Par R’chid Ould Mohamed. Il nous parait juste et honnête de reconnaître les qualités littéraires des textes écrits par Mohamed Yehdih Ould Breideleil (N°2536 du Mardi, 17 Août au 25 43 du 16 Août 2012) paru sousle titre générique de « la Mauritanie et l’Azawad ». Ils sont conformes à ce que...
...Mohamed Abeid Al –Jabri, philosophe marocain qui a beaucoup réfléchi sur « la raison arabe », considère comme un bon texte destiné à un public arabo- musulman, marqué par cette opération mentale qu’on appelle l’analogie du connu à l’inconnu et qui consiste à aligner les textes profanes sur le Texte sacré afin d’en imiter ou tout au moins de s’approcher de son inimitable harmonie.
Les textes de Ould Breideleil sont « abondants », « éloquents » « fluides » et leur style semble tellement lié à leur sens au point qu’il est impossible de résister à la croyance que l’auteur compte davantage sur celui-là pour convaincre ses lecteurs du bien fondé de celui-ci. Toutefois, lorsque le temps de l’admiration suscitée par la forme de ces textes laisse place à l’analyse de leur contenu, notre déception est grande de constater que tant d’intelligence, d’éloquence, de perspicacité et parfois d’humour sont mis au service d’une pensée archaïque, équivoque, raciste, anti- démocratique, anti- patriotique et surtout loin de cet esprit de «munificence» caractéristique, selon l’auteur de l’esprit des maures. Il serait fastidieux et impossible de s’engager dans une étude systématique de ces textes- nous n’en avons ni l’envie, ni la possibilité- il s’agit plus humblement de discuter quelques points qui nous semblent soit équivoques, soit contestables, soit prétentieux ou soit franchement condamnables. Le premier concerne la mission de Coppolani sur laquelle l’auteur développe des considérations qui méritent d’être clarifiées. Lorsque cet homme débarque dans l’Azawad pour une mission au Soudan français et au nord du Sahel et qui devrait durer de novembre 1898 à Août 1899, il était juste question de mener une action diplomatique auprès des tribus maures et Touareg, pour préparer la conquête coloniale de leur territoire et non celui de la colonisation de la Mauritanie dans son ensemble, comme semble le suggérer Ould Breideleil.
En disant que le colon français n’était pas un «nigaud »l’auteur voulait dire qu’il n’était pas assez fou pour lancer la conquête de la Mauritanie à partir de cette région, puisqu’il n’aurait pas, selon lui, bénéficié de suffisamment de soutiens auprès des populations maures de ces territoires.
Un historien ou un intellectuel qui voudrait se glisser dans la peau de celui-ci doit apprendre une règle élémentaire en histoire : remettre les événements dans leur contexte historique avant de les juger.
Or la conjoncture historique de l’époque était marquée par « des rivalités souvent haineuses et des sempiternelles luttes qui opposaient les tribus entre elles ». En réalité la majorité des populations de cette région était confrontée aux pillages qu’une autre lui imposait et ne lui laissait aucune chance de s’investir dans des activités productives ou commerciales.
L’argument décisif qui a poussé l’essentiel des tribus des deux Hodhs, de l’Assaba et de l’Azawad à signer des accords de soumission avec Coppolani, c’est qu’il est représentant d’une puissance non pas amie de l’islam et des musulmans, mais qui était prête à les protéger des pillages qu’une partie de leurs congénères leur imposait. L’intellectuel baathiste qui a poussé la désinvolture en minimisant ces accords est bien dans son rôle de défenseur des castes guerrières contre les masses laborieuses. Les sociétés maures à cette époque étaient épuisées par des siècles d’anarchie et ne pouvaient donc en aucune façon présenter un front uni contre le dynamisme d’une puissance coloniale dotée d’une force militaire moderne et résolue à unifier ces colonies du sud et du nord de part et d’autre du Sahara. C’est la colonisation française qui a organisé ce territoire et qui l’a doté d’une autorité politique unifiée en 1958. Au moment du reflux colonial, le pays était laissé aux mains d’une équipe assez sage qui, en utilisant les moyens dont elle disposait à l’époque, a pu maintenir la cohésion de cet héritage colonial. La culpabiliser aujourd’hui sous le fallacieux prétexte qu’elle n’avait pas tenté de créer un état dont les contours épouseraient les zones de parcours de tous les maures, ne peut provenir que de ceux qui n’ont joué qu’un rôle négatif dans le destin national ou qui sont victimes d’illusions et de folie de grandeur. Or nous savons avec le recul en quoi celles-ci consistent et à quoi elles conduisent : on entretient, au moyen d’une violence inouïe, et on nourrit une dictature par des discours grandioses et utopiques jusqu’au jour où une secousse interne ou une action extérieure vienne y mettre fin. La contiguïté territoriale, l’homogénéité ethnique, la communauté raciale et linguistique ne peuvent être au fondement d’un Etat que si les populations en chair et en os ont la volonté d’être intégrées et de vivre ensemble. Celle-ci peut suppléer à l’absence de tous les autres facteurs cités plus haut. Le deuxième point concerne la deuxième partie de ces textes intitulée « ceux qui crient ». L’auteur s’y efforce au début de fixer aux hommes politiques un mode de conduite fondé sur la responsabilité et la modération des propos. C’est juste. Nous partageons entièrement cette recommandation. Montesquieu, un des premiers sociologues français posait la vertu comme le principe de la démocratie. Cependant notre intellectuel n’a pas toujours respecté les principes qu’il a énoncés. On se rappelle encore de son pamphlet (éviter l’infamie) incendiaire contre le président Sidi Ould Cheikh Abdellahi dans lequel il ne demandait