Courrier: La guerre au Mali guĂ©rirait-elle le mal malien ? / Par Abdallahi Ould Mohamed   
24/02/2013

Bien que le déroulement tactique de la guerre au Mali montre une avancée « victorieuse » des troupes françaises, la réalité stratégique est toute autre. Certes, cette intervention a sans doute changé le rapport de forces sur le front mais cela ne changera pas pour autant la donne...



...sur le terrain réel où se déroule la vraie guerre, celle alimentée par un « cocktail » de combustibles socioéconomiques accumulés localement et sur lesquels souffle le vent nord du printemps arabe doublé de la vapeur d’une « Quaida » saignante déboussolée.
           Il est de la pire naĂŻvetĂ© de voir la problĂ©matique du nord du Mali sous l’unique et Ă©troit angle du terrorisme. Une remontĂ©e dans l’histoire rĂ©cente de la zone permet de retracer le portrait de ce problème multidimensionnel dont certains dirigeants et analystes banalisent l’ampleur, en le dĂ©crivant comme Ă©tant un conflit entre le « bien » ; l’Etat de droit d’une part, et le « mal » ; les insurgĂ©s, les « Salafistes » et les narcotrafiquants, d’autre part. Bien avant l’avènement d’Alquaida et le dĂ©veloppement du trafic de la drogue, un mal malien poussait incessamment dans le nord du pays.
           Comme dans tous pays oĂą la rĂ©partition ethnique ne s’aligne pas sur la dĂ©limitation gĂ©ographique, l’existence d’un commun vivable n’est pas toujours Ă©vidente. L’amère Ă©preuve du Soudan en constitue une preuve vivante. Le Mali, dont le nord constitue un territoire Arabo-Touareg par rapport Ă  un sud essentiellement peuplĂ© par des ethnies Bambara, SoninkĂ© et autres populations nĂ©gro-africaines, est très tĂ´t tombĂ© dans le piège d’une composition sociopolitique imposĂ©e par le besoin de gĂ©rer l’après-colonialisme. Comme l’avait dit une fois le roi Hassan II, les colonialistes ont tracĂ© les frontières entre les pays Africains en utilisant la règle mais sans aucune règle. Ainsi, de grande tribus et ethnies se sont trouvĂ©es dispersĂ©es entre plusieurs territoires « souverains ».
            L’aboutissement de cette sĂ©rie de « retouches » colonialistes Ă©tait un mĂ©lange de races, de cultures, de religions et de haines, toutes dispersĂ©es aveuglement, d’une manière alĂ©atoire mais visiblement  structurĂ©e pour une fin stratĂ©gique ; que ces pays restent en conflits internes Ă©ternels, ce qui les obligerait ultĂ©rieurement d’avoir recours Ă  l’ancien « maĂ®tre » colonialiste.    
              Pendant plusieurs dĂ©cennies, le sud est restĂ© le centre politique et Ă©conomique au dĂ©triment du nord. Les rĂ©gimes qui se sont succĂ©dĂ© au pouvoir n’ont pas accordĂ© l’attention qu’il faudrait Ă  cette partie du pays. Les dirigeants du pays ont continuellement « mis leurs tĂŞtes dans le sable » du nord, et les Ă©lites touarègues ont, Ă  leur tour, maintenu les leurs couvertes. Courir vers l’avant, retourner aux racines, deux attitudes entre lesquelles le « trou noir » de l’espace Malien se creusait profondĂ©ment Ă  mesure que le temps passait, et ce sous les yeux entrouverts de l’ancienne puissance coloniale qui voyait la structure fragile de son ex-colonie se dĂ©truire Ă  petit feu.
