Pr Outouma SOUMARE: «Le pseudo-combat contre la «gabegie» ne leurre personne»   
27/03/2009

Le Professeur, Outouma SOUMARE est  le Président du comité exécutif de l’Avant garde des Forces de Changement Démocratique : mouvement politique membre du FNDD regroupant des personnalités d’horizons divers, dont une majorité de cadres restés jusqu’à présent observateurs avisés de la scène politique et ne se reconnaissant pas nécessairement dans les partis politiques existants.



M. Outouma SOUMARE est neurochirurgien des hôpitaux (Centre hospitalier Cheikh ZAYED et Centre Neuro-Psychiatrique de Nouakchott depuis 2001), ancien interne et assistant des hôpitaux de Marseille, chef de clinique à la faculté de médecine de l’université de la Méditerranée (Aix-Marseille II) et membre de la Commission Nationale Electorale Indépendante ayan supervisé et contrôlé les élections durant la période de transition 2005-2007.

 

  Al Hourriya: Bientôt 8 mois se sont écoulés depuis le renversement de celui que vous considérez comme étant le seul Président légitime du pays. Peut-on savoir où est-ce que vous en êtes dans êtes arrivés dans votre combat visant la mise en échec de ce que vous désignez comme un coup d’Etat contre la démocratie ?

Outouma SOUMARE : Nous avons une appréciation positive de notre bilan dans la résistance au coup d’état contre la légalité constitutionnelle et contre la légitimité démocratique issue de la volonté populaire. En effet, il faut d’abord souligner que pour la première fois, depuis le 10 juillet 1978, il y a eu, dans notre pays, une expression consciente, courageuse et assumée, par une partie de la classe politique mais aussi par une composante importante de la population, du refus de l’utilisation de la force, comme moyen d’accéder au pouvoir. J’en veux pour preuve, non seulement, la démarcation nette de la classe politique en deux camps, l’un pro-putschiste et l’autre pro-légalité constitutionnelle et pro-légitimité démocratique, mais aussi, l’heureux constat d’une remarquable capacité de mobilisation populaire lors des différents meetings du FNDD et lors du passage récent à Nouakchott du Président de la République alors qu’il était en partance pour la Libye. Je pense que la première victoire contre ce coup d’état a été que son auteur aurait souhaité, à l’instar de ce qui s’est passé récemment à Madagascar, lui faire prendre le masque d’une insurrection parlementaire, sous prétexte fallacieux d’une crise institutionnelle, relayée par un soulèvement populaire si nécessaire et il a manifestement échoué dans son entreprise. Le Président de la République a été plus fin et a obligé le général putschiste a assumé un coup de force militaire. Ensuite, la non dissolution du parlement et du sénat ainsi que la formation du gouvernement putschiste, n’ont pas pu constituer une solution, à la soi-disant crise politique institutionnelle, fomentée de toutes pièces, uniquement, pour servir d’alibi à la destitution du Président de la République. Il faut se rappeler du fait que, la mise en place de la Haute Cour de Justice avait été présentée comme une priorité urgente, quitte à vouloir imposer une session extraordinaire du parlement, en foulant, pour cela, toutes les procédures règlementaires permettant la convocation de ce type de session. Maintenant que cette Haute Cour de Justice est en place, nous pouvons constater, non seulement, qu’elle n’a jamais fourni, même a posteriori, la moindre justification de l’urgence de sa mise en place, mais encore, que celle-ci n’a pas permis de dénouer la « crise ». Aussi, les états généraux de la démocratie, mascarade que nous avons dénoncée, n’ont, elles non plus, pas pu constituer un progrès vers la tentative de légitimation du coup d’état. Au contraire, elles ont permis, au chef de file de l’institution de l’opposition démocratique et à son parti politique, de démasquer les vraies intentions du général putschiste, conduisant récemment à la publication d’un communiqué commun, au FNDD et au RFD, lequel constatait l’échec de la mission de conciliation du colonel Kadhafi. Pour finir, l’entêtement du général à être sourd aux appels à la raison de l’opinion publique nationale, du FNDD et du RFD ainsi que des partenaires aux développement de la Mauritanie, réunis dans les différentes institutions internationales, puis sa fuite en avant, pour tenter d’ imposer sa solution strictement unilatérale, ont fini par créer une ligne de fracture parmi ses soutiens inconditionnels des premières heures du putsch, illustrée par le dépôt récent des statuts, pour constitution de partis politiques, de l’Union Pour la République et du parti pour le Rassemblement Du Peuple Mauritanien. En résumé on peut considérer que, depuis le 6 août, le camp du barrage au coup d’état s’est agrandi et qu’il s’est renforcé tandis que celui de ceux qui veulent tordre le coup à la constitution s’est divisé.

