Sur les rives du fleuve Niger dont les eaux calmes s’écoulent lentement aux abords de Gao, des hommes recousent des filets de pêche prés de leurs pirogues, des femmes lavent des marmites, des enfants nus barbotent. Malgré la quiétude de cette scène...
...pittoresque au Mali, les militaires français et nigériens patrouillant le long du fleuve sont sur leurs gardes. Mains sur la gâchette, ils scrutent sur l’autre rive le village de Kadji enveloppé par les eucalyptus. Les habitants de Gao ont désigné ce village comme un repaire d’islamistes armés, qui ont surpris les forces maliennes, françaises et nigériennes le week-end dernier avec deux attaques suicides et un raid audacieux au cœur même de cette grande ville du Sahara dans le nord du Mali. Depuis l’assaut de dimanche, les forces françaises et leurs alliées africaines s’emploient à traquer des suspects et à démanteler des ateliers clandestins de confection d’explosifs dans les rues en terre de Gao. "Depuis dimanche, sécuriser Gao est notre priorité", dit un officier français, qui, comme la plupart des militaires engagés dans cette opération, demande à rester anonyme. "Une fois que nous aurons fait ça, nous sortirons de la ville pour aider les Maliens à neutraliser les poches des islamistes." Fouilles maison par maison, installation de sacs de sable pour protéger des positions, collecte de renseignements apurés d’informateurs... Autant d’activités typiques d’une opération de contre-insurrection. La nécessité de sécuriser Gao, située à plusieurs centaines de kilomètres de la zone montagneuse où des commandos tentent de retrouver des otages français retenus par les islamistes, enraye la dynamique de l’intervention militaire de la France. L’armée française est intervenue le 11 janvier pour bloquer l’avancée des islamistes armés vers le sud du Mali, en direction de Bamako, la capitale. Cinq semaines plus tard, elle a parcouru 1.700 km vers le Nord, jusqu’à Tessalit prés de la frontière algérienne, en chassant au passage les islamistes des grandes villes telles que Tombouctou ou Gao. Cette rapide progression a valu au président français François Hollande les félicitations des Etats-Unis et de ses alliés européens. Les récentes attaques à Gao alimentent toutefois un scénario redouté par certains: que les islamistes aient fui les combats directs pour se lancer dans des opérations de harcèlement, entrainant la France dans une guerre longue et épuisante. "Je ne pense pas qu’on puisse parler pour l’instant d’enlisement", a déclaré jeudi le colonel Thierry Burkhard, porte-parole de l’état-major français, en soulignant que les forces françaises avaient progressé "probablement plus vite que ce que les gens pouvaient imaginer". "Bamako-Tessalit, cela fait la distance entre Paris et Rome", a-t-il comparé en reconnaissant néanmoins "des difficultés" liées "au mode d’actions que choisissent les groupes terroristes". D’autres pays voient en revanche des risques évidents au Mali. "Il va trés certainement y avoir une insurrection semblable à celles que nous avons vues en Irak et en Afghanistan", a déclaré mardi le ministre canadien des Affaires étrangères, John Baird, pour justifier la décision probable de son pays de ne pas envoyer de troupes au Mali. Pour aider les Français à traquer des islamistes qui, pendant des mois, ont imposé une stricte loi islamique dans leur ville, des habitants de Gao viennent d’eux-mêmes donner des informations sur les djihadistes et leurs caches d’armes. "Nous connaissons les combattants. Nous gardons un œil sur eux. Nous sommes prêts à les dénoncer", affirme Seydou Maiga, qui peut voir Kadji de sa maison située sur les rives du Niger. D’après les autorités maliennes, les auteurs du raid mené dimanche dans Gao ont franchi le fleuve à bord de pirogues en profitant de la diversion provoquée par les attentats suicides. Au bord du fleuve, la patrouille franco-nigérienne recueille les dernières informations disponibles auprès d’habitants comme Seydou Maiga. Elle apprend ainsi qu’un groupe d’enfants agissant pour le compte des islamistes a franchi le Niger quelques heures auparavant. Les militaires maliens ont réussi à convaincre ces enfants de les conduire aux personnes qu’ils étaient censés rencontrer, ce qui a permis l’arrestation de quatre jeunes gens soupçonnés de collaborer avec les islamistes, raconte Seydou Maiga. "Nous mobilisons les habitants pour qu’ils informent les autorités dés lors qu’ils voient des personnes qu’ils ne connaissent pas", explique le maire de Gao, Sadou Diallo, à Reuters. Selon lui, ce dispositif a permis à l’armée d’intercepter les assaillants de dimanche avant qu’ils ne commettent d’autres attentats suicides. Ces événements ont alourdi l’atmosphère dans la ville, où l’euphorie de la "libération" a été brusquement dissipée. Des commerçants ont fermé leurs boutiques et les forces françaises et africaines ont intensifié leurs patrouilles à bord de jeeps et de véhicules blindés circulant dans les rues poussiéreuses de Gao. Aux barrages installés en périphérie de la ville, la tension est palpable lorsque les militaires fouillent les passagers des autocars ou vérifient les papiers d’identité des personnes circulant à moto, le moyen de transport utilisé par les islamistes lors de leurs attaques suicides. Autour de la caserne de l’armée malienne et d’autres cibles potentielles comme les barrages, arbres et buissons ont été élagués pour priver d’abri d’éventuels assaillants. Sur la foi de renseignements fournis par des habitants, les militaires français ont désamorcé mercredi des engins explosifs découverts dans une maison abandonnée en l’état par les islamistes. A l’intérieur, le sol est recouvert de cylindres vides et du nécessaire à la fabrication de bombes comme de l’engrais ou des appareils à mesurer de la poudre, mais aussi d’un drapeau noir en lambeaux portant des versets coraniques inscrits en blanc. "Quand les islamistes sont partis, nous sommes entrés dans la maison et nous avons découvert des roquettes, des seaux d’où sortaient des fils électriques et des balles", dit Mahamadou Kabaré, qui vit en face de cette bâtisse. Lorsque les islamistes ont commencé à conquérir le nord du Mali en 2012, des milliers d’habitants ont fui. D’autres, par appât du gain ou par conviction, ont rejoint les rangs de ces djihadistes. Beaucoup en revanche se disent fiers d’avoir résisté pacifiquement. "Nous brûlions des pneus, nous chantions l’hymne national", dit Amadou Sarr, qui travaillait auparavant pour des organisations humanitaires à Gao. Avec d’autres, il a maintenant pris la tête des "patrouilleurs de Gao", qui arpentent les rues la nuit pour protéger habitations et commerces. Amadou Sarr affirme que son réseau a permis d’identifier des centaines d’islamistes présumés ou de collaborateurs. Il regrette cependant que les forces maliennes, françaises et nigériennes ne puissent pas vérifier rapidement toutes les informations qui leur sont transmises. "Ils manquent d’hommes et de moyens", juge-t-il. Comme à Tombouctou, la plupart des Arabes et des Touaregs ont fui Gao par crainte de représailles de la part d’habitants les assimilant aux islamistes ou aux rebelles séparatistes. Dans les jours qui ont suivi l’arrivée des forces françaises et africaines, des commerces tenus par des Arabes ont été pillés dans plusieurs villes du nord du Mali "Ceux qui ont pris les armes contre d’autres Maliens doivent être écrasés", affirme Amadou Sarr. "Les gens parlent de réconciliation mais nous n’y sommes pas encore prêts."
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