La Mauritanie et l’intervention militaire au Mali / par Yahya Ould Amar   
16/09/2012

Le Mali est un pays frontalier, frère de sang et de religion, avec lequel nous, mauritaniens, partageons une longue histoire. Ce pays est menacé de démantèlement, après l’occupation de sa partie nord par des djihadistes. Il vit aujourd’hui les moments les plus sombres de son existence.Comme dans la plupart des..



...«pays pauvres et endettés» dont fait partie le Mali, les institutions républicaines, qui sont les fondements de l’Etat, sont inexistantes et l’unité nationale est un slogan vide.
D’un point de vue gĂ©nĂ©ral, ces « pays pauvres et endettĂ©s » n’ont connu depuis leur naissance que des difficultĂ©s Ă©conomiques Ă  ce jour insolubles - et  sans la

«charité internationale», déguisée sous diverses terminologies comme : «la coopération bilatérale ou multilatérale», «les financements d’Institutions de Développement» - ces pays sont à genoux face à toute crise majeure intérieure.
Ne dit-on pas que « l’Argent » est le nerf de la guerre ?
« L’Argent » peut aider à éviter la guerre par la négociation de l’achat d’une paix, ce qui est souvent le choix le moins couteux dans le temps, surtout pour un pays pauvre comme le Mali.
Ce pays n’a jamais pu respecter ses engagements pris dans les différents accords avec les rebelles Touaregs qui revendiquent légitimement une plus grande intégration économique, culturelle et politique de leur région, longtemps laissée à l’abandon par les dirigeants à Bamako.
Il est acquis que, par cette région transite 40% des drogues dures dans le monde, et qu’elle est devenue le cœur géographique sahélien du deuxième plus grand marché mondial du trafic d’armes, ainsi que la base arrière des preneurs d’otages.
Après tant d’années de conflits et de sècheresses dans le nord malien, l’assemblée nationale malienne a voté en fin 2009 un montant d’environ un million d’euros pour les projets dans tout l’Azawad ! Ce qui est insignifiant.
Aujourd’hui, il y a un vide politique au Mali. Le gouvernement de transition actuel, n’a pas de légitimité suffisante pour être considéré comme un interlocuteur crédible, aux yeux de la communauté internationale ou des Touaregs dont les revendications historiques sont devenues inaudibles, depuis le contrôle de la région de l’Azawad par des salafistes djihadistes.
Ces revendications justes ne sont pas portées par un chef charismatique indiscutable ni par une idéologie fédératrice pouvant transcender les divergences entre les différents groupes Touaregs, ce qui ne peut faciliter des négociations.
Les Touaregs de l’Azawad reprĂ©sentent environ un million d’habitants,  soit moins de 10% de la population malienne (15 millions).
Tout le monde sait que tous les Touaregs sont majoritairement non-salafistes. Que tous les salafistes y compris ceux d’ailleurs ne sont pas forcément des djihadistes.
Au vu de ce qui prĂ©cède, que peut faire la Mauritanie qui est, malheureusement de longue date,  membre du club des « pays pauvres et endettĂ©s » ? Une intervention militaire est-elle envisageable et sous quelle forme ?
Quelles sont les conséquences futures pour la Mauritanie d’une non-intervention militaire au Mali ?
Je ne peux prétendre avoir la réponse à ces questions qui méritent d’être débattues, je me limiterais donc à évoquer quelques pistes de réflexions.
Je dirais, comme commencement de réponse que cela dépend, en partie, des contextes régional et international ainsi que de notre situation intérieure.
Il y a un appel moral et religieux pressant à aider un voisin en danger, si celui-ci accepte d’entendre la voix de la raison en s’engageant fermement à satisfaire les revendications légitimes des populations Touaregs, longtemps victimes d’exclusion, d’injustices et de répressions.
La religion musulmane, sur l’importance du poids du devoir (Hagh) envers le voisin (« Jare ») est très claire. C’est d’ailleurs l’accomplissement de ce même devoir par le Sénégal, qui a encadré et permis la dernière élection présidentielle dans notre pays.
Nous avons les mêmes grands espaces désertiques que la Mali, le gros des contingents d’Aqmi sont des mauritaniens et non des maliens, en cas de non-intervention militaire, nous risquons de donner le temps pour s’organiser, pour se renforcer et pour s’armer à un ennemi qui nous a combattu à de nombreuses reprises et qui sans nul doute nous attaquera dans un avenir proche ou lointain.
Ce qui revient à dire, qu’aider aujourd’hui le Mali à recouvrer sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire, c’est renforcer l’avenir de la stabilité de notre pays.
Les interventions militaires, dans l’histoire contemporaine, ne se ressemblent pas. Selon les critères de réussite ou d’échec considérés, elles ont plus ou moins des résultats mitigés, voire catastrophiques en termes de couts humains et financiers.
Mais n’arrive-t-il pas qu’on accepte, en cas de maladie, de couper une partie de notre corps pour sauver le reste ?

Vous ne continuerez pas la lecture de cet article si je vous dirais que les interventions militaires occidentales en Irak, en Afghanistan, en Libye, celle des éthiopiens en Somalie ou celle de l’Arabie Seoudite à Bahrain ont :


- RenforcĂ© la dĂ©mocratie, la libertĂ©, les droits de l’homme,
- Créé une vĂ©ritable amitiĂ© entre les pays,
-  Rendu les pays plus surs,
- crĂ©e un rayonnement scientifique et culturel sans prĂ©cèdent dans l’histoire des pays « libĂ©rĂ©s ».


