DĂ©bats: Comment lutter contre la corruption ?   
19/10/2009

La presse a depuis quelques jours pris le parti de s’engager résolument vers l’information liée à la corruption et à la fraude économique en général. C’est une bonne chose car la protection des fraudeurs et de leurs complices passe aussi par le silence de la presse.



Je me permets ici de contribuer à ce débat national depuis que j’ai pu lire qu’un ex responsable public a fait un aveu de mauvaise gouvernance tout à son honneur car un homme n’est jamais définitivement mauvais, ni jamais irrécupérable par la communauté.
De tels hommes devraient être à mon avis réhabilités en en bon exemple pour les récidivistes et détourneurs de tous bords.

Avant de proposer des remèdes, il convient d’abord de définir ce qu’est la corruption et d’en analyser sommairement les causes.
La corruption peut ĂŞtre dĂ©finie comme Ă©tant  le dĂ©tournement d’un processus de dĂ©cision impliquant une interaction entre une ou plusieurs personnes dans le dessein, pour le corrupteur, d’obtenir des avantages ou des prĂ©rogatives particulières ou, pour le corrompu, d’obtenir une rĂ©tribution en Ă©change de sa bienveillance.
Elle peut concerner toute personne bénéficiant d’un pouvoir de décision, que ce soit une personnalité politique, un fonctionnaire, un cadre d’une entreprise privée, etc.…
On distingue la corruption active de la corruption passive. La corruption active consiste à proposer de l’argent ou un service à une personne qui détient un pouvoir en échange d’un avantage indu. La corruption passive consiste à accepter cet argent. Un exemple classique est celui d’un homme politique qui reçoit de l’argent à titre personnel ou pour son parti de la part d’une entreprise de travaux public et en retour lui attribue un marché public. L’homme politique pourrait être accusé de corruption passive : il a reçu de l’argent, alors que l’entreprise peut, elle, être accusée de corruption active.
La corruption est un phénomène qui touche tous les pays mais les conséquences sont inégales selon que l’on se situe dans un pays développé ou dans un pays en développement.
Les pays pauvres se voient privés des opportunités de décoller économiquement et d’offrir les services de base aux populations.
En Mauritanie les consĂ©quences de la corruption sont visibles Ă  l’œil nu comme dans tout pays d’égal niveau de dĂ©veloppement. Alors que les budgets sont votĂ©s annuellement pour des dizaines de milliards d’unitĂ© monĂ©taire, on peut constater, par exemple,  que les Ă©coles publiques ne sont pas fournies en infrastructures scolaires et universitaires ; les hĂ´pitaux ne disposent ni de l’environnement,  ni des moyens techniques nĂ©cessaires Ă  prendre en charge les malades, les routes sont peu sĂ»res et n’offrent pas les standards de sĂ©curitĂ© indispensables pour protĂ©ger la vie des citoyens et des voyageurs en gĂ©nĂ©ral.
La corruption peut aussi avoir un effet radicalaire, c’est le cas quand, par exemple, les personnes chargĂ©es de la surveillance de  la circulation et des règles liĂ©es au transport ferment les yeux sur les infractions : surcharge des camions de transport, absence de feux  en croisière et de panneaux de signalisation en cas de panne ou de simples arrĂŞt. Tout le monde sait que cette bienveillance des agents de sĂ©curitĂ© publique est la cause indirecte des accidents mortels qui surviennent le plus souvent en fin de semaine quand les mauritaniens quittent les villes ou ils travaillent pour se rendre chez eux pour se reposer.
Dans les villes et provinces de l’intérieur, il n’ y a pas d’ambulances ou ne disposent que d’une seule voiture. Lorsque le moyen de transport est utilisé par un malade, les autres sont condamnés à la mort, le plus souvent.
La corruption devient ainsi le premier agent de mortalitĂ© dans le secteur de la santĂ©. On peut comprendre ainsi pourquoi elle est très fortement rĂ©primĂ©e dans les pays du nord ou mĂŞme la responsabilitĂ© indirecte est criminalisĂ©e au mĂŞme titre que les dĂ©lits directs seuls,  dĂ©lits considĂ©rables dans les pays en dĂ©veloppement.

A Nouakchott, on peut voir le procureur et les éléments de police judicaires se mobiliser pour un crime crapuleux ou une mort par noyade pour leurs effets spectaculaires mais rarement ou jamais agir pour s’attaquer à la prévention ou la responsabilité indirecte.
La corruption a de nombreuses causes. On en citera les plus dominantes :
- L’impunitĂ©, mĂŞme après la dĂ©couverte du dĂ©lit. L’arsenal juridique  mauritanien  est encore assez nonchalant dans ce domaine oĂą il suffit de rembourser tout ou partie des fonds spoliĂ©s  pour disposer de sa libertĂ© et redevenir un citoyen tout Ă  fait honorable et, souvent, Ă©ligible Ă  d’autres responsabilitĂ©s quand le dĂ©lit est classĂ© ou tout simplement rangĂ© dans l’oubli collectif par dĂ©suĂ©tude .

