L’intrusion des militaires dans le champ politique a produit des désastres politiques, économiques et sociaux dans plusieurs pays en Afrique. Le constat historique, d’une implacable évidence, qu’un coup d’Etat est toujours une tragédie dans la vie démocratique d’un pays, a conduit récemment l’Union Africaine à légiférer pour leur criminalisation
Dans notre pays, le processus d’alternance pacifique au pouvoir et la dynamique globale, enclenchée en 2005, de transmission du pouvoir politique à un régime civil, se heurte à la volonté assassine d’un homme, seul, de se l’accaparer, en instrumentalisant l’institution militaire, après avoir largement contribué à la déstructurer. Le fait, ici, est de dénoncer une comédie électorale ayant pour unique ambition de le maintenir au pouvoir, après qu’il l’ait usurpé par la force, en tentant de se tailler sur mesure un costume de civil, comme le fit naguère un de ses illustres prédécesseurs et probable mentor. Cette alchimie invraisemblable devrait déboucher sur une élection contestée et largement contestable de pure légitimation : manipulations du « bataillon parlementaire », corruption à ciel ouvert, répression violente, transgression majeure de la constitution et institutionnalisation du fait accompli. Il est de pure forme de signaler, qu’au delà des slogans, qui ne trompent personne, de « rectification », de lutte contre la corruption, et de moralisation de la vie publique, la motivation principale de ce général, limogé, putschiste et candidat, est, le pouvoir pour le pouvoir. A ce titre, son aveu de l’absence de programme politique, à moins de six semaines de son scrutin d’auto-proclamation, est édifiant. L’organisation d’élections par un pouvoir contesté a toujours produit et partout, les mêmes effets à savoir une exaspération de ceux qui espèrent un renforcement de l’ancrage démocratique, un boycott des partis politiques crédibles, une contestation populaire et un cycle de répression. Pour anticiper les risques de suspicion sur la transparence des élections de la transition démocratique 2005-2007, garantir la neutralité de l’administration chargée des élections et en assurer la supervision, le contrôle et le suivi, notre pays s’est doté en 2005, à titre transitoire, d’une autorité administrative, indépendante et largement représentative car ayant été le fruit d’une réelle concertation : la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI). Les compétences et les démembrements dévolus à cette CENI, ont permis en étroite collaboration avec le gouvernement de transition et tous les acteurs politiques de mener un processus électoral unanimement salué par l’opinion publique nationale ainsi que par la communauté internationale et dont la quintessence fut la reconnaissance par le candidat battu, au second tour des élections présidentielles, des résultats du scrutin. Fait suffisamment rare, en Afrique, pour être souligné. Il est utile enfin de rappeler que la CENI a pour attributions principales la supervision, le contrôle et le suivi de tous les aspects liés aux opérations électorales et entre autres :
La préparation, la révision et la gestion du fichier électoral et l’établissement des listes électorales ;
L’ensemble des préparatifs logistiques, la distribution du matériel électoral, la désignation et la formation des membres des bureaux de vote ;
Les opérations de vote ;
Les opérations de dépouillement des résultats du vote ;
L’acheminement en l’état, aux lieux de centralisation des documents des opérations de vote ;
La centralisation et la proclamation des résultats provisoires.
Chers successeurs, Ayant eu le redoutable honneur d’avoir été membre de la CENI qui a donné ses lettres de noblesses aux élections de 2006 et 2007, je n’ai pu me priver du patriotique et fraternel devoir de vous faire part de ma crainte des menaces qui pèsent sur la crédibilité de cette auguste institution : craintes nullement liées à la compétence ou à l’intégrité morale des hommes et des femmes qui la composent mais à la manière dont les futures élections ont été décidées et mises en œuvre. La conscience que vous avez des risques liés à la crise politique actuelle et des conditions non consensuelles de mise en place de votre institution, ma foi inaliénable en votre capacité à transcender les écueils, votre attachement à l’intérêt supérieur de notre nation, l’exemple de la décision courageuse et combien responsable de Mr Sid ’Ahmed O. HABOTT sont autant de raisons qui m’incitent à espérer en votre capacité de refus de la mascarade électorale et de la dérive institutionnelle.