              Il est vrai que la dolĂ©ance du nord, bien que justifiĂ©e dans son contexte originel, a toujours suscitĂ© aux yeux des autoritĂ©s centrales une crainte majeure. L’idĂ©e de voir une partie du territoire sĂ©parĂ©e du reste du pays Ă©tait tout simplement intolĂ©rable. En outre, les touaregs se trouvent aussi au Niger en AlgĂ©rie, en Mauritanie, au Tchad, et en Libye. C’est la prĂ©sence massive de cette communautĂ© dans le nord malien qui leur a donnĂ© une certaine dominance, faisant d’eux les porteurs du flambeau de revendication de l’autonomie. Mais cette apparence cache en rĂ©alitĂ© l’existence d’autres composantes socio-ethniques vivant au nord Mali.
                La rĂ©partition faisant de la majoritĂ© des touaregs des minoritĂ©s dans leurs ’’pays d’accueil’’ complique davantage le problème du nord malien, car les pays voisins craignent de voir leurs composantes touarègues rĂ©clamer l’autonomie voire la sĂ©paration, mĂŞme si cela n’est pas envisageable pour le moment.
               Une dĂ©centralisation en termes de rĂ©partition gĂ©ographique des touaregs bien Ă©vidente, une dĂ©centralisation en termes de dĂ©veloppement mal rĂ©ussite : deux concepts de dĂ©centralisation qui se sont combinĂ©s pour former le nĹ“ud central du problème malien. La première a provoquĂ© l’implication passive mais parfois aussi active de certains voisins dans le problème, la seconde a suscitĂ© le recours aux armes.
              Aux facteurs prĂ©citĂ©s s’ajoute un dĂ©tail de taille : l’immensitĂ© du territoire malien. Des milliers de kilomètres dĂ©limitant un vaste dĂ©sert dont le contrĂ´le constitue un dĂ©fi majeur, surtout pour un pays comme le Mali.  C’est dans cet espace incontrĂ´lable et non contrĂ´lĂ© que s’est installĂ© un système chaotique, constituĂ© d’une mosaĂŻque de groupes d’insurgĂ©s, de trafiquants et de soi-disant Djihadistes, entre lesquels s’est tissĂ©e une relation d’interdĂ©pendance, dictĂ©e par le partage du mĂŞme territoire, et traduite dans une mutualisation des risques.
            Ainsi, les armes sont devenues Ă  la fois un outil de guerre et une monnaie courante, dans une « Ă©conomie » oĂą les « agents » s’entretiennent occasionnellement, s’entrainent continuellement et s’entretuent frĂ©quemment. Si la nature a horreur du vide, au Mali l’horreur a totalement rempli la nature. Dans cet amalgame d’objectifs, de causes et de rĂ©clamations idĂ©ologiques, la cause du nord malien  s’est progressivement vidĂ©e de sa substance ! Les « new comers » Ă  l’«Eastern » sahĂ©lien ont farouchement abusĂ© de la situation du pays pour imposer leurs règles de jeu. Dans cet environnement effervescent, la coexistence a obligĂ© certaines composantes du Mouvement National de LibĂ©ration de l’Azawad (MLNA) de rentrer dans des alliances avec des branches d’AQMI opĂ©rantes sur le territoire malien.
            Une seule goutte suffisait donc pour faire dĂ©border le vase malien pleinement rempli du fait de la corruption dans son demi sud et de l’éruption dans son demi nord. Cette goutte s’est concrĂ©tisĂ©e en un coup d’Etat conduit par un « Dadis » malien « modĂ©rĂ© » qui a soudain mis ses rangers dans le plat, pour s’égarer ensuite dans les couloirs du pouvoir comme un Ă©lĂ©phant brisant la « porcelaine », encore fragile, d’une dĂ©mocratie chère au maliens.
