La presse a depuis quelques jours pris le parti de s’engager résolument vers l’information liée à la corruption et à la fraude économique en général. C’est une bonne chose car la protection des fraudeurs et de leurs complices passe aussi par le silence de la presse.
Je me permets ici de contribuer à ce débat national depuis que j’ai pu lire qu’un ex responsable public a fait un aveu de mauvaise gouvernance tout à son honneur car un homme n’est jamais définitivement mauvais, ni jamais irrécupérable par la communauté. De tels hommes devraient être à mon avis réhabilités en en bon exemple pour les récidivistes et détourneurs de tous bords.
Avant de proposer des remèdes, il convient d’abord de définir ce qu’est la corruption et d’en analyser sommairement les causes. La corruption peut être définie comme étant le détournement d’un processus de décision impliquant une interaction entre une ou plusieurs personnes dans le dessein, pour le corrupteur, d’obtenir des avantages ou des prérogatives particulières ou, pour le corrompu, d’obtenir une rétribution en échange de sa bienveillance. Elle peut concerner toute personne bénéficiant d’un pouvoir de décision, que ce soit une personnalité politique, un fonctionnaire, un cadre d’une entreprise privée, etc.… On distingue la corruption active de la corruption passive. La corruption active consiste à proposer de l’argent ou un service à une personne qui détient un pouvoir en échange d’un avantage indu. La corruption passive consiste à accepter cet argent. Un exemple classique est celui d’un homme politique qui reçoit de l’argent à titre personnel ou pour son parti de la part d’une entreprise de travaux public et en retour lui attribue un marché public. L’homme politique pourrait être accusé de corruption passive : il a reçu de l’argent, alors que l’entreprise peut, elle, être accusée de corruption active. La corruption est un phénomène qui touche tous les pays mais les conséquences sont inégales selon que l’on se situe dans un pays développé ou dans un pays en développement. Les pays pauvres se voient privés des opportunités de décoller économiquement et d’offrir les services de base aux populations. En Mauritanie les conséquences de la corruption sont visibles à l’œil nu comme dans tout pays d’égal niveau de développement. Alors que les budgets sont votés annuellement pour des dizaines de milliards d’unité monétaire, on peut constater, par exemple, que les écoles publiques ne sont pas fournies en infrastructures scolaires et universitaires ; les hôpitaux ne disposent ni de l’environnement, ni des moyens techniques nécessaires à prendre en charge les malades, les routes sont peu sûres et n’offrent pas les standards de sécurité indispensables pour protéger la vie des citoyens et des voyageurs en général. La corruption peut aussi avoir un effet radicalaire, c’est le cas quand, par exemple, les personnes chargées de la surveillance de la circulation et des règles liées au transport ferment les yeux sur les infractions : surcharge des camions de transport, absence de feux en croisière et de panneaux de signalisation en cas de panne ou de simples arrêt. Tout le monde sait que cette bienveillance des agents de sécurité publique est la cause indirecte des accidents mortels qui surviennent le plus souvent en fin de semaine quand les mauritaniens quittent les villes ou ils travaillent pour se rendre chez eux pour se reposer. Dans les villes et provinces de l’intérieur, il n’ y a pas d’ambulances ou ne disposent que d’une seule voiture. Lorsque le moyen de transport est utilisé par un malade, les autres sont condamnés à la mort, le plus souvent. La corruption devient ainsi le premier agent de mortalité dans le secteur de la santé. On peut comprendre ainsi pourquoi elle est très fortement réprimée dans les pays du nord ou même la responsabilité indirecte est criminalisée au même titre que les délits directs seuls, délits considérables dans les pays en développement.
A Nouakchott, on peut voir le procureur et les éléments de police judicaires se mobiliser pour un crime crapuleux ou une mort par noyade pour leurs effets spectaculaires mais rarement ou jamais agir pour s’attaquer à la prévention ou la responsabilité indirecte. La corruption a de nombreuses causes. On en citera les plus dominantes : - L’impunité, même après la découverte du délit. L’arsenal juridique mauritanien est encore assez nonchalant dans ce domaine où il suffit de rembourser tout ou partie des fonds spoliés pour disposer de sa liberté et redevenir un citoyen tout à fait honorable et, souvent, éligible à d’autres responsabilités quand le délit est classé ou tout simplement rangé dans l’oubli collectif par désuétude .
- L’absence de dénonciation soit par des collaborateurs, des collègues ou mieux encore par la presse dont le rôle, entre autres, est de surveiller la moralité publique et informer les lecteurs sur les délits de corruption active et passive. L’absence de publicité par la publication de la photo et de l’identité du corrupteur et du corrompu est une cause indirecte de la corruption.
- L’ignorance, dans la mesure où la plupart des agents corrompus ou corrupteurs ne savent pas quels risquent ils encourent en s’adonnant à l’enrichissement illicite. Très souvent, les acteurs de délit de corruption profitent impunément de leur pactole une fois remis en liberté, le plus souvent anticipée.
