Saïf al Islam Kadhafi était le plus européen des huit enfants du "Guide" libyen mais pourrait être le seul à finir devant la justice. A la faveur d’une révolte populaire, le réformiste qui a sorti la Libye de son isolement diplomatique s’est mué en combattant fidèle à son père...
...jurant de combattre jusqu’à la mort dans son pays. Le diplômé d’architecture, d’économie et de relations internationales est inculpé pour crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale (CPI). L’héritier présomptif de Mouammar Kadhafi, dernier membre de la fratrie à être encore en fuite, a été arrêté dans la nuit de vendredi à samedi dans le sud de la Libye. Le nouveau gouvernement libyen souhaite le juger avant un éventuel procès à La Haye. (Lire ) Des sept autres enfants de Mouammar Kadhafi, tué de façon humiliante et dans des circonstances troubles le 20 octobre, trois sont morts en Libye et quatre se sont exilés. On ignore les détails de l’activité de Saïf al Islam, 39 ans, depuis qu’il a fui Bani Walid il y a un mois. Plusieurs sources le disaient réfugié dans le nord du Niger, voire du Mali. Les deux voisins de la Libye l’ont toujours réfuté. Il a probablement été aidé par des touaregs, dans une zone montagneuse du Sud libyen à la frontière avec l’Algérie et le Niger, où les combattants de Zentane l’ont arrêté. Que ce philanthrope libéral, polyglotte et homme de réseau finisse protégé par des nomades dans le Sahara ne manque pas de piquant. Mais Saïf al Islam a fait de la nage à contre-courant l’une de ses spécialités, comme en témoigne sa dernière apparition publique en homme libre, le 23 août à Tripoli. Alors que la CPI et les insurgés avaient annoncé son arrestation, il se présentait tout sourire à l’hôtel de la presse étrangère, narguant les ennemis de son père et effectuant le V de la victoire. Quand la rébellion s’est déclenchée, le diplomate s’est subitement transformé en soldat prêt à mourir plutôt qu’à négocier avec les ennemis de son père. "On combat en Libye, on meurt en Libye", disait-il peu après le début de la rébellion. Saïf al Islam justifiait son prénom, qui signifie "Le glaive de l’islam", en développant un discours belliqueux, militaire. Luis-Moreno-Ocampo, procureur de la CPI, affirme avoir des preuves de son implication dans le recrutement de mercenaires et l’organisation d’attaques contre des civils libyens. A mesure que l’heure de la chute approchait, toute la fratrie a serré les rangs autour de son chef, elle qui était auparavant déchirée par la jalousie et l’avidité. Le fils le plus engagé politiquement de Mouammar Kadhafi aurait pu connaître le même sort funeste que son père. Il y a un mois jour pour jour, son convoi fuyant Bani Walid était poursuivi par des combattants et visé par une frappe de l’Otan, mais il parvenait à s’échapper dans son véhicule blindé. Saïf al Islam n’était pas programmé pour finir traqué sur une piste entre deux oasis, ni devant la Cour pénale internationale. Etudiant de la prestigieuse London School of Economics (LSE), il était considéré comme le visage acceptable, pro-occidental de la Libye. Avant de se rendre en Angleterre, il a étudié l’architecture à Tripoli puis l’économie à Vienne. De ses années à Londres, il a gardé des amitiés dans la haute société, une propriété à dix millions de livres (11,7 millions d’euros) et un anglais parfait, faisant de lui le porte-parole naturel du régime durant la guerre civile. Il présidait la Fondation internationale Kadhafi pour la charité et le développement, vitrine caritative du régime kadhafiste. Elle était le levier financier de ses idéaux politiques: réformes, libéralisation des médias, adoption d’une constitution. Saïf al Islam semblait parfois en contradiction totale avec son père, qui dirigeait le pays d’une main de fer depuis 1969. Il se heurtait à l’opposition de l’élite dirigeante et, parfois, à celle de sa propre famille. L’an dernier, le journal indépendant qu’il finançait avait dû mettre ses critiques en sourdine et sa fondation avait cessé toute activité politique. Le deuxième fils de Mouammar Kadhafi agissait en diplomate tant sur le plan intérieur - réconciliation avec les islamistes - qu’international. Avec l’aval de son père, il a négocié la levée des sanctions contre la Libye, en 2004, en échange de l’abandon des programmes d’armes de destruction massive. Il a aussi été en première ligne dans les négociations pour la libération des infirmières bulgares ou le rapatriement d’Abdelbasset Ali al Megrahi, condamné en Grande-Bretagne pour l’attentat de Lockerbie. Comme son père, Saïf al Islam avait quelques ambitions culturelles. Dans l’espoir de placer la Libye sur la carte de l’art contemporain mondial, il avait organisé à Londres en 2002 l’exposition de ses peintures - largement moquées -, au titre prémonitoire: "Le Désert N’Est Pas Silencieux".
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