La tâche qui vous incombe dans cette période de soubresauts du processus de démocratisation de notre pays est, à la fois, plus exaltante, plus complexe, et encore plus éminemment politique que celle que nous avions pendant la période de transition démocratique 2005-2007.
En effet, le contexte est totalement différent et les enjeux plus importants. Entre, la démarche impliquant tous les acteurs politiques donc inclusive et participative et aboutissant à des solutions consensuelles qui prévalait, et, l’attitude unilatérale actuelle des autorités issues du coup d’Etat dans le cadre d’une fuite en avant, votre rôle est de défendre la paix civile en refusant de cautionner le fait accompli. Nous étions dans une démarche où l’objectif était de restituer le pouvoir à un régime civil, près de 29 ans après le premier coup d’Etat militaire de l’histoire de notre pays. Vous êtes, clairement, dans un processus inverse, de tentative de validation d’un inacceptable coup d’Etat contre la démocratie : vous n’êtes pas corvéables, et vous ne serez pas les faire-valoir de la parodie électorale tragi-comique du général, limogé, putschiste et candidat. Votre auguste institution ne peut plier sous la dérive caractérielle d’un assassin de la démocratie. Ceci implique donc de la part de ceux d’entre vous qui veulent être dignes de la Mauritanie mais qui se targueraient d’une neutralité politique comme empêchement à tout rôle politique, de refuser au moins d’être instrumentalisés politiquement, par le général, limogé, putschiste et candidat. L’Histoire vous jugera non seulement par rapport à votre engagement, dans le contexte politique actuel, en faveur des principes démocratiques mais aussi par rapport au dispositif légal définissant vos attributions et par rapport à l’expérience de la riche contribution de la première CENI, dans le succès des procédures électorales de 2006 et 2007. Je veux vous dire que nous avons réellement eu une attitude proactive dans notre action de supervision de contrôle et de suivi, avec une lecture et une compréhension de nos attributions comme incluant dans notre champ de compétence, le stade de conception des différentes étapes du processus électoral. C’est ce qui nous a amené lors de l’établissement de la liste électorale à demander un report au 16 février 2006 du début du Recensement Administratif à Vocation Electorale (RAVEL) initialement prévu le 02 février 2006, alors que nos structures déconcentrées étaient déjà nommées depuis le 19 janvier 2006. Ceci pour nous permettre d’assurer leur formation et de réaliser leur déploiement complet sur toute l’étendue du territoire afin qu’ils jouent pleinement leur rôle. Nous avons eu raison de prendre cette initiative puisqu’elle a permis l’établissement d’une liste électorale relativement inclusive (inscription sur la liste électorale de presque tous les citoyens appartenant à tous les groupes et à toutes les catégories), exhaustive (au moins 90 % des citoyens admissibles inscrits sur la liste électorale) et exacte (au moins 97 % des données saisies sur la liste électorale sont exactes). En effet, notre approche rigoureuse, soutenue par le CMJD et son gouvernement qui ont accepté le report du RAVEL, et, en particulier notre volonté consciencieuse de nous impliquer au stade de conception des évènements, ont permis le changement, vers le renforcement, de la méthodologie de l’Office National des Statistiques : présence physique du détenteur de la Carte Nationale d’Identité au moment de son recensement, numérotation séquentielle des lignes de recueil des informations de la personne recensée et des pages des registres de recensement, signature sur les registres de recensement de l’agent recenseur engageant sa responsabilité et délivrance d’un récépissé au citoyen recensé. Nos structures déconcentrées ont assuré une présence effective sur le terrain accompagnant les agents recenseurs lors de la phase du recensement censitaire du porte à porte et lors de la phase du recensement dans les bureaux fixes. En ce qui vous concerne il semble que vous ne vous soyez pas encore exprimés sur l’actualisation de la liste électorale mais une chose est sûre, votre collège et