Les jardins maraîchers de Sebkha ne sont plus d’une utilité certaine. Ils ont perdu leur rôle de pourvoyeurs de légumes depuis quelques années, battus qu’ils sont dans ce domaine par l’inondation du marché de produits sénégalais et marocains. Les exploitants ne comptent plus que sur les palmiers dattiers. Mais ces deniers sont à leur tour entrain de «vider» les lieux pour d’autres cieux.
L’espace est-il menacé de disparition ?
Il est 18 heures cet après-midi. Sur l’extrĂŞme nord des jardins maraĂ®chers de Sebkha, Ă la lisière des limites du Ministère du PĂ©trole, un camion est garĂ© sur le bas-cĂ´tĂ©, il est Ă moitiĂ© chargĂ© de troncs de palmiers dattiers aux feuilles Ă©mondĂ©es. En face : un trou bĂ©ant s’inscrit dans la forĂŞt de palmiers de cette partie des jardins. Il tranche avec la densitĂ© du reste du domaine oĂą les pieds d’arbres sont serrĂ©s les uns aux autres. Des trous profonds et de la terre retournĂ©e indiquent que plusieurs palmiers ont Ă©tĂ© dĂ©racinĂ©s sur place il y’a peu. Il s’agit d’un nouveau nĂ©goce qui a vu le jour Ă l’ombre des palmiers : L’exportation de palmiers vers le SĂ©nĂ©gal. En effet, depuis quelques semaines, des dĂ©marcheurs Mauritaniens et SĂ©nĂ©galais sillonnent l’espace pour la traite de palmiers pour le compte de l’Etat sĂ©nĂ©galais. Selon Abdallahi Ould El Kheir Fall, propriĂ©taire d’un lopin de terre sur place, ces palmiers sont recherchĂ©s par l’Etat SĂ©nĂ©galais dans le cadre de l’ornement d’espaces publics. Les acquĂ©reurs ont les autorisations nĂ©cessaires du Ministère du DĂ©veloppement Rural. L’homme qui, entre deux coups de bĂŞche, s’arrĂŞte pour souffler eĂ»t Ă©gard Ă son âge avancĂ© ne semble pas ĂŞtre très emballĂ© par un quelconque engouement vers ce nouveau deal : « Je ne vendrais jamais mes palmiers Ă ces prix lĂ ! Vous savez Ă combien ils leur achètent les arbres ? 20 Ă 25 000 UM l’unitĂ©. Ça se comprend, ce sont de vieux spĂ©cimens qui ne produisent plus de dattes. Est-ce que les SĂ©nĂ©galais connaissent seulement les palmiers ? En tout cas, Moi, je ne vendrais pas les miens Ă moins de 80 000 UM la pièce. C’est pourquoi on ne leur propose que les variĂ©tĂ©s de basse qualitĂ© telles que les « Sikkam » ou «El Khailaniya», mais les espèces de valeurs du genre «Tenterguel», «Tiguidertt» ou «Mehboula», ne seront jamais vendues Ă des prix aussi bas. Surtout pour les jeunes pousses. » Selmou Ould Rachid, lui ne possède pas de palmiers. Il se dĂ©mène comme un beau diable pour faire pousser des plans de courgettes, de menthe, de persil et d’oignons sur un petit pĂ©rimètre sur lequel le sel recouvre systĂ©matiquement la surface de la terre. «Je n’ai pas de palmiers, mais je pense que si j’en avais, je n’hĂ©siterai pas Ă les vendre car nous ne gagnons plus rien avec le maraĂ®chage. Les jardins sont de plus en plus tournĂ©s vers une fin imminente. Voyez ces arbres calcinĂ©s personne ne sait d’oĂą partent les incendies qui s’attaquent jusqu’aux plantes vertes. Regardez les tas d’ordures qui traĂ®nent ici. C’est comme si une main invisible nous pousse Ă abandonner cet espace. » Au-delĂ de la logique de Selmou, il est vrai que la question de la pertinence existentielle de cette longue bande verte se pose. Ce coin qui jadis Ă©tait un pourvoyeur lĂ©gumes et de menthe s’est vu au fil des ans se muer en un no man’s land dont on se demande dĂ©sormais, le pourquoi de son existence. En effet, les jardins maraĂ®chers s’illustrent plus par les actes criminels commis dans leurs limites plutĂ´t que leur apport dans le dĂ©veloppement de la ville de Nouakchott. La zone est devenu un coupe-gorge oĂą on ne s’aventure plus de nuit. Certains rechignent Ă s’y engager mĂŞme en plein jour. Selmou rassure : « En fait, l’insĂ©curitĂ© règne surtout dans la partie mĂ©diane des jardins. Dans notre zone, dès que nous voyons un inconnu s’introduire, nous l’apostrophons immĂ©diatement pour savoir ce qu’il cherche. S’il s’agit d’un dĂ©linquant, nous le saurons et le mettons dehors. En dĂ©finitive, en transcendant les certitudes d’Abdallahi et les misères de Selmou, c’est vraiment de l’existence mĂŞme des jardins maraĂ®chers qu’il est question. Le dĂ©peuplement des palmiers serait-il les prĂ©misses de la fin ? Hum ! Biri N’Diaye
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