            Plusieurs donc sont les facettes du mal malien dans lequel se mĂŞlent plusieurs Ă©lĂ©ments internes et externes. S’inscrivant dans un cadre d’urgence, l’intervention « chirurgicale » conduite par l’armĂ©e française ne sera pas de nature Ă  changer profondĂ©ment les choses. Elle n’est survenue que lorsque la capitale Bamako Ă©tait menacĂ©e et après que la moitiĂ© du pays ait Ă©tĂ© dĂ©jĂ  hors du contrĂ´le des autoritĂ©s centrales. Il semble aussi que le choix du temps de l’intervention pourrait avoir une interprĂ©tation politico-Ă©lectoraliste, surtout dans un contexte de stagnation en termes de popularitĂ© chez les socialistes. L’intervention, dans une certaine mesure, pourrait s’inscrire dans le cadre d’une stratĂ©gie mĂ©diatique Ă  l’amĂ©ricaine reposant sur un « Eastern » SahĂ©lien dans lequel le « camelboy » français viendrait d’une manière hĂ©roĂŻque au secours de son camp de partisans paysans.
             Mais si les « malfaiteurs » sahĂ©liens vont finir par ĂŞtre chassĂ©s, ils seront de retour dès que le « camelboy » rentrera chez lui. Le train de libĂ©ration du territoire malien dont la locomotive est purement française risque de dĂ©railler laissant derrière lui le reste de ses modestes wagons West-africains dispersĂ©s dans le dĂ©sert de l’Azawad.
              La solution ne pourrait ĂŞtre envisagĂ©e que dans le cadre d’une approche globale, qui tienne compte de toutes les composantes du problème malien. En urgence, la meilleure formule serait une rĂ©habilitation de la souverainetĂ© de l’Etat malien, suivie d’un processus de rĂ©conciliation nationale pouvant aboutir Ă  un consensus sur la mĂ©thode la plus adĂ©quate pour partager le pouvoir politique et les fruits du dĂ©veloppement. Il n’y aura pas de bâton magique, ni de carotte magique ; le premier ne ferait pas fuir les ’’Aqmistes’’ et la seconde ne suffirait pas pour faire surfer les ’’Azawadistes’’ sur les mĂŞmes longueurs d’onde  que l’Etat Français et son rĂ©gime « sous-traitant »local.
              Si la France a rĂ©ussi son coup de bâton aĂ©rien, l’expĂ©rience en Afghanistan porte Ă  croire que le retour du bâton terrestre terrifiant des ’’Aqmistes’’ serait plus douloureux, surtout dans une zone d’intĂ©rĂŞts prioritaires pour l’ancienne puissance coloniale. L’enlèvement de ressortissants Français errant dans la sous-rĂ©gion ne serait qu’un petit signe de ce que pourrait ĂŞtre une vengeance froide, aride, structurĂ©e et orchestrĂ©e par les nouveaux « maestros » du vide sahĂ©lien oĂą le Kalache rythme la danse avec les loups du dĂ©sert.
              Force est de constater que cette guerre ne va guère faire tourner le vent sahĂ©lien au grĂ© du moulin français, rĂ©cemment rĂ©veillĂ© par une prĂ©sence de l’aigle amĂ©ricain, survolant rĂ©gulièrement un territoire autrefois ’’outremeriste’’, cher aux dirigeants de l’Hexagone. Cette guerre ne dĂ©masquera pas le visage du tabou ’’Azawadiste’’ et ne couvrira pas non plus la calvitie du pouvoir central dĂ©pouillĂ©, du fait de la corruption, de toute plume de crĂ©dibilitĂ©. Mais elle fera sans doute plonger la machinerie militaire française et ses apprentis West-africains dans un ocĂ©an de sable sans horizon. C’est juste le symptĂ´me qui a Ă©tĂ© traitĂ© par cette intervention. Quant Ă  la source rĂ©elle du mal malien, elle restera, tout au moins dans le temps actuel, loin de la portĂ©e du « chirurgien » français et ses « infirmiers » West-africains qui, Ă©tant mal formĂ©s et peu informĂ©s, rĂ©agissent comme des moutons de la panurge.

Abdallahi Ould Mohamed
abdallahi27@yahoo.fr


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