La guerre du Sahara : Le courage exemplaire de deux officiers mauritaniens   
16/07/2014

<<MĂŞme la mort rend hommage Ă  la bravoure, car si elle emporte tout avec elle, elle ne peut toucher Ă  cette vertu>>
Sahara, 16 Juillet 1977. Avec vingt-cinq véhicules, le Front Polisario puissamment armé, transforme les abords de Zouerate en enfer.



   Il cherche tout simplement Ă  mettre le pays Ă  genou sur le plan Ă©conomique. C’est ainsi qu’il concentre ses attaques sur l’unique voie ferrĂ©e de la ville, ainsi que sur le train permettant l’acheminement du fer vers la frontière. Le fer ! La plus grande richesse du pays. Le Polisario le sait parfaitement, il n’a de cesse de saboter les installations ferroviaires.
Quand il apprend l’effroyable nouvelle, le colonel Mohamed Ould Bah Ould Abdel kader dit "Kader" (à l’époque Commandant et chef des forces aériennes mauritaniennes), qui se trouvait à Nouakchott, décolle aussitôt à bord d’un Defender, un bimoteur britannique armé de 16 roquettes et de 2 mitrailleuses. La mission est double : apporter un soutien aérien aux troupes terrestres pour les guider dans leur poursuite, et leur fournir des informations précises sur les forces de l’ennemi (je me permets d’utiliser les termes : ennemi, rebelles...car c’était ainsi que La République Islamique de Mauritanie qualifiait, autrefois, le Polisario) . Et puis, peut-être pourrait-il ralentir la course des fuyards. Vers 10h, le Commandant Kader atterrit à la base aérienne d’Atar, embarque le Sous-lieutenant Fall Mahfoud puis redécolle à nouveau. Trente minutes plus tard, il survolait déjà les camions chargés de retrouver les saboteurs qui demeuraient invisibles.
Pour la plupart des pilotes occidentaux, repérer une minuscule ridule tracée dans le sable relèverait de la gageure, mais pour ce fils du désert l’exercice n’a rien d’impossible.
Si le vent ne soufflait pas par rafales, le Commandant Kader atteindrait son objectif en moins d’une heure. Malgré l’omniprésence du danger, le souffle du Defender soulève presque le sable du désert. Son pilote prend le risque de raser la terre et vole à moins de cent mètres d’altitude dans l’espoir de déceler la présence de l’ennemi.
Les reflets nocifs du soleil dérangent le pilote, leurrant ses sens, le trompant sur son altitude réelle. Un instant de déconcentration et c’est la catastrophe. Mais Kader compte plus de deux milles heures de vol depuis le début des attaques du Polisario, il y a longtemps que les recoins du désert n’ont plus de secrets pour lui.
A 14h, le Defender se pose à Zouerate pour se ravitailler en carburant. Le Commandant demande le renfort d’un troisième soldat, l’observateur 2ème classe Ahmed Ould Mohamed Abdallahi.
Entre-temps l’infanterie amie poursuit les recherches.
Le Sahara est immense. Le Polisario, sûr de lui, se croit hors de danger. Il a changé de direction, alors qu’il filait plein Est, il a brusquement obliqué vers le Nord. Mais Kader ne tardera pas à tomber sur les sillages des fuyards. Ce sera la dernière tentative de ceux-ci pour désorienter les poursuivants...
Le vent souffle fortement et <<le brouillard du désert>> se lève, réduisant ainsi toute visibilité ce qui contraint le pilote à raser la terre s’il ne veut pas perdre de vue les sillons que le passage du Polisario a tracés dans les dunes de sable, et qui deviennent de moins en moins perceptibles.
Dans son obstination, Kader a choisi de prendre tous les risques pour atteindre au plus tôt son objectif. Il sait parfaitement que dans cet espace de silence, le bruit de ses moteurs s’entend à des kilomètres à la ronde mais il n’en a cure, son attention est toute entière braquée sur sa mission.
Soudain, les saboteurs discernent le bruit de l’avion, et se camouflent derrière un piton rocheux, les mitrailleuses embusquées sont prêtes à prendre l’avion pour cible.
Quand les traces qui serpentaient entre les dunes de sable disparaissent, le commandant réalise qu’il approche l’ennemi. Mais en l’espace de quelques secondes seulement, les rebelles surgissent.
