La police use de violence disproportionnée(Sos-Esclaves)   
23/05/2010

Le contexte: En début de soirée, le vendredi 21 mai 2010, vers 21 heures, un jeune homme, d’origine syrienne, s’introduit dans le domicile, rez-de-chaussée, d’une ressortissante espagnole à Tevragh Zeïna, quartier résidentiel de Nouakchott ; il la menace, verbalement, de la tuer et de mettre fin à ses propres jours si elle n’acceptait pas de l’épouser, le jour même.



La femme connaîtrait l’homme pour avoir entretenu, avec lui, une relation sentimentale, depuis quelques années avant de souhaiter y mettre fin, après avoir senti, chez lui, une certaine instabilité psychologique. Depuis, il la harcèle, quotidiennement, au téléphone, ce à quoi elle répond, dans un premier temps, avec fermeté, lui demandant de la laisser tranquille une fois pour toutes. Toutefois, au fil du temps il lui semble que l’individu devient moins susceptible de commettre des actes irréfléchis : elle se met à lui répondre parfois au téléphone sur un ton moins hostile mais toujours en insistant sur le terme de leurs rapports antérieurs ; elle le reçoit même, quelques fois chez elle, pour boire un café ou un rafraîchissement.

Il s’agit d’une femme au tempérament artiste, originale dans sa vision du monde mais de bonne moralité, honnête, généreuse et ouverte sur les autres, comme en témoigne l’unanimité des témoignages recueillis. Elle s’avère aussi d’une santé fragile, sujette à une faiblesse cardiaque compliquée par le mal fonctionnement de son pacemaker.

Le vendredi soir donc, affolée d’avoir cru voir un révolver sur l’homme qui s’est également emparé, dans la cuisine, d’un grand couteau, la femme tente de l’amadouer et finit par obtenir de lui l’autorisation de téléphoner ; il lui impose, toutefois, de laisser le haut parleur en marche pour pouvoir suivre les conversations successives ; elle tentait de prévenir des amis de la situation et, lui fait-t-elle croire, solliciter leur aide afin de mobiliser le personnel indispensable à la formalisation, immédiate, de l’union conjugale ; parmi les personnes ainsi averties, elle parvient à alerter une personnalité de l’Ambassade d’Espagne (qui à son tour alertera ses collègues) et lui fait comprendre que l’agresseur était armé.

Le lot d’appartements est rapidement encerclé par les forces polices vraisemblablement alertés par les diplomates, cependant que se forme un attroupement, de plus en plus important, de civils piquées par la curiosité.

Le dilemme

Les heures passent et personne ne semble se décider sur la démarche à suivre pour dénouer une situation qui semble potentiellement dangereuse pour la femme. Les représentants de l’ambassade espagnole, en particulier, semblent extrêmement perturbés par l’idée que l’homme détienne une arme. L’improvisation qui parait avoir marqué les opérations a de fait renforcé les risques d’un dénouement tragique du fait divers, tant par la maladresse des actions entreprises que par la lenteur des prises de décision :

    Dans un premier temps, il est proposé de faire semblant d’accéder au vÅ“u de l’homme et d’envoyer, dans l’appartement, trois ou quatre civils qui mimeraient un mariage ; une fois l’atmosphère plus détendue, ils neutraliseraient l’agresseur avant de prévenir la police qui l’arrêterait alors dans les formes. L’option est finalement rejetée par les responsables mauritaniens face aux inquiétudes des diplomates.

    S’ensuit un assaut maladroit, par quelques policiers, qui tentent, vaguement, de forcer la porte mais sont sans trop de conviction effrayés par la perspective de servir de cible au présumé auteur du rapt. Un policier, peut-être pris de panique, tire d’ailleurs une balle, ce qui augmente la tension de l’agresseur lequel décide de barricader la porte d’entrée de l’appartement, grâce à des meubles lourds, rendant l’accès très difficile à forcer.

    Dans un second temps, une dizaine de snipers se postent alentour, durant un peu moins d’une heure puis repartent, tout d’un coup.

    Commençant à prendre conscience du danger à faire durer l’attente et suite aux appels de la femme à des ami(e)s ou représentants de l’ambassade, et sur demande de la femme qui insiste sur ce point, les forces de l’ordre de retirent de la place face aux appartements et se tiennent dans une rue adjacente, en embuscade.

    C’est à ce moment là que leurs chefs acceptent de se servir d’une amie à qui la femme otage vient de téléphoner –vers 1 heure du matin- la priant de venir dans l’enceinte de l’appartement ; la victime n’accordait plus de confiance aux autres acteurs en présence ; cette amie, inquiète de la situation, se trouvait sur les lieux après avoir été informée par une connaissance commune. Les policiers la chargent alors, formellement, de vérifier la présence effective d’une arme à feu, de parvenir à la faire sortir si elle existait ; dans ce cas, les forces de police lui affirment à plusieurs reprises qu’ils se retireraient, « n’ayant dans ce cas plus rien à faire ici », selon les propos de la personne qui lui a été présentée comme étant le Directeur Régional de la Sûreté (DRS).