La pauvreté, la course à l’enrichissement, l’absence de projets économiques viables, l’inéquité dans le traitement des entreprises et des particuliers, la bienveillance des autorités (pendant plus d’une décennie, la corruption est pratiquement légalisée), la collusion entre fonctionnaires par le sang (on peut voir des membres d’une même famille sur toute la ligne des ordonnancements publics) sont les corollaires de la corruption qu’elle soit active ou passive.
Lutter contre la corruption n’est pas une action facile, surtout lorsqu’elle est bien établie dans les mœurs. Changer tout le personnel, chambouler toute une administration est trop spectaculaire et rencontre des résistances politiques et sociales dans les pays en développement. Les auteurs de délit deviennent alors aisément des victimes de règlement de comptes, de chasse aux sorcières, voire des boucs émissaires d’une politique ou d’un changement de régime. Aussi, il est recommandé d’agir au travers d’une véritable stratégie nationale qui prend en compte toutes les contraintes de nature à « corrompre » cette politique, c’est-à -dire de la dévier de ses objectifs originels qui sont de protéger les biens publics et instaurer une justice sociale, seule garantie de la stabilité politique et économique. Il conviendrait d’abord prendre des mesures conservatoires et transitoires sans se presser, car la moindre faute est sanctionnée par un échec dommageable pour la politique de lutte contre la corruption diligentée. Par exemple, dans le domaine des marchés publics, où l’urgence d’une action est évidente à plus d’un titre, il ne sert à rien d’exercer une action limitée « sur les consciences » si le code actuel n’est pas changé. Les critères de sélection, d’information et de recours des soumissionnaires ne donnent aucune garantie aux justiciables car l’institution responsable des marchés publics n’a aucune contrainte réglementaire et ne dispose d’aucun fonds documentaire et juridique organisé pour mener avec la transparence requise des décisions pourtant d’une importance capitale. C’est d’ailleurs pour cette raison que la plupart des bailleurs de notre pays ont instauré leur propre commission des marchés (utilisant leurs procédures et non les procédures nationales) pour échapper aux fourches caudines de la commission centrale ou des commissions départementales. A la décharge de ces instances publiques autonomes si décriées, les commissions techniques dévolues aux dépouillements et à la sélection finale ont composées de personnalités nommées pour « représenter » des administrations ou désignées ad hoc dans le cadre de certaines procédures et non selon leur profil de compétence dans le domaine. Comme mesure transitoire, l’état gagnerait à engager un appel d’offres international pour recruter un ou plusieurs cabinets dédiés au conseil à la sélection et la contractualisation au titre des marchés publics en attendant de disposer de procédures acceptables et probantes dans le cadre des appels d’offres, notamment internationaux. Et de former du personnel. Ces cabinets mèneront toute la procédure de A à Z et prendront comme base procédurale, par exemple, le fonds documentaire européen dont s’inspirent en partie – en partie seulement- nos procédures nationales. Ce fonds documentaire est par ailleurs conforme dans une large mesure au droit des contrats mauritanien. Il est bien entendu que cet appel d’offres destiné à sélectionner le ou les cabinet(s) de conseil en procédures de sélection en matière de marché public devra être diligenté par un bureau international et non par notre structure nationale, encore inapte pour des raisons techniques plus que par la valeur des hommes, à réaliser un tel travail. Au delà des procédures d’adjudication de nature à renforcer l’efficacité notre arsenal réglementaire de sélection national, il est envisageable de recruter des sociétés d’assistance internationales avec une notoriété et une compétence éprouvées pour gérer les approvisionnements et la maintenance pour les secteurs sociaux clés : la santé, l’éducation et les transports routiers par exemple. Les expériences « nationales » dans ce domaine ont eu les conséquences bien connues aujourd’hui du public alors qu’il est indispensable d’assurer la bonne continuité, du service (voire de le recréer) pour donner la confiance aux citoyens. Cette politique a un coût financier élevé mais elle a l’avantage de produire des effets immédiats en terme de bonne gouvernance et de rendre efficaces les fonds publics par rapports aux objectifs tracés par le gouvernement et permettront aux citoyens de toucher les effets des stratégies de développement soutenus à force de publicité depuis plusieurs années dans les médias officiels sans pour autant les atteindre. La rentrée nette de capitaux par tête d’habitant sera finalement plus élevée que dans le cas du maintien des structures de gouvernance actuelles lorsqu’elles existent. Autre mesure transitoire dans le domaine des marchés publics, véritable gangrène face aux contraintes nationales de développement et de justice sociale. Une soixantaine se personnes gèrent en réalité les fonds publics au travers de la commission centrale et des commissions départementales des marchés. Au delà des risques récurrents de mauvaise gouvernance voulue ou non, il reste que la capacité d’absorption des fonds budgétisés se trouve gravement ralentie au défriment de l’urgence de mobiliser des fonds de développement. Cela a deux conséquences directes génératrices de corruption et de récession économiques (comme corollaire indirect). D’abord, en fin d’année « on » se rend compte que des fonds ne sont pas utilisés et c’est dans la précipitation