L’islamisme militant, souvent considéré en Occident comme incompatible avec la démocratie, a été discret dans les révoltes qui agitent depuis des semaines l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, notent des analystes. Et son slogan central -l’islam est la solution- qui a soutenu pendant des décennies des révolutions, des rébellions et des résistances, a été absent des manifestations...
...en Tunisie, en Egypte, à Bahreïn ou au Yémen. "C’est vrai que l’islam politique que l’on a connu a disparu", a assuré à l’AFP la sociologue libanaise Dalal Bizri, jointe au téléphone à Beyrouth.
Depuis les indépendances arabes, le Coran a été brandi par des présidents en quête de légitimité, comme l’égyptien Anouar Sadate, ou par des monarques absolus, comme les rois saoudiens. Et il a été utilisé par des extrémistes comme Oussama ben Laden ou par des tyrans assiégés comme Saddam Hussein. L’islamisme a servi de repoussoir à des dictateurs laïcs comme les présidents tunisien Zine El Abidine ben Ali ou égyptien Hosni Moubarak, et à des chefs militaires comme en Algérie, après leur prise de pouvoir de 1991.
Mais dans les récents évènements qui ont changé le paysage politique arabe "il y a eu peu mention de l’islam", confirme l’analyste Rami Khoury. "Les islamistes ont joué un rôle mineur". "Les gens veulent participer à la vie moderne, et ils ne veulent pas entendre parler du califat", assure Jon Randall, journaliste et auteur de plusieurs livres sur le Moyen Orient et d’une biographie d’Oussama ben Laden. "Je crois que les gens sont assez mûrs, et se demandent pourquoi ils ne peuvent pas avoir une société normale: ils veulent des existences normales", a ajouté le journaliste joint par l’AFP à Paris. Ce désir de normalité s’exprime dans les exigences avancées par les manifestants aussi bien en Afrique du Nord que dans les pays du Moyen Orient ou du Golfe. Les slogans sans connotation idéologique demandent plus de transparence politique, une meilleure répartition des richesses, et la fin de la corruption, qui depuis des décennies a été la marque du pouvoir dans le monde arabe. Et lorsque la religion est abordée comme à Bahreïn, c’est pour souligner l’unité des destins des grandes communautés du monde musulman: les sunnites et les chiites, dont l’opposition dans des pays comme l’Irak ou le Liban fait craindre l’explosion de conflits confessionnels. Pour autant, assurent les experts, les principes de la religion à laquelle se réfèrent des centaines de millions d’Arabes, a trouvé sa place dans le processus de transformation de leurs sociétés. Comme le souligne M. Khoury, pendant des décennies, les mouvements inspirés par l’islam ont été les seuls à se dresser contre des régimes autoritaires largement soutenus par l’Occident. Ils ont également été les seuls à organiser des résistances efficaces contre l’ennemi historique, Israël. "Et c’est eux qui ont rendu possible les récents progrès", a assuré à l’AFP, M. Khoury, "ils ont été à l’avant-garde du défi lancé contre les régimes en place". Outre ce travail de préparation, les organisations islamistes comme les Frères Musulmans en Egypte, sont venues rapidement en soutien des explosions de colères récentes alimentées avant tout par une jeunesse avide de modernité. "La Jeunesse des Frères musulmans s’est mobilisée immédiatement, puis la confrérie a mis ses moyens logistiques à la disposition des manifestants, sans chercher à monopoliser le message politique", a assuré Mme Bizri. Pour elle "l’islam traditionnel, un islam d’espérance et de non violence a joué son rôle dans les manifestations". "Il est clair que les nations veulent que les valeurs de l’islam influencent leurs sociétés", renchérit M. Khoury, "tout comme le font les valeurs du christianisme et du judaïsme. Des valeurs de tolérance, de charité et de fraternité".(Afp)
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