pas moins que l’assassinat du couple présidentiel. Nous ne connaissons pas de comportement plus excessif que celui d’un homme politique qui prêche la liquidation physique d’adversaires dont il ne partage pas l’orientation politique. Les courtisans sont toujours plus mesurés que les opposants à l’égard des pouvoirs en place. Autrement dit, nous ne devons pas être comme le Livre qui ordonne la propreté alors que lui- même s’interdit de toucher l’eau. La réflexion sur la place qu’occupe l’action politique parmi les autres activités de l’homme nous parait intéressante. Dans ses aspirations, la politique peut bien être considérée, comme dit l’auteur, comme « une fée » . En la situant dans la même sphère à côté de la philosophie et de la poésie, il voulait dire, je pense, que les valeurs- liberté,égalité, justice- qu’elle promeut échappent à toutes les déterminations. Aucune infrastructure économique ( Marx), ni pulsion sexuelle (Freud), ni volonté de puissance ( Nietzsche) ne peut les expliquer. Elles surgissent dans nos cerveaux, comme çà , pour ainsi dire sans aucune raison. Seulement, ceux qui l’exercent, les politiques, eux ne sont pas des êtres désincarnés. Ils ne peuvent pas en effet s’affranchir des déterminismes sociaux, historiques, psychologiques et idéologiques. Alors, si on accepte cette assertion, on ne manquera pas de s’étonner de l’assurance qu’affiche l’auteur lorsqu’il juge les faits, les événements et les hommes. Il faut donc ramener les prétentions de notre auteur à leurs justes proportions. Il n’exprime qu’un point de vue, certes légitime et respectable, parmi tant d’autres sans aucune prétention à la vérité absolue. C’est pourquoi les passages suivants nous ont semblé sibyllins et contestables :
"… le slogan central de chute du régime en place, sous la bannière duquel ils ( les opposants) travaillent est complètement en dehors des réalités .Rien dans les conditions subjectives ne permettrait de l’atteindre et les Conditions objectives ne le laissent pas entrevoir". Mais un slogan est un mot, il exprime un souhait donc non la réalité. L’opposition recherche sans doute la chute du régime en la suscitant justement par … un slogan. Quant à la subjectivité, c’est le sentiment intime et souvent illusoire qu’éprouve une personne sans qu’il nous soit possible de le démontrer. Seule l’histoire peut le confirmer ou l’infirmer. Par exemple on n’ a cru longtemps dans certains milieux qu’on pouvait réunir tous les Arabes dans un état unitaire, en dépit de tout réalisme. Ce sentiment est resté longtemps subjectif. Aujourd’hui ils ne sont pas nombreux à parier sur sa réalisation. Enfin le problème des « conditions objectives » est qu’elles sont liées à la perception des acteurs politiques. Or ceux- ci ne voient que ce qui va dans le sens de leur désir. En 2007, on nous a décrit un pays au bord de l’enfer, du déchirement, bien installé dans la misère ; mais personne n’était dupe de la réalité de ce tableau. Il s’agissait déjà d’un slogan. Au terme de ces considérations il ne nous reste plus qu’à nous poser des Questions sur les motivations de l’auteur. Comme lui-même ne nous les révèle pas clairement nous sommes donc réduits à émettre des hypothèses. Pour notre part, l’idée que cet ancien baathiste ( l’ancien fou garde toujours, dit- on un regard menaçant, même après sa guérison) se pose un candidat pour le poste prestigieux de conseiller du président de la république, nous parait défendable. Ces textes tendraient donc à démonter qu’il est cet intellectuel doté de cette qualité « imperceptible » qu’on appelle « le sérieux » à laquelle il faut ajouter la compétence, » l’honnêteté intellectuelle »et surtout une vision stratégique susceptible de nous éviter « la traîtrise des surprises et des mauvais réveils ». Tant de qualités, réunies en une seule personne, ne devraient vraiment pas laisser au président assez de choix. Une autre vision avance l’idée qu’il était déjà conseiller occulte du président et qu’il aurait joué un rôle décisif, aux côtés d’autres stratèges, dans la création du MNLA ( Mouvement National pour la Libération de l’Azawad), organe qui, dans leurs esprits, devrait nous nous permettre de combattre par ce mouvement interposé les terroristes d’Al qaïda, installés à l’Est du pays, mais aussi nous donnerait, grâce à notre prolongement tribal dans cette région, la possibilité de défendre nos intérêts et d’y avoir une influence. La marginalisation et l’impuissance où se trouve ce mouvement face aux terroristes qu’il était censé combattre, est considéré comme une erreur stratégique. Dans ce cas, les textes de notre intellectuel prennent un autre sens. Ils viseraient à substituer à une folie ( un pays du tiers monde ne peut pas financer et entretenir une rébellion) une autre qui consiste cette fois-ci à réunir sous une seule autorité étatique les maures du Sahara. Qu’on croie y parvenir pacifiquement ou par la violence, on ouvre la perspective d’un autre échec stratégique certain. Quoi qu’il en soit, ces textes font violence à l’unité nationale de ce pays et lui enlève, si on leur accorde, en haut lieu, la moindre importance, toute chance de consolidation après les malheureuses décennies de pouvoirs militaires. On sait à quoi s’en tenir vis à vis de ces théories fumeuses et totalement discréditées » qui ne proposent rien d’autre que la perspective pour « les maures de vivre à l’aise entre eux ». Nous avons une longue histoire islamique qui remonte au moins au 11ème siècle et qui nous a appris à transcender nos spécificités ethniques et raciales pour que nous puissions prêter l’oreille aux stratèges de malheurs et de la division qui courent derrière un «Inqilab» introuvable. R’chid Ould Mohamed
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