|   RFI diffuse en intégralité la feuille de route d’Aqmi pour l’Azawad, un document signé de la main du chef d’Aqmi, retrouvé le 16 février 2013 par Nicolas Champeaux et Jean-Louis Le Touzet, envoyés spéciaux de RFI et Libération à Tombouctou. 
 
  Dans ce document Ă©difiant, datĂ© du 20 juillet 2012, le sanguinaire Abdelmalek Droukdel dĂ©voile noir sur blanc son objectif au nord du Mali : crĂ©er un Etat islamique qui ne sera pas Ă©tiquetĂ© jihadiste. Droukdel indique clairement la marche Ă  suivre : ses hommes doivent duper les populations locales, donner aux mouvements armĂ©s du Nord l’illusion qu’ils auront le pouvoir, et ne pas Ă©veiller l’attention de la communautĂ© internationale. Pour parvenir Ă  ses fins, Droukdel est prĂŞt Ă  renoncer Ă  l’application stricte et immĂ©diate de la charia. Ce document rĂ©vèle donc une surprenante inflexion dans la stratĂ©gie du chef terroriste et confirme par ailleurs les profondes tensions au sein de la filiale d’al-QaĂŻda. Il indique enfin que le Mali n’est pas Ă  l’abri d’un retour des jihadistes. C’est la première fois qu’un tel document interne d’Aqmi est diffusĂ© dans son intĂ©gralitĂ©. L’opĂ©ration Serval a mis fin Ă  dix mois d’occupation des grandes villes du nord du Mali par des groupes jihadistes. Elle a chassĂ© les combattants d’Aqmi et d’Ansar Dine des grottes qui leur ont servi de refuge dans la vallĂ©e de l’AmettetaĂŻ, oĂą ils ont abandonnĂ© un important stock de carburant, d’armes et de munitions.   CapacitĂ© de nuisance intacte La filiale d’al-QaĂŻda conserve nĂ©anmoins une rĂ©elle capacitĂ© de nuisance au Mali, qui est loin d’être Ă  l’abri de nouvelles secousses. En tĂ©moigne l’attaque suicide, samedi 28 septembre, dans une garnison de Tombouctou. RevendiquĂ© par Aqmi, cet attentat a fait seize morts, tous des soldats maliens, selon l’organisation dirigĂ©e par Abdelmalek Droukdel, six morts dont les quatre kamikazes et deux civils, selon des sources officielles. Dans sa feuille de route pour le Mali, l’AlgĂ©rien Droukdel, alias Abou Moussa Abdelouadoud, est conscient de la nature Ă©phĂ©mère de son expĂ©rience en tant qu’administrateur de la rĂ©gion septentrionale du Mali. Mais il semble s’en accommoder lorsqu’il file cette mĂ©taphore de la graine et de l’arbre, car l’Azawad est pour lui un laboratoire. « Si notre courte expĂ©rience n’aboutit, Ă©crit-il, qu’à des rĂ©sultats positifs d’ampleur limitĂ©e et que notre projet venait Ă  tomber Ă  l’eau pour quelque raison que ce soit, nous nous contenterons du fait d’avoir plantĂ© une bonne graine dans un bon terreau que nous avons fertilisĂ© avec un engrais qui aidera l’arbre Ă  pousser et grandir jusqu’à devenir, nous l’espĂ©rons, haut et prospère, mĂŞme si cela doit prendre du temps. ». Cet extrait de la feuille de route de Droukdel au Mali, intitulĂ©e « Directives gĂ©nĂ©rales relatives au projet islamique jihadiste dans l’Azawad », sonne comme un avertissement cinglant au prĂ©sident Ibrahim Boubacar KeĂŻta, vainqueur de l’élection du mois d’aoĂ»t dernier. Il est manifeste que Droukdel envisage de renouveler « l’expĂ©rience ». Dans ce document d’une quinzaine de pages et datĂ© du 20 juillet 2012, soit approximativement quatre mois après le dĂ©but de l’occupation, Droukdel opère surtout un revirement dans la stratĂ©gie d’Aqmi. Il souhaite rompre momentanĂ©ment avec les pratiques terroristes qui font la rĂ©putation de son groupe, et exprime le dĂ©sir de gouverner « avec douceur et sagesse ». MarquĂ© par les printemps arabes et l’aisance avec laquelle la rue a fait tomber les rĂ©gimes tunisiens et Ă©gyptiens, l’homme qui est responsable de la mort de centaines de civils, en tant qu’artificier du Groupement islamique armĂ©, puis Ă©mir du GSPC et d’Aqmi, Ă©crit noir sur blanc qu’il aspire Ă  gagner les cĹ“urs et les esprits des populations. Plus par pragmatisme que par idĂ©ologie, et sans doute parce qu’il a tirĂ© les leçons de l’échec de son jihad en AlgĂ©rie, il prĂ´ne la modĂ©ration et dĂ©nonce les destructions de mausolĂ©es et les lapidations. Citant Oussama ben Laden, il vante mĂŞme les vertus de la concession et de la flexibilitĂ©. A court terme, il condamne l’application stricte et immĂ©diate de la charia, car il s’agit au prĂ©alable d’éduquer les populations. « Il est très important de considĂ©rer, Ă©crit-il, notre projet islamique dans la rĂ©gion d’Azawad comme un nouveau-nĂ© qui doit passer par des Ă©tapes avant de grandir, Ă©crit Droukdel. Ce nouveau nĂ© est aujourd’hui Ă  ses