L’homme refuse de laisser l’amie entrer dans l’appartement car il n’entend pas déplacer les objets contre la porte mais finit par accepter une ouverture dans la fenêtre ; ce faisant, il finit par lui tendre l’arme qui se révèle- y compris à la surprise de la victime -  un jouet en plastique, rapidement récupéré par un policier en civil resté dehors à la porte d’entrée de l’enceinte de l’appartement. L’agresseur garde, toutefois, à la main, un grand couteau de cuisine.

    Alors qu’elle tentait de persuader l’individu de l’absurdité de la situation et du fait que la police ne quitterait pas le périmètre tant que tout danger ne serait pas écarté, elle réalise qu’un policier en civil est tapi à ses pieds. Tandis qu’elle lui fait signe de la main de quitter les lieux voilà que son portable sonne, maladresse curieusement non perçue par l’agresseur. L’amie fait alors semblant d’avoir entendu un bruit et dit, aux deux personnes dans l’appartement, qu’il y a quelqu’un d’autre dans la cour et qu’elle va lui demander de sortir.

    La victime insiste pour que l’amie reste, à ses côtés, au bord de la fenêtre et lui demande d’effectuer les appels nécessaires pour réunir les acteurs à la parodie de mariage, ce qu’elle fait auprès d’une diplomate espagnole présente sur les lieux non loin de l’appartement, et préalablement informée du scénario. C’est alors qu’autour de 3h et demi du matin, s’engouffre une dizaine de représentants d’une brigade spéciale (antiterroriste ?), contrairement aux engagements pris par les responsables des opérations au moment où l’amie s’est rendue dans l’enceinte de l’appartement. Cette décision était très risquée dans la mesure où les policiers en civils, restés tapis dehors à l’écoute des échanges entre l’amie et le couple enfermé à l’intérieur de l’appartement entendaient bien que la porte avaient été barricadée lourdement et l’individu tenait toujours un couteau.

Improvisation et brutalité

Les responsables des forces de sécurité en présence avaient été prévenus, dès le départ, par les diplomates espagnols, présents sur les lieux, que la femme souffrait de faiblesse cardiaque ; pourtant, l’amie présente dans la minuscule cour au moment de l’assaut des ‘forces spéciales’ a vu la manière dont elle a été bousculée, cognée aux meubles cassés jonchant l’appartement, et contrainte physiquement comme une criminelle au moment de la faire sortir, alors que son agresseur était déjà neutralisé et qu’elle était blessée, en plusieurs endroits, blessures qui heureusement s’avèreront superficielles.

Une fois sur la place face au lot d’appartements, l’homme est brutalement jeté à terre, encerclé par 5 ou 6 membres de la brigade spéciale et frappé, sur tout le corps et en de nombreuses fois à la tête et au visage, et ce, pendant plusieurs minutes. Il perd conscience lorsqu’on le balance en le tenant par les pieds et les mains dans un pick up qui démarre en trombe et dérapage contrôlé, comme dans un mauvais film d’action. L’attitude en dit long sur la ‘culture’ ou ‘psychologie du métier’ actuelle au sein de ces unités dites ‘d’élite’. Un autre témoin, tout de même ému par tant de violence inutile, dira même que l’agresseur était « foutu » et « ne passerait probablement pas la nuit entre de telles mains ».
 
Accessoirement, les responsables de l’opération ont menti à l’amie qui a bien voulu se rendre dans l’enceinte de l’appartement. et se retrouvera, en fin de compte, prise au beau milieu de l’assaut irréfléchi de la brigade spéciale ; elle ne manquera pas d’y être jetée à terre pour avoir crié que la porte de l’appartement ne pouvait pas céder en quelques coups de pieds, ce qui mettait potentiellement des vies en danger; en effet, le geste irréfléchi donnait le temps, à l’agresseur, de paniquer et peut-être de céder à des gestes dangereux à l’égard de la femme tenue en otage ; cette amie, les voyant tous pointer (y compris sur elle) des armes dégageant un filet le lumière rouge, les suppliaient également de ne pas tirer car il n’y avait pas d’arme à feu dans l’appartement.

 Il importe de noter que cette même amie, à son arrivée sur les lieux vers minuit, a été violemment prise à partie par des éléments de police, de même que son mari, venu avec elle ; les agents agissaient ainsi sur instruction d’un individu présenté comme l’un des commissaires du Ksar. 

Sur le lieu de l’assaut final, son téléphone est réquisitionné car, lui dit-on, elle aurait pris des photos, soupçon ce qui s’avèrera infondé et lui vaudra des « excuses » (uniquement verbales) quand elle le déchargera le lendemain au commissariat du 4e arrondissement.

Dans le même sens, à l’extérieur de l’enceinte de l’appartement, la caméra de la représentante de la chaine privée sur Internet DAVA TV est embarquée, par les responsables des opérations.
 
Le garçon, d’origine syrienne est toujours en garde à vue au Commissariat 1 de Tevragh Zeïna. Nul n’est autorisé à lui rendre visite,  sans l’aval du procureur de la République ; SOS Esclaves, association généraliste de défense des droits de l’Homme et d’assistance aux étrangers sur le territoire mauritanien, suit le cas de très près étant donnée la violence qui a prévalu à son arrestation et le fait que, étranger, il ne bénéficie pas d’appuis susceptibles d’influer sur le comportement de la police.


SOS Esclaves
Nouakchott, le 23 mai 2010


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