Dr Kane pouvez-vous présenter à nos lecteurs ?
Bonjour. Je m’appelle Ahmed Kane. Je suis médecin spécialiste en Chirurgie Pédiatrique et Chef de Clinique Assistant à la Faculté de Médecine de Nouakchott. Je suis par ailleurs Secrétaire Général du Syndicat des Médecins Spécialistes Mauritaniens
Vous venez dire que vous êtes le SG du Syndicat qui vient d’ailleurs de tenir une AG réunissant les médecins spécialistes, Pouvez-vous revenir sur l’ordre du jour de cette AG ainsi que ses objectifs?
En effet, le syndicat a tenu une Assemblée Générale Extraordinaire le 28 février 2013. Au cours de cette AG, nous avons essentiellement discuté de nos conditions de travail ainsi que du recrutement de personnels de santé étrangers par nos autorités.
Quelles ont été les conclusions phares de cette AG ?
Nous demandons une refonte complète de notre environnement de travail parce que nos moyens de travail sont dérisoires pour une prise en charge optimale de nos patients.Tous ceux qui fréquentent nos hôpitaux savent que l’organisation laisse à désirer…
Vous semblez être très insatisfaits des conditions de travail des médecins, alors que récemment le gouvernement a investi de façon considérable sur du matériel de pointe…
C’est vrai et nous saluons les efforts du gouvernement pour nous mettre au niveau de nos voisins. Le seul problème, c’est que nous avons inversé la pyramide. Nous disposons de matériel lourd, performant et très coûteux mais nos urgences sont dépourvues de matériel peu coûteux comme les Scopes (appareils pour suivre l’évolution de la tension artérielle, de la fréquence cardiaque…), les barboteurs pour oxygéner les malades en détresse respiratoires, les électrocardiogrammes, etc.
Beaucoup d’analyses dont les résultats permettent de prendre de bonnes décisions thérapeutiques ne sont pas disponibles en urgence. Et plus grave, il n’y a pas de médicaments pour prendre en charge les cas très urgents. Vous avez tous eu à sortir de l’hôpital pour aller dans une pharmacie acheter des gants, du sérum pour une perfusion etc… alors que vous accompagnez un malade dans nos urgences. Ceci estinacceptable ! Surtout quand les parents du malade sont indigents.C’est dire que nous exerçons dans des conditions déprimantes.
Est-ce que ce n’est pas aussi un problème d’incompétence des médecins ?
Dire des médecins mauritaniens qu’ils sont incompétents n’est pas exact. A ce jour, ils ont tous été formés dans de prestigieuses universités étrangères (la première promotion de notre Faculté de Médecine étant en 6eannée), et ils sont souvent parmi les plus brillants. Au Sénégal par exemple, il n’y a que 4 postes pour tous les étrangers au concours d’internat qui permet chaque année de sélectionner les meilleurs étudiants en médecine pour une carrière d’enseignant et plusieurs fois, tous les postes ont été remportés par des mauritaniens. Beaucoup parmi nous ont terminé leur spécialisation en étant major de leurs promotions.
Des médecins spécialistes et généralistes formés dans différents pays ne peuvent pas tous devenirs médiocres une fois rentrés au pays. Le problème, incombe en grande partie à nos conditions de travail.
D’aucuns disent que les médecins sont invisibles à leur lieu de travail, préférant plutôt amasser de l’argent dans le privé ?
Quand vous dites que nous amassons de l’argent dans le privé, c’est trèsexagéré. Nous cherchons juste de quoi survivre. Un médecin spécialiste donc ayant un bac + 12 années d’études universitaires a un salaire inférieur à 200.000 UM. C’est la moitié du salaire d’ouvrier dans certaines sociétés minières. Vous comprenez donc qu’on puisse, en dehors des heures de travail, chercher à arrondir nos fins de mois. Et, je vous assure qu’il y a moins de 10% des médecins qui gagnent assez bien leur vie dans le privé.
Vous savez, notre métier est très ingrat. Combien de personnes sont soignés tous les jours dans les hôpitaux publics par un personnel dévouémalgré les conditions que vous savez? Comme dans toutes les professions, nous avons parmi nous quelques collègues qui ne jouent pas franc jeu mais nous voulons qu’ils soient dénoncés.
La Mauritanie est un des pays ou le médecin spécialiste est le plus accessible dans les hôpitauxpublics. Ailleurs, ce sont des médecins en spécialisationappelés internes des hôpitaux ou résidents qui sont en première ligne et les spécialistes s’occupent plus de la supervision et des cas un peu plus complexes. Ici, c’est nous qui sommes au devant du fait du déficit en ressources humaines.
Récemment le gouvernement vient de recruter des dizaines de médecins étrangers dont beaucoup de Tunisiens pour combler ce déficit…
Vous me permettez d’aborder le deuxième point important de l’ordre du jour de notre AG. Concernant les Tunisiens, il s’agit de 37 infirmiers spécialisés (en Anesthésie et en Radiologie) qui sont payés 1250 euros par mois et un seul médecin réanimateur qui est affecté au service des urgences du Centre Hospitalier National qui, lui gagne 3000 euros par mois. Sur le terrain, la plupart des ces collègues se sont avérés moins compétents que les mauritaniens.
La confraternité m’empêche d’en dire plus. Vous êtes journaliste et vous pouvez faire votre propre investigation. Nous avons tenu une réunion au ministère sur ce problème et un des directeurs nous a demandé de les former et les encadrer étant donné que ce sont nos frères qui sont venus nous aider à combler notre déficit. Nous sommes donc dans une situation jamais vue dans le monde. A travail égal voire moindre, un étranger gagne 6 fois le salaire d’un national. On aurait pu comprendre s’ils étaient venus nous former mais nous demander de les former est très frustrant pour nous.
En tant que syndicat regroupant des spécialistes dont la plupart ont été formés dans des grandes universités de par le monde, quelles sont selon vous les leviers pour l’amélioration de la santé des Mauritaniens ?
Nous pensons qu’il faut organiser de grandes concertations nationales sur la santé dans notre pays. Nous sommes optimistes parce que nous savons que la santé est une des grandes préoccupations du Président de la République et nous espérons qu’il réponde favorablement à la demande d’audience que nous avons introduite pour lui exposer nos propositions. En tant que praticiens, nous sommes prêts à nous remettre en cause et nous attendons des autorités qu’elles nous mettent dans de bonnes conditions de travail. Bien entendu, nous exigeons d’être alignés sur les salaires de nos frères étrangers.
Propos receuillis par Isselmou Ould Moustapha
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