Déclaration du Fonadh: Mauritanie, le 10 décembre de la désillusion   
10/12/2008

Nous fêtons aujourd’hui, le soixantième anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, mais en fait tous les drapeaux dont celui de la Mauritanie devraient être en berne. Il suffit de jeter un coup d’œil sur l’histoire de notre pays pour nous rendre compte à quel point, il n’a pas été exemplaire dans la défense et la promotion des droits de l’homme, notamment ces dernières années, porteuses d’espoirs déçus.



Aujourd’hui les exemples en sont multiples: répression systématique des manifestations pacifiques des opposants au coup d’état du 06/8/08 ainsi que les arrestations et détentions arbitraires illustrant l’acharnement contre les adversaires politiques au coup d’état (syndicalistes, société civile, partis politique, intellectuels, hommes politiques…). 
Malgré l’abolition de l’esclavage du 9 novembre 1981  et une loi criminalisant ses pratiques du 3 septembre 2007, des personnes sont toujours maintenues dans la servitude traditionnelle, du fait de leur naissance, dépourvues de salaire, sans recours crédible devant la justice. Celle-ci, au prétexte de l’Islam, de la tradition ou des ententes tribales, continue à servir les maîtres, responsables de travail forcé, de captation d’héritage, d’abus sexuels parfois sur des mineurs, de séquestrations d’enfants et de femmes. Malgré la récurrence des litiges, aucun auteur des actes incriminés par la loi de 2007 n’a jamais été poursuivi. Certains hauts fonctionnaires, en public, continuent à nier l’existence même de pratiques esclavagistes sur le sol de la Mauritanie.
Par ailleurs, durant les années 1986-91, des personnes appartenant aux ethnies Hall Pullaren, Soninké et Wolof ont été soumises aux pires sévices ou tuées de manière extrajudiciaire ; d’autres sont toujours portées disparues.
La torture et les mauvais traitements se pratiquent, depuis des décennies dans les commissariats de police, des états-majors  de l’armée et des villas privées. Les rapports de la FIDH et d’Amnesty International en ont rendu compte. Les organisations de la société civile reçoivent régulièrement des informations sur les allégations de brutalité et de mauvais traitements, perpétrées par les forces de sécurité de Mauritanie, y compris, très récemment encore, contre des prisonniers de droit commun.
Nous sommes réunis, ce soir, avec les parents des détenus et de toutes les victimes, sans distinction de couleur, pour exprimer notre solidarité à leur égard ; depuis au moins deux décennies, des centaines de personnes, ont été torturées en détention ; toutes les administrations qui se sont succédées depuis 1978, ont commandité, couvert et garanti l’impunité aux pratiques massives de la  de torture, des mauvais traitements en Mauritanie et de l’assassinat.
La plupart des présumés salafistes de l’année 2008,  inculpées notamment d’appartenance à une organisation non reconnue, ont été victimes de brutalités physiques, de la part des forces de l’ordre. La durée légale de garde-à-vue, de 15 jours, n’a pas été respectée ; les parents et les avocats n’ont pas pu rendre visite aux détenus durant cette période, souvent dépassée, en violation des textes de droit.
Evidemment, depuis le coup d’état du 3 août 2005, qui mit un terme à une dictature de triste mémoire, aucun agent du système d’extorsion d’aveux par la contrainte n’a été inquiété ni même soumis à une enquête disciplinaire ; les techniciens de la torture tiennent l’infrastructure souterraine de la domination. L’impunité leur garantit la sécurité du travail et la certitude de l’irresponsabilité pénale. Sous la chaine de commandement, ils officient, en silence, creusant sous les fondations de la démocratie, à mesure que l’édifice s’élève. En Mauritanie, humilier un détenu, le frapper, le priver de sommeil, lui meurtrir le corps n’expose à aucune punition. Demandez justice et l’on vous opposera le pardon islamique ; insistez et l’on vous désignera, à la vindicte ; vecteur de discorde et d’extrémisme, vous devez presque vous excuser de votre audace, avant d’y renoncer. Ainsi, fonctionne la mémoire collective, sans cesse lavée du souvenir, condamnée au vide, source de récidive.
De tels forfaits, en raison de leur teneur universelle, ne concernent pas seulement les Mauritaniens mais aussi la communauté internationale. Amnesty International, à la constance de laquelle nous rendons ici un hommage plus que mérité, procède de cette conscience que le linge sanglant de la dictature ne se lave vraiment qu’en public, devant témoin, sans honte ni peur. Lorsque notre pays protège le criminel et soumet la victime au chantage du patriotisme, nous proclamons, haut et fort, la supériorité de la Charte Universelle des Droits de l’Homme, à toutes les lois et à tous les intérêts nationaux de la Mauritanie. Contre la tentation de nous intimider par la stigmatisation, la marginalisation et la censure, nous appelons le monde au secours de la liberté et de la dignité que notre gouvernement nous dénie. Telle est notre vocation : l’universalisme d’abord.
