d’avoir un parrain politique ou économique échouera parce que les avocats tiennent à leur indépendance. J’invite tous mes confères à n’obéir qu’à leur conscience et à choisir celui qui présente les meilleures performances en terme d’indépendance, de probité, de professionnalisme, d’intégrité morale et intellectuelle et de probité notoire dans sa vie professionnelle et privée.

Une dernière chose : il faut distinguer deux casquettes ; celle de l’avocat qui exerce sa profession et celle de bâtonnier appelé à jouer le rôle d’organe régulateur d’un ensemble de relations.


Propos recueillis par Khalilou Diagana

Source : cridem.org


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