La justice tunisienne a interdit la diffusion lundi d’une interview du chef jihadiste en cavale Abou Iyadh par la radio Mosaïque FM, une décision qualifiée de "censure" par le syndicat des journalistes, alors que le pouvoir craint l’essor de groupes salafistes armés.
Cet entretien "peut contenir des messages codés pouvant influencer le déroulement de l’enquête (contre Abou Iyadh) et troubler l’ordre public", a estimé le juge d’instruction Jalel Eddine Boukhtif dans une lettre transmise à la radio et lue à l’antenne. Le magistrat a précisé que l’enregistrement audio et vidéo réalisé il y a quelques jours allait être "confisqué". Les autorités tunisiennes, dominées par les islamistes d’Ennahda, ont mis en garde ces derniers mois contre l’implantation de groupes armés liés à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et l’augmentation du trafic d’armes dans le sud du pays. Abou Iyadh -- de son vrai nom Seif Allah Ibn Hussein--, chef d’Ansar al-Charia (Partisans de la Charia) en Tunisie, est soupçonné malgré ses démentis d’avoir orchestré l’attaque contre l’ambassade des Etats-Unis le 14 septembre 2012 à Tunis, qui a fait quatre morts parmi les assaillants. Il est recherché "pour homicide volontaire avec préméditation, pour complot contre la sécurité intérieure du pays, pour une attaque contre la sécurité extérieure de l’Etat" ainsi que la formation d’un groupe "en vue de commettre un acte terroriste" en Tunisie et à l’étranger, a souligné le juge. C’est la première fois que la justice détaille les accusations visant Abou Iyadh, qui risque, en théorie, la peine de mort. Le rédacteur en chef de Mosaïque FM, Néji Zairi, a fustigé la décision du juge. "La liberté d’expression en Tunisie n’est pas totale et l’espace se resserre chaque jour un peu plus", a-t-il affirmé. La secrétaire générale du Syndicat national des journalistes tunisiens, Nejiba Hamrouni, a dénoncé pour sa part un retour à la "censure" de l’époque du président déchu Zine El Abidine Ben Ali renversé par le révolution du 14 janvier 2011. "Nous condamnons ces pratiques avec lesquelles nous pensions avoir rompu le 14 janvier", a-t-elle ajouté. Diffusion annoncée sur internet
Selon la radio, Abou Iyadh revient dans l’entretien sur sa cavale, sa position vis-à -vis d’Ennahda ainsi que sur les récents affrontements impliquant des militants jihadistes présumés et les forces armées près de la frontière algérienne. Ansar al-Charia a annoncé sur sa page Facebook qu’il allait diffuser dans la journée l’entretien, mais en début de soirée l’interview n’avait toujours pas été mise en ligne. Abou Iyadh échappe à la police depuis l’attaque de l’ambassade américaine. Il avait nargué les autorités trois jours après le drame en prêchant dans la principale mosquée du centre de Tunis. Depuis, il a diffusé quelques vidéos sur internet. Dans sa dernière déclaration, le 2 novembre, il avait appelé au calme après des affrontements entre policiers et salafistes près de Tunis. Nasreddine Ben Hadid, le journaliste indépendant qui a réalisé l’interview, a affirmé que le chef salafiste se cachait à Tunis et qu’il avait été conduit à lui les yeux bandés après avoir changé à trois reprises de véhicule. Agé de 47 ans, Abou Iyadh est une figure du jihadisme depuis le début des années 2000. Il était l’un des deux dirigeants du groupe tunisien soupçonné d’avoir tué le chef afghan de la résistance anti-talibans, le commandant Ahmad Chah Massoud en septembre 2001. Il a été arrêté en Turquie en 2003 puis extradé vers la Tunisie, où il a été condamné à 43 ans de prison avant d’être libéré à la faveur d’une amnistie à la suite de la révolution.
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