- L’absence de dĂ©nonciation soit par des collaborateurs, des collègues ou mieux encore par la presse dont le rĂ´le, entre autres,  est de surveiller la moralitĂ© publique et informer les lecteurs sur les dĂ©lits de corruption active et passive. L’absence de publicitĂ© par  la publication de la photo et de l’identitĂ© du corrupteur et du corrompu est une cause indirecte de la corruption.

- L’ignorance, dans la mesure oĂą la plupart des agents corrompus ou corrupteurs  ne savent pas quels risquent ils encourent en s’adonnant Ă  l’enrichissement illicite. Très souvent, les acteurs de dĂ©lit de corruption profitent impunĂ©ment de leur pactole une fois remis en libertĂ©, le plus souvent anticipĂ©e.

La pauvretĂ©, la course Ă  l’enrichissement, l’absence de projets Ă©conomiques viables, l’inĂ©quitĂ© dans le traitement des entreprises et des particuliers,  la bienveillance des autoritĂ©s (pendant plus d’une dĂ©cennie,  la corruption est pratiquement lĂ©galisĂ©e), la collusion entre fonctionnaires par le sang (on peut voir des membres d’une mĂŞme famille sur toute la ligne des ordonnancements publics) sont les corollaires de la corruption qu’elle soit active ou passive.

