Reportage : Le wharf, une citĂ© perdue   
04/11/2008

Il y’a encore quelques années, le quartier du wharf profitait d’un statut particulier : il était largement méconnu de la majorité des nouakchottois. Son évocation renvoyait dans la mémoire collective à un site perdu dans les confins de l’océan. Hormis ses habitants qui ralliaient quotidiennement la ville, la distance constituait une barrière suffisante pour le gros des citadins.



Seulement, voilĂ , la ville de Nouakchott s’est tellement agrandie que plus aucun pouce de terrain ne demeure vierge. Mais, au quartier du wharf, on vit toujours comme il y’a trois dĂ©cennies. Mis Ă  part le climat relativement doux, bien de galères accompagnent la vie des  populations.

Petite agglomĂ©ration d’une cinquantaine de logements que les autoritĂ©s du wharf de Nouakchott avaient construits pour y installer leurs employĂ©s, le quartier Ă  qui on a attribuĂ© le nom de l’infrastructure portuaire a vu, depuis,  se greffer autour de lui des centaines de baraques. Cette occupation sauvage de terres que l’on connaĂ®t si bien sous les cieux de notre capitale a fini par phagocyter les quarante neuf bâtiments initiaux. Seules les bâtisses de la citĂ© douanière situĂ©es sur la droite de la route bitumĂ©e ont Ă©chappĂ© Ă  la boulimie de la «gazra». De sĂ©rieux problèmes ont depuis lors surgi dans l’environnement de ces gens. En effet, dans ces milieux en grande majoritĂ© ouvrières et martiaux, le boom dĂ©mographique est manifeste. C’est ce qui explique que par moments, la citĂ© donne l’air d’être minuscule pour les populations qu’elle abrite, d’oĂą un malaise visible chez les jeunes que l’on voit traĂ®ner tout le long de la journĂ©e devant les quelques commerces de la place ou les rudimentaires salles de jeux installĂ©s ici et lĂ . Les adultes, pour ceux qui bĂ©nĂ©ficient de logements officiels, sont soldats, gendarmes ou personnes travaillant en ville. Les locaux en question sont pratiquement tous sous-louĂ©s par les bĂ©nĂ©ficiaires initiaux. C’est un système très courant ici dit-on. Une chose est quand mĂŞme remarquable au wharf, c’est que les gens, quelque soit leur statut ou leurs activitĂ©s, partagent une activitĂ© commune : la pĂŞche. Ceci est dĂ» Ă  la proximitĂ© d’avec la mer. C’est pourquoi les après-midi, il n’est pas rare de  voir des soldats troquer le treillis contre une tenue de pĂŞche. Il en est de mĂŞme pour des salariĂ©s ordinaires. D’autres, n’ont aucune autre source de revenus que la pratique de la pĂŞche. Ces gens lĂ  s’y adonnent Ă  temps plein. Mais  comment ? C’est le cas de Mohamed Ould Boyeh (photo en illustration). La quarantaine bientĂ´t entamĂ©e, l’homme jouit d’un respect certain dans le quartier du wharf. Il est tout aussi incontournable au niveau de son quartier qu’il constitue une rĂ©fĂ©rence avĂ©rĂ©e sur la jetĂ©e du vieux port oĂą les pĂ©cheurs aguerris vous diront toujours : « Va voir Mohamed ! » pour une canne Ă  pĂŞche cassĂ©e, un moulinet inopĂ©rationnel ou le meilleur site de pĂŞche sur les cĂ´tes de nos plages.
Les avatars d’un environnement déprimant
Le natif du quartier cĂ´tier ne baigne pas dans une mer d’optimisme, parlant de son bled : «Vivre au wharf aujourd’hui est loin d’être agrĂ©able. Nous faisons face Ă  d’énormes problèmes d’existence. En effet, le principal  souci est celui du manque d’eau. Il n’y en a pas ici. Regardez ces centaines de bidons posĂ©s lĂ . Leurs propriĂ©taires attendent que la citerne que vous voyez Ă  cĂ´tĂ© soit remplie pour qu’ils puissent s’approvisionner. Et pour remplir la citerne, nous comptons sur une femme d’origine russe du nom d’Elena qui nous envoie rĂ©gulièrement de l’eau .C’est par mes soins que nous avons obtenu cette aide. Lorsque l’eau nous manque c’est moi-mĂŞme qui l’appelle de mon tĂ©lĂ©phone et aussitĂ´t elle nous envoie un camion-citerne. » Pendant que Mohamed Ă©voque les turpitudes de la vie dans cette excroissance de Nouakchott,  l’on peut lire sur son visage le sentiment de dĂ©pit reconnaissable chez les personnes leaders mais totalement dĂ©sarmĂ©es devant une adversitĂ© envahissante. Il a beau montrer un calme olympien, l’expression des traits de son visage traduit un grand dĂ©couragement. Il ajoute : « Nous sommes victimes d’une pollution Ă  grande Ă©chelle. Nous respirons la poussière des deux cimenteries dont vous pouvez voir l’impact sur les maisons. » En effet, une pellicule grise recouvre toutes les surfaces prĂ©sentes. Il poursuit ! « Il en est de mĂŞme pour les deux usines de gaz. Tout dĂ©pend de la direction du vent. S’il tourne de notre cĂ´tĂ©, nous ne respirons que de la poussière et du gaz. » Le problème de ce quartier rĂ©side Ă©galement dans le fait que les produits de consommation de première nĂ©cessitĂ© s’obtiennent Ă  des prix faramineux. En effet, du fait de la distance qui sĂ©pare le coin des grands centres urbains, les quelques commerces existants taxent au plus fort les riverains. C’est ainsi que le kilogramme de sucre s’y vend Ă  200 um contre 140 um en ville, Le kilogramme de riz Ă  250 um contre les 200 um frĂ©quents. Les sardines, menu quotidien des dĂ©munis se vendent 80 um la pièce tandis que dans les marchĂ©s, leur prix est de 20 um. Un vĂ©ritable goulot d’étranglement pour ces masses vulnĂ©rables.
La solution au féminin
 C’est pour juguler cette situation que quelques femmes ont eu l’idĂ©e de mettre sur pied une boutique communautaire. Cette trouvaille Ă´ combien judicieuse a le mĂ©rite de permettre Ă  ses membres de contourner les spĂ©culateurs et de faire profiter les rĂ©sidents de ses avantages. Hawa Mint Hebboul, assise aux cĂ´tĂ©s de Messaouda Mint Habib Ă©claire : « Nous sommes 26 femmes Ă  avoir dĂ©boursĂ©es 12 000 um chacune pour monter cette boutique. Il y’a trois ans de cela. Nous nous organisons pour que de manière cyclique,  trois femmes tiennent le commerce pendant un mois au bout duquel, les bĂ©nĂ©fices sont partagĂ©s en deux parts Ă©gales. Une va Ă  la boutique, l’autre revient aux femmes en question. » Hawa de poursuivre : «Que voulez-vous ? Il faut bien vivre. Les prix que nous pratiquons sont bien moins chers que ceux des boutiques. De plus, mĂŞme si je ne dispose que de 100 um, je peux obtenir tout ce dont j’ai besoin sur crĂ©dit. C’est tout le monde qui y gagne ! » Le groupe de femmes prĂ©sentes acquiesce. Elles sont toutes membres associĂ©es de la boutique et mĂŞme lorsqu’elles ne sont pas de service, elles viennent tous les jours deviser ensemble sur le perron de leur avoir commun. Comme quoi malgrĂ© l’éloignement et l’absence de toute perspective riante, tout le monde n’a pas baissĂ© les bras. En attendant, une armĂ©e de femmes et d’enfants ont pris position devant la citerne d’eau et attendent l’eau d’Elena pendant que les camions pelleteuses et la cheminĂ©e de Ciment de Mauritanie crachent une fumĂ©e grisâtre sur les tĂŞtes. C’est la vie et, nous sommes au wharf.
Biri N’diaye
    
