Mohamed Ould Abdel Aziz Ă  Jeune Afrique   
19/04/2021

Jeune Afrique : Le 7 avril, vous avez publié une lettre ouverte aux Mauritaniens, très virulente à l’égard du pouvoir, dans laquelle vous les appelez à vous rejoindre au sein du parti...



... Ribat Al Watani, de Saad Ould Louleid. Êtes-vous devenu un opposant ?

Mohamed Ould Abdelaziz : Oui, car je suis totalement en contradiction par rapport Ă  ce qu’il se passe dans mon pays. Par ailleurs, je n’avais jamais pris l’engagement d’arrĂŞter la politique, après tous les efforts que j’ai faits pour tenter d’amĂ©liorer les conditions de vie de la population et de sĂ©curiser le pays.    « À chaque fois que j’ai approchĂ© un parti, il a subi des pressions ou il a craint d’être interdit. J’avais un parti que j’avais créé moi-mĂŞme en 2009, mais le gouvernement en place s’en est saisi et me l’a confisquĂ©. J’ai dĂ» l’abandonner et en chercher un autre. J’en avais trouvĂ© un [en aoĂ»t 2020, il s’était rapprochĂ© du Parti unioniste dĂ©mocrate socialiste de Mahfoudh Ould Azizi, ndlr], mais il a Ă©tĂ© interdit.


Pourquoi avoir choisi cette formation, Ribat Al Watani ?

Car elle était la seule disponible. Chaque fois que j’ai approché un parti, il a subi des pressions ou il a craint d’être interdit. Le président de Ribat Al Watani a eu le courage d’accepter. Je vais en devenir membre et nous allons commencer à travailler dans les jours et semaines à venir pour y faire adhérer l’ensemble de nos soutiens. Nous allons également organiser un congrès, beaucoup de choses vont changer en son sein.


Dans ce même communiqué, vous attaquez toute la classe politique, comme si vous étiez seul contre tous. N’avez-vous donc pas besoin d’alliés ?

En effet, je ne m’attaque pas seulement au pouvoir, mais à une grande majorité de l’opposition. Lorsque j’étais à la tête du pays, je n’ai jamais accepté de la museler. Mais il y a récemment eu tellement de compromissions, que je n’ai en effet pas besoin d’alliés parmi ceux qui ne jouent ni leur rôle d’opposants, ni de partisans. Tout ceci ne peut avoir cours dans une démocratie normale, c’est un complot ourdi contre le peuple mauritanien.


Beaucoup de vos anciens fidèles vous ont également quitté…

Ils étaient surtout fidèles à leurs intérêts.


Dans un souci d’apaisement, votre successeur Mohamed Ould Ghazouani a tendu la main à l’opposition. Pourquoi lui reprochez-vous ce geste très attendu ?

Alors que nous sommes en pleine pandémie, ils ont triplé, voire quadruplé le budget de la présidence, en 2020 et 2021. Celui de l’Assemblée nationale a également été augmenté. Non seulement ils ont cherché à soudoyer tous les sites d’information mais, à la veille du vote, ils ont donné 300 millions d’anciens ouguiyas [soit près de 700 000 euros, les anciens ouguiyas ayant été remplacés par les nouveaux ouguiyas en 2018] aux parlementaires pour qu’ils approuvent la création de la Commission d’enquête.


Avez-vous des preuves de ce que vous avancez ?

Des enregistrements, qui ont Ă©tĂ© diffusĂ©s en Mauritanie le prouvent. Le vice-prĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale a reconnu que les dĂ©putĂ©s ont reçu 300 millions pour acheter du mobilier, c’est illĂ©gal. On gaspille l’argent public au moment oĂą les populations en ont le plus besoin.Et qu’ont-ils fait pour ceux qui vivent dans une misère endĂ©mique ? Ils ont fermĂ© toutes les boutiques de distribution du programme alimentaire Emel, subventionnĂ©es par l’État afin de permettre aux plus dĂ©munis de s’approvisionner en rĂ©duisant de 40% les prix des produits de première nĂ©cessitĂ©. Dans le mĂŞme temps, ils ont augmentĂ© les salaires des dĂ©putĂ©s de près d’un demi-million en deux ans. On engraisse les plus riches et on tourne le dos aux plus misĂ©rables. Je le dis car c’est une situation choquante et l’opposition n’en parle pas.