Lutter contre la corruption n’est pas une action facile, surtout lorsqu’elle est bien établie dans les mœurs. Changer tout le personnel, chambouler toute une administration est trop spectaculaire et rencontre des résistances politiques et sociales dans les pays en développement. Les auteurs de délit deviennent alors aisément des victimes de règlement de comptes, de chasse aux sorcières, voire des boucs émissaires d’une politique ou d’un changement de régime.
Aussi, il est recommandé d’agir au travers d’une véritable stratégie nationale qui prend en compte toutes les contraintes de nature à « corrompre » cette politique, c’est-à-dire de la dévier de ses objectifs originels qui sont de protéger les biens publics et instaurer une justice sociale, seule garantie de la stabilité politique et économique.
Il conviendrait d’abord prendre des mesures conservatoires et transitoires sans se presser, car la moindre faute est sanctionnée par un échec dommageable pour la politique de lutte contre la corruption diligentée.
Par exemple, dans le domaine des marchĂ©s publics, oĂą l’urgence d’une action est Ă©vidente Ă  plus d’un titre,  il ne sert Ă  rien d’exercer une action limitĂ©e « sur les consciences » si le code actuel n’est pas changĂ©. Les critères de sĂ©lection, d’information et de recours  des soumissionnaires ne donnent aucune garantie aux justiciables car l’institution responsable des marchĂ©s publics n’a aucune contrainte rĂ©glementaire et ne dispose d’aucun fonds documentaire et juridique organisĂ©  pour mener avec la transparence requise des dĂ©cisions pourtant d’une importance capitale.
C’est d’ailleurs pour cette raison que la plupart des bailleurs de notre pays ont instaurĂ© leur propre commission des marchĂ©s (utilisant leurs procĂ©dures et non les procĂ©dures nationales) pour Ă©chapper aux fourches caudines de la commission centrale ou des  commissions dĂ©partementales.
A la dĂ©charge de ces instances publiques autonomes si dĂ©criĂ©es, les commissions techniques dĂ©volues aux dĂ©pouillements et Ă  la sĂ©lection finale ont composĂ©es de personnalitĂ©s nommĂ©es pour « reprĂ©senter »  des administrations ou dĂ©signĂ©es ad hoc dans le cadre de certaines procĂ©dures et non selon leur profil de compĂ©tence dans le domaine.
Comme mesure transitoire, l’état gagnerait Ă  engager un appel d’offres international pour recruter un ou plusieurs cabinets dĂ©diĂ©s  au conseil Ă   la sĂ©lection et la contractualisation au titre des marchĂ©s publics en attendant de disposer de procĂ©dures acceptables et probantes dans le cadre des appels d’offres, notamment internationaux. Et de former du personnel.
Ces cabinets mèneront toute la procĂ©dure de A Ă  Z et prendront comme base procĂ©durale, par exemple,  le fonds documentaire europĂ©en  dont s’inspirent en partie – en partie seulement-  nos procĂ©dures nationales. Ce fonds documentaire  est par ailleurs conforme dans une large mesure au droit des contrats mauritanien.
Il est bien entendu que cet appel d’offres destinĂ© Ă  sĂ©lectionner le ou les cabinet(s) de conseil en procĂ©dures de sĂ©lection en matière de marchĂ© public devra ĂŞtre diligentĂ© par un bureau international et non par notre structure nationale, encore inapte pour des raisons techniques plus que par la valeur des hommes,  Ă  rĂ©aliser un tel travail.
Au delĂ  des procĂ©dures d’adjudication  de nature Ă  renforcer l’efficacitĂ© notre arsenal rĂ©glementaire  de sĂ©lection national, il est envisageable de recruter des sociĂ©tĂ©s d’assistance internationales avec une notoriĂ©tĂ© et une compĂ©tence Ă©prouvĂ©es pour gĂ©rer les approvisionnements et la maintenance pour les secteurs sociaux clĂ©s : la santĂ©, l’éducation et les transports routiers par exemple.
Les expĂ©riences « nationales » dans ce domaine ont eu les consĂ©quences bien connues aujourd’hui du public alors qu’il est indispensable d’assurer la bonne continuitĂ©, du service  (voire de le  recrĂ©er) pour donner la confiance aux citoyens.
Cette politique a un coĂ»t financier Ă©levĂ© mais elle a l’avantage de produire des effets immĂ©diats en terme de bonne gouvernance et de rendre efficaces les fonds publics par rapports aux objectifs tracĂ©s par le gouvernement et permettront aux citoyens de toucher les effets des stratĂ©gies de dĂ©veloppement soutenus Ă  force de publicitĂ© depuis plusieurs annĂ©es  dans les mĂ©dias officiels sans pour autant les atteindre.
La rentrĂ©e nette de capitaux par tĂŞte d’habitant sera finalement plus Ă©levĂ©e que dans le cas du maintien des structures de gouvernance  actuelles lorsqu’elles existent.
Autre mesure transitoire dans  le domaine des marchĂ©s publics,  vĂ©ritable gangrène face aux contraintes nationales de dĂ©veloppement et de justice sociale. Une  soixantaine se personnes gèrent en rĂ©alitĂ© les fonds publics au travers de la commission centrale  et des commissions dĂ©partementales des marchĂ©s. Au delĂ   des risques rĂ©currents de mauvaise gouvernance voulue ou non, il reste que la capacitĂ© d’absorption des fonds budgĂ©tisĂ©s se trouve gravement  ralentie au dĂ©friment de l’urgence de mobiliser des fonds de dĂ©veloppement. Cela a deux consĂ©quences directes gĂ©nĂ©ratrices de corruption et de rĂ©cession Ă©conomiques (comme corollaire indirect). D’abord, en fin d’annĂ©e « on » se rend compte que des fonds ne sont pas utilisĂ©s et c’est dans la prĂ©cipitation que tous les mauvais coups sont permis. Tout devient alors possible. Puis, la victime directe, ce sont les provinces qui deviennent le parent pauvre de l’affectation centralisĂ©e des fonds publics. On comprend maintenant pourquoi les villes de l’intĂ©rieur sont si dĂ©munies en infrastructures ou dĂ©pourvues des moyens les plus Ă©lĂ©mentaires pour assurer le minimum vital, comme la santĂ©, l’éducation ou l’emploi.
DĂ©centraliser les commissions d’adjudication des marchĂ©s publics est une nĂ©cessitĂ© et une urgence pour le pays. Il est possible de commencer une expĂ©rience pilote pour les chefs lieu de rĂ©gion en associant les Ă©lus, les autoritĂ©s rĂ©gionales et des experts originaires (de prĂ©fĂ©rence, comme cela ils auront des scrupules Ă  dĂ©favoriser leur rĂ©gion ou leur agglomĂ©ration) ou non de ces villes. En responsabilisant les rĂ©gions, non seulement on contribue Ă  limiter la fraude Ă©conomique en facilitant les contrĂ´les et en minimalisant le risque de gestion concentrĂ©e  mais on accĂ©lère opportunĂ©ment la vitesse d’utilisation des capitaux dĂ©diĂ©s Ă  ce rĂ©gions. Ainsi, « politiquement », si ces localitĂ©s ratent le dĂ©veloppement elles ne peuvent s’en prendre qu’à elles mĂŞmes.
Dans le mĂŞme ordre d’idĂ©es, il ne sert Ă  rien de lĂ©gifĂ©rer si les textes promulguĂ©s  le sont en redondance ou sont  classĂ©s comme documents de fait secrets accessibles aux seuls initiĂ©s. Ceci est vrai en matière criminelle mais aussi dans le droit des affaires, fer de lance de la croissance Ă©conomique et de l’ouverture Ă  l’international.
Le premier reflexe de l’investisseur ou du candidat au partenariat est de consulter sur le net les fonds documentaires qui les intĂ©ressent. Or ces informations, lorsqu’elles existent sont dissĂ©minĂ©es sur plusieurs sites et il devient malaisĂ© de les utiliser ou  simplement d’en prendre connaissance. Dans ces conditions, la Mauritanie limite ses chances d’accĂ©der aux meilleures compĂ©tences mondiales et seules les firmes « habituĂ©es » - ou connaissant   le marchĂ© pour avoir de manière fortuite  tentĂ© une expĂ©rience - prennent les risques de  s’engager sans Ă©tudier prĂ©alablement les marchĂ©s cibles.
La lutte contre la corruption ne se limite pas toutefois au seul droit des affaires et de ses effets en matière criminelle.
Le principe de la responsabilité civile, autre moyen de freiner ou de limier la corruption est également d’instituer la peine criminelle en matière de responsabilité civile.
J’ai perdu un ami et sa sœur au mois de juillet dernier, victimes qu’ils étaient d’un accident de circulation tragique non de la ville d’Akjoujt. Endormi, le chauffeur avait percuté un camion citerne stationné tous feux éteints sur la route. Tous feux éteints, n’est pas le terme approprié car j’ai moi-même failli être percuté par ce camion sur la passe de Hamdoune, à 25 kilomètres d’Atar. Le camion citerne n’avait aucun feu de signalisation à l’arrière ni sur les côtés comme l’exige la réglementation.
Pourtant, j’avais saisi aussitĂ´t le poste de contrĂ´le de police Ă  la sortie de la ville et comme  rĂ©ponse on m’avait dit que cela n’arriverait plus et qu’ils n’avaient rien remarquĂ© au passage de ce camion. Le poste de gendarmerie situĂ© plus en aval Ă   Tarif au croisement de la route qui mène vers Tergit n’avait Ă©galement « rien vu » et le camion a Ă©tĂ© responsable de la perte de vies humaines deux heures plus tard. La mort de ces personnes comme de centaines d’autres tous les ans sur nos routes n’est pas le fait de la seule fatalitĂ©.
Pourtant la responsabilitĂ© des hommes de garde, de la police nationale et de la gendarmerie est engagĂ©e et si les peines prĂ©vues avaient  Ă©tĂ© appliquĂ©es les personnes chargĂ©es des contrĂ´les rĂ©flĂ©chiraient par deux fois avant d’être « bienveillants » Ă  l’égard des transporteurs fautifs.
Je me suis attardĂ© sur ce cas pour bien illustrer l’exemple mais les autres  cas oĂą le principe de l’application de la responsabilitĂ© civile peut ĂŞtre mis en avant sont nombreux et en les rendant connus des agents de la force publique bien des opportunitĂ©s de corruption seraient Ă©vitĂ©s.