      Mohamed Ould Boyeh, il y est nĂ© et y a grandi

Mohamed Ould Boyeh est sans aucun doute ce que l’on peut appeler la personne ressource par excellence. OĂą que l’on tourne dans sa citĂ©, il y est omniprĂ©sent tant il a liĂ© sa vie Ă  celle du quartier du wharf. Il a Ă©tĂ© Ă  bonne Ă©cole car il y est nĂ© et y a grandi. L’homme s’investit dans toutes les activitĂ©s du quartier mais son occupation première demeure la pĂŞche. Tout petit dĂ©jĂ , il a appris le ba ba de la prise des poissons. La pĂŞche est toute sa vie. C’est pour cette raison qu’il y consacre tout son temps. Il quasiment impossible de trouver Ă  Nouakchott et probablement ailleurs en Mauritanie quelqu’un qui connaĂ®t mieux que lui l’art de la pĂŞche, les meilleurs sites de pĂŞche mais aussi les dessous et secrets de la canne Ă  pĂŞche. Dans son atelier situĂ© sur le bord de la route du wharf, l’on trouve des centaines de cannes et des moulinets en très grand nombre. Ils sont lĂ  pour rĂ©paration. En effet, l’homme passe pour ĂŞtre maĂ®tre dans la rĂ©paration du matĂ©riel de pĂŞche. Mohamed, c’est aussi celui qui approvisionne les pĂŞcheurs en plombs et en cuillères dont il a le seul secret de prĂ©cision dans la fabrication. L’intĂ©rieur de l’atelier rĂ©vèle Ă©galement des objets d’art. Ce sont des coquillages sur lesquels il a apposĂ© des figures et des arabesques mais Ă©galement des colliers fait Ă  partir d’arĂŞtes de poissons. Mohamed a tout pour bien vivre de sa passion mais il se plaint d’un dĂ©ficit de reconnaissance : «  Je ne suis pas enregistrĂ© au ministère de l’Artisanat et du Tourisme. Je voudrais avoir un papier ou un badge signĂ© par le ministère pour pouvoir exercer mon mĂ©tier de guide. Tenez quand je me rends au Banc d’Arguin avec des touristes ou autres expatriĂ©s, les soldats m’empĂŞchent d’entrer. Ils veulent de l’argent. Ça n’est pas normal ! » Tout en parlant, il exhibe des photos immortalisant des prises de pĂŞche antĂ©rieures. « Je possède un site Internet c’est : pĂŞcheaubancd’arguin.blogspot.com et j’aimerais que l’on me laisse faire mon travail de guide ; c’est ce manque Ă  gagner qui m’a poussĂ© Ă  ouvrir cet atelier.»


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