Al Hourriya: Certaines rumeurs issues des milieux politiques, font état d’une éventuelle alliance entre le FNDD et le Colonel Ely Ould Med Vall. Qu’en est-il ?

O.S. : La position du FNDD par rapport au coup d’état a été expliquée à l’opinion publique nationale en toute transparence et elle est assumée. Il me parait évident, et ceci relève maintenant de l’histoire, que l’ex Président du CMJD a justifié et endossé le coup d’état du 3 août 2005, et, qu’il a initié la période de transition démocratique 2005-2007 dans le consensus, puisqu’à l’époque, l’ensemble des acteurs politiques et de la société civile avait fait le voyage de Bruxelles pour exposer, dans le cadre des accords de Cotonou, le plan du retour à la légalité constitutionnelle. Ceci avait, d’ailleurs, permis aux différents partenaires au développement de la Mauritanie, de soutenir la transition démocratique dans notre pays. Mais surtout, le colonel Ely OULD MOHAMED VALL avait fait interdire, par ordonnance, la candidature des membres du CMJD et de son gouvernement aux différentes échéances électorales. L’ancien chef de l’état, pendant la période de transition, a permis l’organisation d’un processus électoral reconnu, au plan national et international, comme libre et transparent puis il a rendu le pouvoir aux civils. Aujourd’hui, à la lumière des évènements que nous avons vécus depuis, nous pourrons plus clairement réinterpréter les causes de l’échec de cette première transition démocratique. Pour l’instant il semble que Mr Ely OULD MOHAMED VALL n’ait pas souhaité s’exprimer publiquement sur la situation actuelle, donc je ne comprends pas comment certains pourraient parler d’une éventuelle coalition entre lui et le FNDD. Nous restons toutefois ouverts à toute contribution sérieuse susceptible de permettre le retour à l’ordre constitutionnel et de sortir le pays du cycle infernal des coups d’état.

Al Hourriya: Le général Aziz a, récemment,  qualifié les membres du FNDD d’une minorité rompue à la gabegie. Ces déclarations coïncident avec la restitution à l’Etat, semble-t-il, par un des leaders du front d’une somme de plus de 100 millions d’ouguiyas. Ne voyez-vous pas là que le général parle de faits concrets, pour ce qui concerne ce dossier de malversations?

O.S. : Je pense que le 18 mars 2009, à l’occasion du passage de relais de la présidence en exercice du FNDD entre l’UNAD et l’APP, la personnalité concernée s’est clairement exprimée sur cette question. Par ailleurs, il n’échappe à personne qu’il ne s’agit là, comme les affaires du CSA et d’AIR MAURITANIE, que d’un règlement de compte politique qui ne dit pas son nom. De plus, je voudrais attirer votre attention sur le fait qu’il s’agit d’une attitude crédule que de penser que l’opinion publique nationale serait suffisamment dupe, pour croire que, si le général putschiste accuse, à tout va, ses adversaires politiques de gabegie, il n’en constitue pas, lui-même et personnellement, un des plus grands symboles.

Al Hourriya: Certains de vos adversaires politiques vous accusent de vous jeter dans les bras de l’étranger. Pouvez-vous expliquer à l’opinion nationale la nature des relations qui lient le front à des puissances internationales très influentes lesquelles sont accusées de vouloir internationaliser le dossier mauritanien ?


S.O. : Je tiens à préciser que la situation actuelle est directement issue du coup d’état et que les différents accords et charte internationaux, que notre pays a signés et ratifiés souverainement, s’appliquent de fait, avec des mécanismes institutionnels qui se mettent en œuvre automatiquement, sans la nécessité d’une demande express quelconque. C’est l’absence de proposition, pour une solution acceptable et consensuelle, de retour à la légalité constitutionnelle, de la part des autorités issues du coup d’état, qui maintient active la poursuite de ces mécanismes institutionnels. D’ailleurs le général putschiste l’a bien compris puisqu’il ne manque aucune occasion pour envoyer, en délégation de lobbying, ses troupes de parlementaires pro-putschistes pour faire des tentatives maladroites de propositions de sortie de crise, qui ne réussissent pas à convaincre car ne relevant que d’une vision unilatérale, qui n’a comme seule ambition, que de nourrir, son désir pathologique de s’arroger le pouvoir, quel qu’en soit le prix. Il faut noter d’ailleurs sur cette question qu’il s’agit d’accusations purement politico-politiciennes qui omettent le fait que le général limogé a été le premier à se rendre en Libye, apparemment rassuré au préalable du soutien libyen et que pour la première fois dans l’histoire de notre pays, ces autorités issues du coup d’état ont livré la Mauritanie, pendant trois jours, corps et âmes, à la merci du colonel Kadhafi et de ses caprices.

