La situation dans la fonction publique avec les indemnités de transport et de logement jugées insuffisantes, continue de créer des remous. Les principales centrales syndicales et trois syndicats autonomes s’apprêtent à un débrayage général en mi-mars. Un préavis de grève a été déposé depuis le 11 février.
Un dialogue de sourd s’est installé entre les deux parties, le gouvernement et les syndicats. Dans cette situation de ni guerre, ni paix et en marge de la session du Bureau confédéral de la CGTM, nous avons rencontré M. Abdallahi Ould Mohamed dit "Nahah", Secrétaire général de la CGTM qui a accepté de parler du débrayage en perspective, des rapports avec les autres syndicats et du cas Hanafi Ould Dahah. Tahalil : Les principales centrales syndicales dont la vôtre se mobilisent pour un débrayage général prévu du 15 au 17 mars prochain. Qu’en est-il exactement ? Abdallahi Ould Mohamed : Effectivement, il y a les principales centrales syndicales du pays (CGTM, CLTM, CNTM, UTM) avec trois syndicats autonomes (SCDM, SPISM, SYNAPET-FP) ont décidé de déposer un préavis de grève après une attente relativement longue et après plusieurs actions menées parfois de façon conjointe, parfois de façon séparée pour amener le gouvernement à réfléchir sur son projet de revalorisation et d’introduction d’une indemnité de transport et du logement. Quand le décret a été pris et non encore promulgué, nous avons essayé d’anticiper pour demander le gouvernement de revenir sur sa décision pour deux raisons. La première raison c’est que l’acte lui même est illégal parce que l’article 25 du statut général de la fonction publique stipule clairement que pour toute modification du salaire et des avantages sociaux du fonctionnaire l’avis consultatif du conseil supérieur de la fonction publique et de la réforme administrative est obligatoirement requis sous peine de nullité du texte en question. Malheureusement ce texte n’a pas été soumis à l’avis consultatif du conseil consultatif encore moins il n’a pas été soumis à la négociation avec les organisations syndicales parce que tout simplement le gouvernement a préféré faire cavalier seul. Et cela ne règle pas le problème. Et comme le dit le sage Ghandi, « tout ce que tu fais pour moi, sans moi, tu le fais contre moi ». D’abord il faudrait qu’on se mette sur la table pour négocier. Et le meilleur moyen pour éviter les crises, c’est le dialogue et la négociation. Effectivement quand on n’a pas eu des réactions positives de la part du gouvernement, on a décidé de passer à une étape supérieure pour faire pression sur lui en vue de négocier. Notre objectif est de régler le problème. Et il ne peut être réglé que par la négociation. Ce préavis de grève qui a été déposé le 11 février dernier durera trois jours les 15, 16 et 17 mars. Mais nous souhaitons que le gouvernement ne s’entête pas, n’aille pas dans un bras de fer inutile parce qu’il a autre chose à faire, nous avons aussi autre chose à faire. L’essentiel c’est de se mettre à table, discuter avec ses organisations syndicales et trouver un consensus sur la question. Si cela n’arrive pas, et ce n’est pas notre souhait, nous serons obligés d’aller en grève sur toute l’étendue du territoire et pour toute la fonction publique sauf quelques fonctionnaires qui ne sont pas autorisés à aller en grève. Notre objectif ce n’est pas de paralyser la fonction publique mais de négocier pour trouver un consensus. Sinon, nous allons utiliser les moyens légaux que nous confère la loi pour ramener le gouvernement à la raison. T: Vos projets en perspective dans le domaine du partenariat international? AOM: Nous sommes affiliés à la Confédération Syndicale Internationale (CSI) où nous sommes sur plusieurs fronts. Nous sommes sur la question des rapports commerciaux, la question du rôle prépondérante de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), sur le congrès international qui doit se tenir au Canada. Nous sommes également dans un partenariat tripartite avec un certain nombre d’organisations syndicales espagnoles avec la mairie de Madrid, avec la confédération syndicale libérale de Belgique, avec la CSI Afrique. Aussi, nous sommes dans un cadre de partenariat sous régional avec les syndicats du Maghreb arabe. En plus de tout cela nous développons un partenariat avec les pays de la sous région ouest africaine, auxquels nous avons des relations privilégiées dans le cadre de l’OMVS, notamment avec les syndicats sénégalais et maliens. Mais un peu moins actifs avec les Guinéens. T: Quelles sont vos relations avec la CNTS du Sénégal et l’UNTM du Mali? AOM : Nous avons de très bons rapports avec la CNTS du Sénégal, l’UNTM et la CSTM du Mali avec lesquels nous entretenons des rapports assez suivis qui vont au-delà des rapports classiques. Avec la CNTS et l’UNTM nous développons des rapports sur la migration, sur les infrastructures de l’OMVS dans son volet énergétique au niveau de Manantali. Nos syndicats se concertent dans le cadre des négociations de nos travailleurs pour l’amélioration de leurs conditions de travail. T: Etes-vous au courant d’un projet de partenariat entre l’UNTM du Mali, la CNTS du Sénégal et la CLTM de Mauritanie dans le cadre de la défense des intérêts des travailleurs migrants de ces pays ? AOM : Nous savons qu’en marge de la journée internationale du travailleur migrant célébré le 18 décembre, quelques contacts ont été entrepris localement à notre insu d’ailleurs à un certain moment donné visant un partenariat intersyndical. Nous avons fait comprendre surtout à nos camarades du Sénégal et du Mali qu’il est impossible d’envisager une intersyndicale dans la sous région par rapport à la migration et la CGTM est en marge