A la différence des tribunaux de Guantanamo, déjà très critiqués pour leur opacité, la Cour martiale devant laquelle comparaît le soldat Bradley Manning dans l’affaire WikiLeaks ne procure pas le moindre document ou retranscription des audiences, au grand dam des médias.
La juge militaire Denise Lind lit à toute allure, à coups d’article numéro X, ou d’exception numéro Y, la décision qu’elle vient de prendre. Les journalistes qui s’évertuent à prendre des notes ne verront jamais la couleur de son jugement par écrit, contrairement à tous les tribunaux de droit commun. Comme l’armée américaine l’a confirmé à l’AFP, pour le procès Manning qui s’ouvrira en mars, il n’y aura ni retranscription des longues journées d’audiences, ni copie des recours ou des jugements intermédiaires destinés à mettre en place les six semaines de débats sur la base militaire de Fort Meade (Maryland, est). Même l’acte d’accusation qui énumère les 22 charges formulées en décembre 2011 à l’encontre du soldat, ou encore son projet de plaider coupable présenté en novembre 2012 pour une partie des chefs d’accusation, n’ont jamais été couchés sur le papier. Les journalistes n’ont plus qu’à comparer leurs notes et interroger le seul expert juridique que l’armée met à leur disposition. "Les transcripts n’existent simplement pas" et "le règlement de la Cour martiale autorise la juge militaire à empêcher les déclarations non autorisées qui porteraient préjudice aux droits de l’accusé à un procès juste et impartial", selon une porte-parole de l’armée de Terre. Ce manque de transparence "est calculé pour faire fuir les médias face à l’ennui", déclare Shayana Kadidal, avocat du Centre pour les droits constitutionnels (CCR), qui a déposé une plainte devant la cour d’appel militaire au nom de 31 groupes de presse. Résultat: lors des audiences préliminaires, la représentation médiatique s’est réduite à peau de chagrin. Il y a dix places dans la salle du tribunal et 70 dans la salle de presse. Mais seule l’audience consacrée aux conditions de détention de Manning après son arrestation a fait le plein. "Je crois qu’ils veulent minimiser ce qu’il se passe ici, ils rendent tout encore plus compliqué qu’à Guantanamo", explique à l’AFP Nathan Fuller, porte-parole du Réseau de soutien à Manning. "L’armée veut museler les médias pour réduire la couverture, et ça marche!". Bradley Manning encourt la réclusion à perpétuité pour avoir transmis au site WikiLeaks des dizaines de milliers de documents classés Top Secret. L’analyste du renseignement en Irak avait déclenché une tempête dans la diplomatie mondiale, les Etats-Unis affirmant que les câbles ainsi dévoilés pouvaient être utilisés par Al-Qaïda. Pour cette raison, toutes les audiences sont retransmises dans la salle de presse avec un léger différé de 17 secondes, le temps pour un officier de la sécurité de couper la retransmission en cas de sujet sensible, selon une source informée. A Guantanamo, ce différé est de 40 secondes et il est également opérationnel dans la salle d’audience. Mais, les tribunaux militaires exilés à Cuba disposent d’un site internet où sont affichés, avec un délai de quelques jours, tous les documents relatifs aux affaires en cours. "Une Cour martiale est différente d’un tribunal militaire et les règles qui les gouvernent sont différentes", souligne la porte-parole militaire. Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières, dénonce "le manque de transparence" des audiences de Manning et rappelle que "la protection de la sécurité nationale ne légitime pas un tel secret de la procédure". L’avocat de Bradley Manning, David Coombs, qui lui aussi refuse toute interview à la presse, estime pourtant que la Cour martiale est "de loin le meilleur système judiciaire" pour juger son client.
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