Al Hourriya: Sachant que la démocratie est par principe le règne de la majorité, n’est-il pas plus judicieux de concilier entre cette réalité et votre détermination  à restaurer Monsieur Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi dans ses fonctions,  ce que rejette systématiquement la majorité ?

S.O. : Je pense que les principes démocratiques sont plus complexes que vous ne les présentez et qu’il s’agit d’un ensemble homogène qui n’a de sens que pris dans sa totalité. Effectivement, la majorité des mauritaniens s’est exprimée sur sa volonté de choisir, par une voie pacifique, Mr Sidi Mohamed OULD CHEIKH ABDALLAHI, pour être son premier président démocratiquement élu, dans le cadre d’un pluralisme politique et en toute transparence, pour un mandat de 5 ans, par plus de 52 % des suffrages exprimés, et ceci, au suffrage universel direct. A ma connaissance le peuple mauritanien ne s’est pas exprimé, ni dans les formes prévues par la constitution ni dans aucune autre forme d’ailleurs, pour une alternance quelconque, et de surcroit anticipée, concernant l’institution présidentielle. Au contraire une poignée de militaires, n’ayant manifestement pas fait le deuil d’ambitions politiques, ont tenté d’imposer à notre peuple, une « pseudo-destitution » du Président de la République, alors que les mauritaniens l’ont choisi en toute souveraineté. Ceci, en manipulant des parlementaires, faisant office de « pseudo-grands électeurs », certes plus facilement maitrisable que la volonté populaire, alors même que ce scénario n’est pas prévu par notre constitution qui donne une prééminence à l’institution présidentielle. Les manipulateurs ont été démasqué et ont dû se résoudre à l’usage de la force pour arriver à leur fin : il ne s’agit là nullement de la volonté populaire. Ce qui est juste c’est d’abord d’emprunter le chemin le plus court pour retourner à l’ordre constitutionnel et ceci passe par le retour à ses fonctions, du président élu, détenteur de la légitimité populaire, Mr Sidi Mohamed OULD CHEIKH ABDALLAHI. A partir du moment où un retour à l’ordre constitutionnel aura été constaté et que le coup d’état aura été mis en échec, l’ensemble de la classe politique mauritanienne pourra alors proposer, librement, les différentes possibilités de sortie de crise, qui seront alors issues d’une concertation franche et inclusive et qui seront soumises à l’arbitrage des électeurs.

Al Hourriya: Nous constatons ces derniers jours un réchauffement de vos relations avec le RFD  après un moment de crispation qui a duré quelques mois. A votre avis, s’agit-il d’une alliance circonstancielle ou alors d’un accord stratégique ?

S. O. : Il s’agit tout simplement, comme je l’ai signalé auparavant, de la conséquence naturelle du comportement tyrannique du général limogé qui rompt les passerelles avec tout interlocuteur sérieux, qui défend réellement les principes démocratiques. Nous pensons que, même si notre positionnement, dès le départ, sans hésitation, contre le coup d’état, était différent, de la réaction stratégique initiale du RFD qui en a pris acte, nous ne manquerons pas, au final, de nous retrouver ensemble, de façon synergique, dans le même camp, pour la victoire de la démocratie : le RFD est un grand parti politique qui ne peut pas remettre en cause les acquis démocratiques de notre pays.

Al Hourriya: Les medias nationaux parlent de l’imminence du  règlement du dossier relatif au passif humanitaire par le HCE. Croyez-vous que les nouvelles autorités sont réellement capables de clore définitivement ce dossier ?