de tout cela. Puisqu’à un certain moment ils nous ont dit qu’il faut intégrer, qu’il faut rejoindre. Or nous, nous ne sommes pas de ce type. Nous sommes une organisation qui se respecte. Nous respectons nos partenaires et nous nous tenons aussi à ce que nos partenaires nous respectent aussi. Aujourd’hui, la Cgtm ne défend pas l’exclusivité de la défense des droits des travailleurs migrants dans notre pays mais nous sommes un acteur extrêmement important dans ce cadre et nous sommes tout à fait preneur et même demandeur d’un large front syndical dans ce pays pour défendre les droits des travailleurs migrants sur des bases de principes mais non pas sur des bases qui en fait, ne sont pas claires. Entre nous mauritaniens, nous sommes contre les étrangers et avec les étrangers nous sommes prêts à défendre leurs intérêts. Ce n’est pas pour remettre en cause l’intérêt des travailleurs mauritaniens mais seulement sur un principe directeur fondateur de notre organisation qui repose sur l’obligation de défendre les intérêts de tous les travailleurs sans distinction d’appartenance nationale, ni ethnique, ni religieuse ni d’origine sexuelle. Cela constitue un règlement fondateur de notre organisation. Donc, nous ne pouvons pas tenir deux discours différents sur la même question. Pour revenir à cette question, tout ce que nous savons, c’est qu’à un certain moment donné il y avait cette tentative. Mais en fait pour ne pas indisposer la Cgtm, parce que le processus a été entamé sans elle, nos camarades du Mali et du Sénégal se sont rendus compte de tout cela et ont décidé de façon très polie de reporter ça à une date ultérieure. Cela ne veut pas dire que le projet est mort-né, mais que cela mérite une réflexion plus approfondie pour créer un cadre plus performant, plus pertinent et plus rassembleur pour essayer de prendre ensemble cette problématique de la migration. T. : Un confrère, Hanafi Ould Dahah est maintenu en détention pour deux ans après avoir purgé une peine de 6 mois suite à un premier jugement. En tant que syndicaliste, que pensez-vous de la liberté de presse en Mauritanie ? AOM : Vous savez la question de la liberté de la presse est une question fondamentale. Nous le ressentons en tant qu’organisation ouvrière. En 1993, lorsque nous étions une seule organisation, on avait vécu une situation qui nous a obligé, en tant qu’organisation syndicale de prendre position publiquement. Entre autre la convocation des partenaires sociaux sur les libertés politiques dans ce pays. On avait réclamé l’instauration d’une démocratie pluraliste mais également nous avons pris position sur la question des droits humains. Vous savez à l’époque on avait plusieurs centaines de personnes qui, malheureusement pour leur appartenance ethnique, avaient été exécutées dans des conditions extrajudiciaires, inhumaines. Il y a beaucoup qui ont été torturés, il y avait beaucoup de violations. Nous avons dû réclamer par une lettre ouverte adressée aux militaires et au Président de la République, l’instauration d’une commission nationale indépendante pour enquêter sur cette question et faire toute la lumière. Je reviens sur cela pour tout simplement dire que cette situation constitue une menace pour tous mais également une menace pour chacun. Puisque quand les règles de droits ne sont pas une référence et une obligation pour tout le monde qui doit se référer et les respecter, c’est la loi de la jungle. Ceux qui sont forts aujourd’hui ne sont pas appelés à rester éternellement. Cela nous menace régulièrement et individuellement parce que chacun de nous peut se retrouver en prison où il va subir un arbitraire mais de façon isolée. Mais en fait cette multiplication des cas isolés finit par constituer une tendance générale et généralisée et donc constitue une menace pour tout le monde. T.H : Revenons à la question … AOM : Pour revenir à votre question, Hanafi, de notre point de vue, a été victime d’un règlement de compte politique. Et non pas parce qu’il a eu à violer des textes parce que ces textes n’existent même pas. Un, la presse électronique n’est pas réglementée non plus. Deux, c’est que dans cette affaire Hanafi pour laquelle il a été traîné devant les tribunaux, n’a pas été condamné pour cela, mais il a été condamné pour autre chose qu’on n’a même pas pu expliquer. Parce que Hanafi ou le site a eu à parler d’une question liée aux mœurs, on l’a condamné et les juridictions compétentes ont confirmé la condamnation après appel du Parquet sur cette situation. Il a purgé sa peine et encore on ressurgit pour le garder en prison sans aucun acte légal. On le condamne au niveau de la cour suprême par un jugement auquel il n’était pas représenté et le droit de défense n’y était pas. Mais ce n’est pas la personne de Hanafi qui nous préoccupe dans cette affaire malgré tout mon respect pour lui, qui mérite la liberté et tout le respect. Mais ce qui m’inquiète le plus, c’est la pratique elle-même. Qui de nous ne peut pas se retrouver en prison parce que nous sommes des syndicalistes et nous avons des opinions différentes à développer. Et pour ces opinions ils peuvent se retrouver en prison parce que le droit n’est pas respecté. Donc par rapport à la question de liberté, nous constatons trois éléments : la répression qui s’abat sur le journaliste, la restriction de l’accès aux médias publics qui deviennent des médias de propagande et non des médias d’information, le fait que le gouvernement traîne les pieds par rapport à la libéralisation de l’espace médiatique pour permettre à notre peuple d’avoir son droit constitutionnel de l’accès à l’information. Propos recueillis par Ibou Badiane
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