que tous les mauvais coups sont permis. Tout devient alors possible. Puis, la victime directe, ce sont les provinces qui deviennent le parent pauvre de l’affectation centralisée des fonds publics. On comprend maintenant pourquoi les villes de l’intérieur sont si démunies en infrastructures ou dépourvues des moyens les plus élémentaires pour assurer le minimum vital, comme la santé, l’éducation ou l’emploi. Décentraliser les commissions d’adjudication des marchés publics est une nécessité et une urgence pour le pays. Il est possible de commencer une expérience pilote pour les chefs lieu de région en associant les élus, les autorités régionales et des experts originaires (de préférence, comme cela ils auront des scrupules à défavoriser leur région ou leur agglomération) ou non de ces villes. En responsabilisant les régions, non seulement on contribue à limiter la fraude économique en facilitant les contrôles et en minimalisant le risque de gestion concentrée mais on accélère opportunément la vitesse d’utilisation des capitaux dédiés à ce régions. Ainsi, « politiquement », si ces localités ratent le développement elles ne peuvent s’en prendre qu’à elles mêmes. Dans le même ordre d’idées, il ne sert à rien de légiférer si les textes promulgués le sont en redondance ou sont classés comme documents de fait secrets accessibles aux seuls initiés. Ceci est vrai en matière criminelle mais aussi dans le droit des affaires, fer de lance de la croissance économique et de l’ouverture à l’international. Le premier reflexe de l’investisseur ou du candidat au partenariat est de consulter sur le net les fonds documentaires qui les intéressent. Or ces informations, lorsqu’elles existent sont disséminées sur plusieurs sites et il devient malaisé de les utiliser ou simplement d’en prendre connaissance. Dans ces conditions, la Mauritanie limite ses chances d’accéder aux meilleures compétences mondiales et seules les firmes « habituées » - ou connaissant le marché pour avoir de manière fortuite tenté une expérience - prennent les risques de s’engager sans étudier préalablement les marchés cibles. La lutte contre la corruption ne se limite pas toutefois au seul droit des affaires et de ses effets en matière criminelle. Le principe de la responsabilité civile, autre moyen de freiner ou de limier la corruption est également d’instituer la peine criminelle en matière de responsabilité civile. J’ai perdu un ami et sa sœur au mois de juillet dernier, victimes qu’ils étaient d’un accident de circulation tragique non de la ville d’Akjoujt. Endormi, le chauffeur avait percuté un camion citerne stationné tous feux éteints sur la route. Tous feux éteints, n’est pas le terme approprié car j’ai moi-même failli être percuté par ce camion sur la passe de Hamdoune, à 25 kilomètres d’Atar. Le camion citerne n’avait aucun feu de signalisation à l’arrière ni sur les côtés comme l’exige la réglementation. Pourtant, j’avais saisi aussitôt le poste de contrôle de police à la sortie de la ville et comme réponse on m’avait dit que cela n’arriverait plus et qu’ils n’avaient rien remarqué au passage de ce camion. Le poste de gendarmerie situé plus en aval à Tarif au croisement de la route qui mène vers Tergit n’avait également « rien vu » et le camion a été responsable de la perte de vies humaines deux heures plus tard. La mort de ces personnes comme de centaines d’autres tous les ans sur nos routes n’est pas le fait de la seule fatalité. Pourtant la responsabilité des hommes de garde, de la police nationale et de la gendarmerie est engagée et si les peines prévues avaient été appliquées les personnes chargées des contrôles réfléchiraient par deux fois avant d’être « bienveillants » à l’égard des transporteurs fautifs. Je me suis attardé sur ce cas pour bien illustrer l’exemple mais les autres cas où le principe de l’application de la responsabilité civile peut être mis en avant sont nombreux et en les rendant connus des agents de la force publique bien des opportunités de corruption seraient évités.
Le phénomène de la corruption est universel et les conséquences sont inégales selon les pays. Les solutions ne se limitent pas seulement à recruter des nouvelles personne pressenties honnêtes à la place de personnes reconnues malhonnêtes. La mise en place d’unités de contrôles et d’inspection est une bonne chose mais le plus important est d’instituer des procédures connues de tous et non érigées ex nihilo par des compétences fortuites. Pour le cas de notre pays, il est indispensable de protéger la commande publique en prenant des décisions transitoire, le temps de mettre en place les textes e les organisant et en les mettant à disposition des usagers internes et externes. Je conclurai en racontant partiellement une expérience une anecdote que j’ai vécue il y a quatre ans. Reçu par un grand responsable chargé du contrôle des fonds publics (et il se reconnaîtra si jamais il lisait le présent article), il me dit en substance : « J’ai reçu votre plainte. J’ai bien fait vérifier que vous aviez raison. Mais c’est déjà signé pour approbation par le Premier Ministre. Et puis, la personne chargée de la gestion au plus haut niveau qui vous a lésé (remarquez qu’il n’a eu aucune pensée pour l’état) est devenue un élu politique et vous risquez de le trouver devant vous dans d’autres affaires. Je vous conseille amicalement doublier…» Pourtant la conséquence de l’acte de mauvaise gouvernance que je qualifierai ainsi pour simplifier les choses, avait eu pour effet de faire perdre à l’état plus de 200 Millions UM et de défavoriser l’entreprise en cause face aux enjeux d’avenir.
Abou Oubeid
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