encore moins vos structures de démembrements, n’étaient pas encore nommés au moment où les opérations de recensement ont commencé et même la plupart du temps de leur écoulement. La particularité est qu’il ne s’agit pas que d’une actualisation de la liste électorale puisque les mauritaniens de l’étranger sont invités à voter et que, vous n’avez pas, à ce que je sache, une représentation dans chacun des pays où vie une colonie mauritanienne importante. Vous devez, si vous décidez de rester dans le schéma actuel, par acquis de conscience, par sens du devoir, par responsabilité devant la gravité de la situation que vit notre pays, dans le plein cadre de vos attributions, en toute sérénité, au minimum, reprendre la totalité de la procédure d’établissement de la liste électorale car il n’existe pas d’autres moyens pour en assurer réellement la supervision, le contrôle et le suivi (chacun de ces mots correspondant à vos attributions ont leur importance). Par ailleurs nous ne nous sommes pas suffit de cet accompagnement effectif et consciencieux, en temps réel, puisque nous avons réalisé après l’obtention de la liste électorale provisoire un audit de cette liste par un logiciel informatique permettant de repérer les doublons et de les éliminer et que nous avons fait faire une enquête de couverture réalisée par un bureau d’études statistiques indépendant qui a permis de confirmer que nous avions atteint les standards spécifiques reconnus internationalement en ce qui concerne les niveaux d’exhaustivité, d’exactitude et d’inclusivité. L’établissement de la liste électorale est la base de tout et il n’est pas acceptable de la bâcler : ne l’acceptez pas. Nous avons aussi innové et renforcé les garanties de transparence et de régularité « technique » des élections en ce qui concerne le matériel électoral et notamment les caractéristiques du bulletin de vote avec un papier de 95 grammes/m², un filigrane, une numérotation séquentielle des bulletins de vote sur carnet à souche, un micro texte ne pouvant être lu qu’à la loupe et ne pouvant être ni copié ni reproduit, l’utilisation d’une encre effaçable réagissant aux dissolvants et aux gommes, l’utilisation d’une encre fiduciaire qui devient fluorescente quand elle est exposée à une lumière UV, l’insertion d’une pastille thermochromique changeant de couleur lorsqu’on frotte avec le doigt car sensible à la chaleur avec une conception de fond composée de mots qui ne peuvent être lus qu’après une inspection minutieuse. De plus, pour ce qui concerne les procédures de vote, de dépouillement et de proclamation des résultats nous avions un représentant de la CENI dans chaque bureau de vote le jour du scrutin ce qui a permis en relation avec nos structures déconcentrées de superviser les opérations de vote, le dépouillement et l’affichage immédiat des résultats devant chaque bureau de vote, l’acheminement et la centralisation des résultats, avec en bout de chaine, la supervision, comportant une centralisation parallèle par nos moyens propres, et c’est une originalité, de manière proactive, en temps réel, de la proclamation des résultats provisoires par le Ministère de l’Intérieur des Postes et Télécommunications. Dans le contexte actuel, même si les éléments cités ci-dessus étaient appliqués, ils ne sauraient constituer des garanties permettant de rendre crédibles des élections dont le principe même et les modalités n’ont pas constitué un consensus politique entre toutes les parties prenantes. Quant à vous, chers successeurs, ils pourraient être considérés, si vous ne les bradez pas, comme des circonstances atténuantes de votre implication dans cette mascarade. A bon entendeur salut ! * Commission « Indépendante » Nationale des Élections de MAscarade (CINÉMA)
Dr Outouma SOUMARE, Neurochirurgien des hôpitaux Ancien membre du collège de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) 2005-2007 Président de l’Avant-garde des Forces de Changement Démocratique (AFCD) http://www.afcd-mr.blogspot.com Membre de la Conférence des Présidents du Front National pour la Défense de la Démocratie (FNDD) Le Calame n°686, du mardi 5 mai 2009
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