Puisque cela est une tromperie grossière.
Si notre pays s’associe à une intervention militaire pour empêcher le démantèlement de notre voisin malien, ce n’est pas prioritairement pour défendre ce qui précède, mais réellement pour assurer l’avenir de la stabilité et de la sécurité en Mauritanie.
Certains pensent que c’est aux maliens d’abord de  libĂ©rer leur pays, pas aux mauritaniens, ….mais peuvent ils le faire avec une armĂ©e laissĂ©e Ă  l’abandon depuis plus de vingt ans ?
N’ont-ils pas des équipements militaires obsolètes, dont certains datent de la deuxième guerre mondiale comme la vingtaine de leurs chars T-34. A quoi peuvent servir dans le désert sablonneux ou montagneux leur dizaine d’autres énormes chars T-55 ? Il en est de même pour les batteries de défense anti-aériennes, puisque les rebelles n’ont pas d’avions.
Ils n’ont pas assez de moyens de transport de troupes (moins d’une centaine d’engins blindĂ©s), de pièces d’artillerie (moins d’une cinquantaine),  pour pouvoir rĂ©occuper la vaste zone de l’Azawad.
Ce type de champ de bataille qui s’étend sur de vastes étendues désertiques exige des équipements facilitant la mobilité et non ceux de la guerre de positions. Le contexte régional de cette crise malienne est assez complexe.
L’AlgĂ©rie, la puissance militaire rĂ©gionale frontalière du Mali sur 1300 km, ne veut pas d’une intervention militaire, malgrĂ© les actes de guerre contre elle, commis par les djihadistes, avec prises d’otages et assassinat de l’un de ses diplomates. Pour elle, une intervention militaire ferait oublier Ă  la communautĂ© internationale, pour un certain temps la cause sahraoui et les camps de rĂ©fugiĂ©s de  Tindouf, chers aux algĂ©riens dans leur stratĂ©gie de lutte d’influence rĂ©gionale face au Maroc.

L’Algérie a aussi ses citoyens Touaregs dans la zone pétrolière du Sud, elle a toujours été impliquée dans les négociations entre les autorités maliennes et les Touaregs de l’Azawad. Ce qui la préoccupe c’est l’avenir de la stabilité de sa propre région Touareg.
Elle ne peut accepter un Etat Touareg à ses frontières, pouvant donner des idées d’autonomie ou de rébellion à ses populations du Sud.

Le Maroc a donc intérêt à ce que la crise malienne perdure, éclipsant de facto la question Sahraoui.
Dans la guerre internationale contre le terrorisme, l’occident a besoin du piège malien  et du temps pour attirer le maximum de djihadistes de tous pays, afin de les combattre sur un mĂŞme front.
Le Qatar en finançant les djihadistes dans le nord malien renforce volontairement ou involontairement la stratégie marocaine et la tactique occidentale.
La Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sait que l’intervention au Mali sur un champ de bataille méconnu de ses armées, demande beaucoup d’équipements, de moyens de renseignements et de logistique. Ce que ses armées n’ont pas.
Si l’ONU lui donne un mandat d’intervention militaire au Mali, la CEDEAO serait dans l’incapacité de mener à court terme cette mission, eu égard au manque de préparation de ses armées. Le cas de l’armée malienne, mise en déroute par une poignée de rebelles, est l’exemple par excellence.
Il n’est pas aussi certain que la tactique de menaces d’intervention de la CEDEAO poussera les djihadistes à la négociation etau retrait total de l’Azawad. Les membres du Conseil de Sécurité de l’ONU n’arrivent pas à s’accorder sur l’usage de la force dans le nord malien.
Toute notre région ne constitue pas un enjeu économique important en particulier pour les Etats Unis qui ont émis des réserves sur l’efficacité d’un recours immédiat à la force dans le nord du Mali. Ce dernier sera un enjeu tactique dans la lutte contre le terrorisme, si le nombre de djihadistes présents deviendrait significatif.
La situation intĂ©rieure en Mauritanie, avec une opposition contre toute forme de conflit, des ressources financières limitĂ©es, ne facilite pas une mobilisation suffisante pour soutenir  politiquement une intervention militaire d’envergure dont les consĂ©quences pourraient ĂŞtre couteuses,ouvrant la porte aux coups d’Etat et Ă  l’instabilitĂ© dans notre pays. 
Tous ces agendas d’intervention ne coïncident pas avec celui du Mali, qui se débat dans sa crise intérieure.
Sans engagement ferme du Mali à régler définitivement par la négociation la question des revendications légitimes de sa population Touareg, toute participation de notre pays à une quelconque intervention militaire serait hasardeuse. Puisque, cela reviendrait, d’une certaine façon, eu égard aux origines de la crise malienne, à cautionner l’usage généralisé de la force comme mode de règlement des conflits. Ce qui n’est pas acceptable. Si cette condition est réalisée, participer à une intervention militaire collective, avec des effectifs limités permettrait de répondre au devoir moral d’assistance à un voisin en péril. Puisqu’il n’est pas soutenable de rester dans l’inaction, après que ce voisin nous ait aidé contre Aqmi, au cours de toutes nos incursions dans son territoire.
L’armée malienne a besoin de laver l’affront qu’elle vient de subir, elle pourrait être en première ligne dans les combats contre les djihadistes, laissant à la Mauritanie et aux autres pays participant à l’intervention la sécurisation des villes libérées et celles du sud du pays.
Cette forme d’intervention n’est pas un conflit sans fin, crĂ©ant une quelconque haine entre les  peuples malien et mauritanien, mais plutĂ´t renforçant une solidaritĂ© qui les rapprochera et consolidera leurs amitiĂ©s.

Yahya Ould Amar
Administrateur Directeur Général
BCI MR (filiale du Groupe Bancaire français BPCE)
Région Afrique de l’Est et Moyen Orient



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