Vous ne vous êtes pas exprimé sur ce qui vous est reproché. Pourquoi ?

C’est vrai que je n’ai pas accepté de répondre à des injonctions. On ne peut pas se réveiller un beau matin et vouloir créer une commission d’enquête, car tel pays a la sienne. Alors que la mise en place d’une telle commission n’est pas prévue par notre Constitution, ils se sont appuyés sur le règlement intérieur de l’Assemblée nationale.De plus, une telle enquête doit porter sur la gestion d’une année en cours. Or, avant mon départ, tous les comptes ont été passés au crible par la Cour des comptes. Il y a eu des erreurs de gestion, mais tout a été apuré par cette institution, seule habilitée à mener des audits. Je refuse d’entrer dans ce débat juridique, j’ai horreur de parler de l’article 93 de la Constitution [qui prévoit l’immunité présidentielle]. Je ne veux pas me barricader derrière.


Vous l’avez pourtant fait à plusieurs reprises.

Oui et je ne m’en glorifie pas. Mais la Constitution d’aujourd’hui est ainsi. Je ne reconnais aux enquêteurs aucun droit sur moi, car aucune loi ne m’oblige à leur parler. J’ai été inculpé pour, entre autres, corruption, détournement et blanchiment d’argent. D’accord, je suis prêt, démontrez-moi que j’ai pris un seul ouguiya, que ce soit au Trésor public, à la Banque centrale ou dans un autre établissement public. C’est le défi que je lance à tous les Mauritaniens, au gouvernement et aux ministres. S’il y a eu des détournements, ils ont été sanctionnés, mais le président Mohamed Ould Abdelaziz n’a jamais été impliqué.


Pouvez-vous prouver que les caisses de l’État ont bel et bien Ă©tĂ© auditĂ©es lorsque vous avez quittĂ© le pouvoir ?

Oui, car la Cour des comptes a fait son travail chaque annĂ©e, elle a tout vĂ©rifiĂ©. Concernant les revenus du pĂ©trole par exemple, elle n’a pas trouvĂ© un seul cent dĂ©tournĂ©. Je le rĂ©pète, le budget a toujours Ă©tĂ© apurĂ© par la Cour des comptes. Il y a eu des irrĂ©gularitĂ©s effectivement, comme dans tous les pays du monde, mais les responsables ont Ă©tĂ© sanctionnĂ©s. J’ai Ă©tĂ© un prĂ©sident parfait et modèle lors de ma sortie.    « Il y a eu des irrĂ©gularitĂ©s effectivement, comme dans tous les pays du monde, mais les responsables ont Ă©tĂ© sanctionnĂ©s.


Vous êtes également inculpé pour corruption et blanchiment d’argent, votre responsabilité pénale personnelle pourrait être engagée.

J’ai été à couteaux tirés pendant dix ans avec les hommes d’affaires de ce pays. Ils ne peuvent pas prouver que j’ai perçu un seul ouguiya frauduleusement. Et, pour qu’il y ait blanchiment d’argent, il faut qu’il y ait de l’argent sale. Or il ne peut provenir que du détournement ou de la corruption ce qui, encore une fois, n’est pas le cas.


Avez-vous déclaré votre patrimoine, comme vous l’aviez promis en 2009 ?

Oui, en arrivant et en partant.


Le procureur a annoncé avoir déjà récupéré 41 milliards d’anciens ouguiyas (94,8 millions d’euros) grâce aux saisies opérées sur les personnalités inculpées, dont 29 milliards auprès de vous et de votre gendre. Qu’est-ce qui vous a été confisqué ?

Il s’agit de maisons, qui appartiennent aussi à de tierces personnes, comme mes petits-fils ou d’autres parents. Juridiquement, aucune de ces propriétés ne porte mon nom, sauf celles que j’ai déclarées moi-même. Il y aurait également des véhicules surestimés mais aussi des chèvres, des moutons, trente gazelles à 40 000 ouguiyas ou encore 650 chameaux… mais je n’en possède pas autant ! C’est vraiment n’importe quoi. C’est la raison pour laquelle ils ne peuvent pas nous donner accès au dossier.


Le rapport de la Commission d’enquête, long de 900 pages, est très détaillé. Plus de 300 personnes ont été auditionnées, dont vos anciens ministres, qui ont reconnu des irrégularités voire des malversations et assuré avoir agi sous vos ordres.