En nous empêchant de rendre visite aux détenus de la prison civile de Nouakchott, les autorités donnent l’impression de cacher quelque chose et ce faisant s’accusent. Nous devons agir, auprès de notre opinion publique, afin qu’elle devienne le relais vigilant auprès de nos gouvernants ; sans la pression des citoyens  sur les autorités, le calvaire des détenus sombrera dans l’oubli.
En dépit de l’opinion publique et des rapports des organisations de défense des droits de l’homme, il est rare, sinon impossible, si l’on en juge par la réticence des autorités mauritaniennes  à établir les faits de torture comme relevant du domaine de la peine. Le code pénal et le code de procédure pénale interdisent l’acte mais ne le considèrent pas comme crime. Tant reste à faire pour que la Mauritanie entre, enfin, dans le périmètre juridique de la civilisation ; en voici les conditions premières :
Établir un plan d’action contre la torture et les mauvais traitements visant à éradiquer ce phénomène et à traduire en justice tous les auteurs présumés;
Eriger en infraction pénale tout acte de torture et de mauvais traitements, et prévoir des peines qui en reflètent la gravité et la nature
Faire savoir aux agents de la force publique et aux responsables de l’application des lois, par un langage dépourvu d’ambiguïté, que ces violations des droits de l’homme ne seront tolérées en aucune circonstance et susciteront châtiment exemplaire ;
Enquêter, sans délai, de manière impartiale et efficace, sur toutes les plaintes et informations relatives à la torture et autres mauvais traitements. Ces recherches doivent être menées par un organisme indépendant des auteurs présumés ; le champ d’application, les méthodes et les conclusions doivent être rendus publics ;
Faire en sorte que les responsables de l’application des lois, soupçonnés de graves atteintes aux droits fondamentaux, comme la torture et autres mauvais traitements, soient suspendus de service actif jusqu’à l’issue des enquêtes. Cette mesure ne doit pas porter préjudice de leur droit à un procès équitable. La suspension exclut tout transfert à un autre poste ;
Veiller à ce que tout responsable de l’application des lois contre lequel existent de sérieuses charges en matière de torture, de mauvais traitements et autres  violations graves des droits humains, subisse des  poursuites devant les juridictions civiles, conformément aux normes internationales d’équité et sans recourir à la peine de mort ;
Veiller à ce que tout détenu soit incarcéré dans des lieux officiellement destinés à cet usage et que les proches et les avocats reçoivent, immédiatement, des renseignements exacts au sujet de  l’arrestation et de son lieu. Les proches et les avocats devraient pouvoir exercer à tout moment des voies de recours juridiques leur permettant de déterminer où une personne est retenue, de s’assurer de la légalité de sa détention et de vérifier les garanties à sa sécurité ;
Veiller à ce que toute personne placée en détention soit déférée dans les plus brefs délais devant un juge ou un autre magistrat indépendant habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires pour permettre de vérifier le fondement juridique de l’arrestation et, si la détention provisoire est effectivement nécessaire, de garantir le bien-être du détenu et de prévenir la violation de ses droits fondamentaux ;
Faire en sorte que tous les détenus puissent entrer en contact avec leur famille, un avocat et des médecins sans délais après leur arrestation et d’une manière régulière pendant toute la durée de leur privation de liberté, avant le procès ;
Veiller à ce que tous les détenus soient informés de leurs droits dès le moment de l’arrestation, y compris du droit de n’être ni torturé ni maltraité et de celui de porter plainte sur les traitements subis et du droit à un avis du juge, dans les plus brefs délais, sur la légalité de la contrainte;
Avant tout, nous demandons aux autorités mauritaniennes de permettre aux parents des détenus de leur rendre visite et de permettre, à ces derniers, d’effectuer des promenades et de vivre, intra muros, sous la protection de la force publique, à l’abri de toute violence ou racket, exercé par d’autres détenus.
Enfin, le FONADH tient, encore une fois, à exprimer sa solidarité avec les enquêteurs et rédacteurs du dernier rapport d’Amnesty International sur la Mauritanie, dont le titre « La torture au cœur de l’Etat », résume la réalité carcérale de notre pays.
Nouakchott, le 10 décembre 2008
Le Secrétariat Exécutif


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