Le phénomène de la corruption est universel et les conséquences sont inégales selon les pays.
Les solutions ne se limitent pas seulement Ă  recruter des nouvelles personne pressenties honnĂŞtes Ă  la place de personnes reconnues malhonnĂŞtes.
La mise en place d’unités de contrôles et d’inspection est une bonne chose mais le plus important est d’instituer des procédures connues de tous et non érigées ex nihilo par des compétences fortuites.
Pour le cas de notre pays, il est indispensable de protéger la commande publique en prenant des décisions transitoire, le temps de mettre en place les textes e les organisant et en les mettant à disposition des usagers internes et externes.
Je conclurai en racontant partiellement une expérience une anecdote que j’ai vécue il y a quatre ans.
Reçu par un grand responsable chargé du contrôle des fonds publics (et il se reconnaîtra si jamais il lisait le présent article), il me dit en substance :
« J’ai reçu votre plainte. J’ai bien fait vérifier que vous aviez raison. Mais c’est déjà signé pour approbation par le Premier Ministre. Et puis, la personne chargée de la gestion au plus haut niveau qui vous a lésé (remarquez qu’il n’a eu aucune pensée pour l’état) est devenue un élu politique et vous risquez de le trouver devant vous dans d’autres affaires. Je vous conseille amicalement doublier…»
Pourtant la consĂ©quence de l’acte de mauvaise gouvernance que je qualifierai ainsi pour simplifier les choses,  avait eu pour effet de faire perdre  Ă  l’état plus de 200 Millions UM et de dĂ©favoriser l’entreprise en cause  face aux enjeux d’avenir.

Abou Oubeid


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