premiers jours, il ne marche mĂŞme pas encore, alors est-il prudent de lui faire porter des fardeaux qui l’empĂŞcheraient de se lever et pourraient mĂŞme l’étouffer ! [...] Si nous voulons vraiment que ce bĂ©bĂ© grandisse dans ce monde truffĂ© d’ennemis puissants et prĂŞts Ă  l’achever, il faudrait le traiter en douceur et l’aider Ă  grandir. »   Une stratĂ©gie qui repose sur la sĂ©duction et la discrĂ©tion Droukdel vise Ă  mettre sur pied un Ă©mirat dirigĂ© par Aqmi, mais pour dissimuler la nature de son projet, il est disposĂ©, sur le papier, Ă  Ĺ“uvrer pour la mise en place d’un Etat dirigĂ© par des mouvements locaux. En rĂ©alitĂ©, dans l’esprit de Droukdel, ces groupes ne sont qu’une vitrine, une façade prĂ©sentable. D’abord, des sources au sein des services anti-terroristes occidentaux le confirment, Aqmi contrĂ´le Ansar Dine, un groupe qu’il a dĂ©veloppĂ© et financĂ©. Ensuite, si Droukdel indique qu’il souhaite confier la direction du futur gouvernement au chef d’Ansar Dine, Iyad ag Ghali, il prĂ©cise qu’il sera encadrĂ© : « Nous proposons de mettre une partie des moujahidines d’al-QaĂŻda Ă  la disposition de l’émir d’Ansa Dine afin qu’ils participent Ă  l’administration des zones libĂ©rĂ©es ». Droukdel, au passage, met en garde ses hommes contre « le fanatisme des Touaregs », et induit qu’il se range lui-mĂŞme dans la classe des modĂ©rĂ©s. Les intentions de Droukdel Ă  long terme sont claires, puisqu’il prĂ©voit un Haut Conseil islamique chargĂ© de l’application de la charia et dotĂ© d’importants pouvoirs de contrĂ´le sur le gouvernement. Ces solutions, aux yeux de Droukdel, prĂ©sentent l’avantage de la discrĂ©tion, notamment vis-Ă -vis de la communautĂ© internationale : « L’intervention Ă©trangère sera imminente et rapide si nous avons la main sur le gouvernement et si notre influence s’affirme clairement. L’ennemi aura plus de difficultĂ© Ă  recourir Ă  cette intervention si le gouvernement comprend la majoritĂ© de la population de l’Azawad, que dans le cas d’un gouvernement d’al-QaĂŻda ou de tendance salafiste jihadiste ». Il est Ă©vident dans cette feuille de route que Droukdel n’envisageait pas d’étendre la zone de sanctuarisation d’Aqmi au Mali. Tout indique qu’il Ă©tait contre l’offensive menĂ©e par les jihadistes vers le Sud, qui a conduit la France Ă  dĂ©cider de frappes aĂ©riennes et d’une intervention au sol. Selon des sources au sein des milieux anti-terroristes, le chef d’Aqmi a Ă©tĂ© placĂ© devant un fait accompli. Ansar Dine a pris l’initiative, car elle souhaitait grignoter des territoires vers le Sud pour contraindre le gouvernement de transition malien Ă  signer des accords et Ă  renoncer Ă  l’Azawad. Le moment Ă©tait propice, car les autoritĂ©s Ă©taient fragilisĂ©s par l’ex-putschiste Sanogo. Les combattants d’Aqmi ont vraisemblablement Ă©tĂ© sĂ©duits par ce concept d’offensive vers une rĂ©gion qui aurait aussi permis de mieux irriguer l’Azawad en denrĂ©es, mais Droukdel, qui n’a jamais mis les pieds au Mali durant cette pĂ©riode, y Ă©tait sans doute opposĂ©.   Droukdel, un chef sans autoritĂ© ConfrontĂ©e Ă  la rĂ©alitĂ© de l’occupation et Ă  son Ă©pilogue, la feuille de route de Droukdel, un document structurĂ©, articulĂ© en six chapitres, et rĂ©digĂ© en arabe classique, confirme qu’il avait très peu de prise sur la situation sur le terrain, et sur ses lieutenants, qui jouissent d’une importante libertĂ© opĂ©rationnelle. Droukdel s’énerve, dĂ©nonce des politiques insensĂ©es, de graves erreurs, mais rien n’indique que ses directives aient Ă©tĂ© suivies après leur diffusion. Les hommes d’Aqmi se sont en effet mis Ă  dos les habitants de la ville aux 333 saints, qui ont Ă©tĂ© Ă©coeurĂ©s par la destruction des mausolĂ©es, les arrestations arbitraires, les persĂ©cutions subies par les femmes qui, selon les jihadistes, portaient des voiles jugĂ©s tantĂ´t transparents, tantĂ´t aguicheurs. Tout au long du vade-mecum, Droukdel oscille entre optimisme et pessimisme. Droukdel est en effet rĂ©aliste dans la mesure oĂą il sait que ses hommes seront sous peu dĂ©logĂ©s. Il est en revanche optimiste lorsqu’il s’engage dans une longue rĂ©flexion sur les objectifs concrets d’un futur gouvernement transitoire dans l’Azawad, et lorsqu’il se livre Ă  une rĂ©partition des portefeuilles ministĂ©riels. Il s’agit d’un document rare et prĂ©cieux, car il permet de pĂ©nĂ©trer la stratĂ©gie d’un chef terroriste en situation de gouverner.rfi
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