Écoutez, il n’y a eu aucune irrĂ©gularitĂ©. Par exemple, on m’a balancĂ© Ă  la figure la vente des biens. Or, les terrains qui ont Ă©tĂ© vendus abritent des Ă©coles qui ne sont plus fonctionnelles, ou encore, de vieux bâtiments qu’on appelait les « blocs ». Ceux-ci s’étendent sur 100 hectares et ont Ă©tĂ© vendus Ă  600 dollars le mètre carrĂ© ! Toutes les dĂ©cisions ont Ă©tĂ© prises en Conseil des ministres et dans l’intĂ©rĂŞt du pays. Alors, un Premier ministre qui dit qu’il a reçu des ordres du prĂ©sident, de qui allait-il les recevoir, si ce n’est de moi ? Encore une fois, prouvez-moi que ces ordres Ă©taient irrĂ©guliers.


Dix dossiers jugés suspects ont été passés au crible, dont l’attribution du terminal à conteneurs du port de Nouakchott à la société Arise Mauritania (joint-venture entre Arise, du singapourien Olam, et le fonds Meridiam du Français Thierry Déau). Pourquoi ce marché a-t-il été passé au détriment des intérêts mauritaniens ?

Tout ce qui a Ă©tĂ© dit Ă  ce sujet est faux. Aucun intĂ©rĂŞt n’a Ă©tĂ© bafouĂ© et il n’y a eu aucune corruption. Ce dossier est passĂ© plus de dix fois en Conseil des ministres et Ă  chaque fois il a Ă©tĂ© perfectionnĂ©. Je l’avais d’ailleurs complètement rejetĂ© car cette sociĂ©tĂ© s’était engagĂ©e Ă  crĂ©er 3000 Ă  4000 emplois et cette promesse ne figurait plus dans sa dernière proposition. Le mĂŞme soir, le ministre des Finances, qui Ă©tait chargĂ© de coordonner les pourparlers avec cette entreprise, m’a appelĂ©. Il m’a dit qu’elle avait finalement tout acceptĂ©. Et c’est tout.    « Je vais vous faire une rĂ©vĂ©lation : en partant de Nouakchott, je n’ai mĂŞme pas emportĂ© un dollar


Autre exemple : la gestion de la Société nationale industrielle et minière de Mauritanie (SNIM). Cette entreprise publique est-elle exempte de tout reproche ?

Il n’y a jamais eu de problème à la SNIM. Des directeurs sont là, il n’y a jamais eu d’intervention ni d’interférence dans les ventes, gérées par une direction commerciale autonome installée à Paris. Par ailleurs, les enquêteurs m’ont demandé pourquoi j’ai dit au ministre des Finances de prendre 40 % de la société des assurances de la SNIM. Mais je n’ai pas répondu à cette idiotie ! J’ai personnellement eu l’idée de créer cette société parce qu’on perdait beaucoup d’argent avec les assurances des sociétés étrangères. Quand j’ai vu qu’elle commençait à gagner beaucoup d’argent, j’ai dit au ministre de prendre 40 % des parts, pour réduire un peu le pourcentage de la SNIM. Mais pour l’Etat, pas pour moi ! Je ne vois pas d’irrégularités dans tout cela, mais un acharnement politique.


S’il y a un procès, parlerez-vous au juge ?

Oui, je parlerai devant la justice. Il faudra bien que je m’explique et eux aussi.


Lorsque vous avez voyagé le 2 août 2019 (au lendemain de l’investiture de Ould Ghazouani) pour Istanbul, Las Palmas et Londres, vous avez été accusé d’avoir exfiltré des biens appartenant à la présidence. Est-ce exact ?

Cela peut se vérifier. D’abord, si j’avais voulu détourner le budget de la présidence je l’aurais augmenté, or pendant dix ans, je n’ai fait que le diminuer, jusqu’aux factures d’électricité. Les fonds spéciaux de la présidence, je ne les ai jamais consommés. Je vais vous faire une révélation : en partant de Nouakchott, je n’ai même pas emporté un dollar. J’ai commis l’erreur de voyager sans le sou, tellement j’étais pressé de laisser le nouveau président s’occuper de son pays et former son gouvernement.


Et les valises remplies d’argent ?

On a en effet parlé de 25 valises. Ils n’ont qu’à prouver tout ça !

Source: Dakarmidi


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