S.O. : Des exactions effroyables ont été commises entre  1986 et 1992,  au mépris de tous les droits humains, au mépris de notre référentiel religieux et au mépris de la loi, tout en sachant que le recours systématique  à ces exactions a continué au delà de cette date : c’est cela qu’on veut pudiquement envelopper sous le vocable de passif  humanitaire. Nous devons, il me semble, être capable de discerner, entre, la lente agonie d’un règne dictatorial avec ses dérives identitaires, et, la nécessité pour les victimes et les ayant droits de pouvoir porter plainte, sans craindre aucune représailles, confiant dans la justice.
La réconciliation ne se décrète pas, elle a comme préalable d’établir la vérité, il s’agit d’un devoir de mémoire et ce n’est  qu’à ce prix là qu’un « règlement » pourra être obtenu : ce n’est pas cher payé. Les victimes ont un droit inaliénable à la justice et aux réparations. C’est ainsi que  le 29 juin 2007 le Président de la République, Sidi Mohamed OULD CHEIKH ABDALLAHI, a annoncé l’intention de son gouvernement d’aider les victimes de violations des droits de l’Homme, de cette période noire de notre histoire, afin qu’ils recouvrent leurs droits. D’autre part, les  journées nationales de concertation et de mobilisation pour le retour des déportés et le règlement du passif humanitaire, qui se sont déroulées les 20, 21 et 22 novembre 2007 recommandaient expressément, la mise en place d’une structure chargée de régler le passif humanitaire « en prenant en compte les droits légitimes de toutes les victimes et de leurs ayant droits ».
Ces événements, hélas, ont sérieusement ébranlé le contenu politique et la substance citoyenne de l’unité nationale. Les inscrire en bonne place comme thème de campagne, dans un processus unilatéral et voué  à l’implosion ou à la dégénérescence, est, au mieux une cécité politique, au pire une odieuse volonté de faire un pansement sur une jambe de bois, et cela évidemment est très regrettable. 


Al Hourriya: Le Président de l’Assemblé  Nationale Mr. Messaoud Ould Boulkheir aurait affirmé il y a quelques jours que « le général Aziz peut gouverner le pays comme dictateur mais qu’il ne sera jamais un président élu ». Est-ce que cela veut dire que le front s’activera, lors des élections à venir, pour faire barrage aux ambitions du général au cas où celui-ci se portera candidat ?

S.O. : Je vous dirai en préambule à ma réponse, et ce pour lever toute équivoque, que ce qui se trame pour le 6 juin 2009, peut être qualifié, de parodie, de mascarade ou d’un attachement compulsif au pouvoir, qui a plus à avoir avec une tentative de légitimation secondaire d’un coup de force, qu’une réelle volonté concertée de sortie de crise soumis à l’arbitrage des électeurs. Cette crise institutionnelle majeure, et ses conséquences néfastes sont à mettre à l’actif des putschistes.
Pour en revenir à votre question, je voudrais témoigner du fait que le combat et la constance dans les engagements de Mr Messaoud OULD BOULKHEIR, Président de l’Assemblée Nationale, prouvent que dans ce pays,  il y a encore des hommes convaincus que la politique est d’essence morale, et ceci, en cette période trouble, est un bon présage pour l’avenir. Ces propos sont ceux d’un résistant historique contre la tyrannie et en faveur de la démocratie, leader du FNDD, très au fait de la réalité et des rapports de forces politiques existants. Il n y a aucun doute possible sur l’incapacité et l’impossibilité rédhibitoire du général putschiste-candidat  de gagner des élections si elles sont équitables et transparentes. Son coup d’état en trois temps l’atteste pleinement. L’usage de la force pour accéder au pouvoir ? Oui. S’y maintenir par la force ? Oui. Pour combien de temps ? Je ne sais pas. Seulement, l’histoire des hommes assoiffés de pouvoir a montré que, tout régime qui n’est plus soutenu que par la force, est un régime qui est entrain de s’écrouler.
Je dirai enfin, comme le Président Messaoud OULD BOULKHEIR, à propos des putschistes, et en citant un républicain sous la dictature franquiste «  qu’ils peuvent vaincre, mais ils ne peuvent pas convaincre. Ils peuvent vaincre grâce à un usage abondant et abusif de la force brutale. Ils ne peuvent pas convaincre parce qu’il leur manque l’essentiel : le droit et la raison ».
Or vous me concéderez, que pour gagner des élections il faut d’abord être légaliste, et le général putschiste-candidat ne l’est pas. Pour convaincre, il faut une substance idéologique autre que le pseudo-combat contre la « gabegie », qui ne leurre personne, le général étant loin d’être le prophète Eyyoub.
Vous me permettrez pour conclure, de rappeler que le combat de  l’Avant-garde des Forces de Changements Démocratiques, s’inscrit dans une approche innovante et moralisatrice de l’exercice politique dans notre pays. Notre défi est d’impulser plus de dynamisme et plus de combativité au niveau de l’échiquier politique. L’échec du coup d’état ne faisant plus de doute, il est impératif  de défricher un espace commun de citoyenneté et d’exercice des libertés fondamentales. Or à cela, il faut se préparer dés à présent parce qu’en la matière le temps perdu ne se rattrape que péniblement. 

Traduction  française de l’interview accordée au journal Al Hourriya n° 129 du 24 Mars 2009


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