<<Le Polisario à la verticale !>>, hurle le Sous-lieutenant Fall. Le Commandant tire de toutes ses forces sur le manche, s’accroche avec rage aux commandes de son avion pour reprendre de l’altitude au plus vite. Il sait que dans quelques secondes, les armes des rebelles cracheront un déluge de fer et de feu. L’avion est criblé de balles de mitrailleuses qui le secouent fortement. Il grince de toutes ses tôles car l’effort qu’on lui impose est énorme. Le Defender n’est pas un avion de chasse, donc il ne possède pas la rapidité et la vitesse des chasseurs. Il est conçu pour les vols de reconnaissances. Pourtant, il grimpe aussi vite qu’il peut vers la sécurité, 200 mètres, 250, bientôt il sera hors de danger. Le Commandant et son équipage reprennent du moral. Mais ça ne dure pas.
Tandis que le Sous-lieutenant Fall cherche leur position sur la carte pour la signaler aux amis, une déflagration étourdissante déchire le ciel. Cette explosion n’a pas épargné le valeureux soldat Ahmed Ould Mohamed Abdellahi qui est projeté dans le vide et meurt sur le coup (que Dieu ait son âme et l’accueil dans ses vastes paradis).
Un projectile a traversé l’un des deux moteurs. Le court-circuit a été immédiat. L’explosion a pratiquement coupé en deux le fuselage. Seuls quelques bouts de métal et les câbles de direction empêchent l’avion de se disloquer. Le feu se répand vers l’arrière en direction de la cabine de pilotage.
Quelque peu assommé par le choc, le Commandant Kader se ressaisit et exécute mécaniquement les manœuvres d’urgence qui consistent notamment à couper les circuits électriques et l’alimentation. Le Defender est en vol libre, mais il ne planera plus longtemps. Le pilote n’a pas le temps de choisir son terrain d’atterrissage. Il aperçoit devant lui alors une bande de sable sur laquelle il manœuvre un atterrissage de fortune. Enfin, le Defender touche le sol, glisse quelque seconde avant de s’immobiliser.
L’équipage tente, au plus vite, de récupérer les réserves d’eau entassées derrière les sièges, mais les flammes menacent dangereusement le réservoir. Le Commandant et son copilote s’extraient immédiatement de l’épave. Mais pour le mitrailleur il n’y a plus rien à faire. La déflagration ne lui a laissé aucune chance. Les survivants n’ont pourtant pas le temps de s’apitoyer sur son sort. Bientôt le Defender ne sera plus qu’un immense brasier pouvant exploser d’un instant à l’autre.
Les deux hommes accourent de façon à gagner le maximum de distance et pour éviter, surtout, une confrontation avec les rebelles. Ceux-ci se précipitent déjà guidés par l’épaisse fumée noire qui monte vers le ciel, vers la carcasse de l’avion : l’ennemi découvre le carnet de bord du pilote où est mentionné le nom de ce dernier : Le Commandant Kader ! Le Polisario exulte. Il est sur le point de réaliser une victoire, la victoire la plus importante depuis le début de la guerre : Il a abattu l’avion de l’unique aviateur du pays, Commandant des forces aériennes mauritaniennes. Quel terrible et dramatique revers pour la toute jeune armée mauritanienne !!!
Les sahraouis du Polisario entreprennent les recherches. Mais le sol, caillouteux, ne présente aucune trace de pas. En outre, les traces que laissent les chaussures militaires ne sont qu’à peine visibles.
A bord de leurs Jeeps, les rebelles commencent à effectuer des cercles concentriques mais de plus en plus larges autour de la carcasse du Defender qui, étrangement, n’a pas explosé. A une centaine de mètres derrière eux, Abdel kader (Kader) et son copilote Mahfoud Fall demeurent toujours introuvables. Ils se sont recouverts de sable jusqu’au cou, les têtes dissimulées derrière quelques branches. Pour leurs poursuivants, partout l’horizon il n’y a pas âme qui vive.
Il était temps, des uniformes passent à quelques dizaines de mètres de là. Kader se tourne vers Mahfoud et lui dit : <<restez allongez et ne bougez plus !>>. Leurs poumons sont en feu, mais ils retiennent leur souffle. Ils ne peuvent avoir échappé à la mort pour tomber aux mains du Polisario. Les deux survivants regardent passer la colonne des sahraouis du Polisario. Ceux-ci gardent à l’esprit que l’armée régulière mauritanienne est toujours à leur poursuite, ils ne peuvent donc s’éterniser dans les parages.
Il est 18h 15, la nuit n’est pas encore tombée. Kader entend la colonne du Polisario reprendre sa route. Mais le Commandant qui connait parfaitement les ruses de l’ennemi ne bougera pas de son trou avant le coucher du soleil, et d’ici là les deux hommes demeurent parfaitement ensablés.
Les deux officiers sont soulagés, mais ils ne sont pas sortis d’affaire pour autant, car après la fuite va commencer pour eux une seconde épreuve : la lutte contre le désert, la chaleur, la soif...
Deux heures plus tard, l’obscurité s’étend, le danger s’éloigne. Les deux survivants sortent de leur cachette et se précipitent vers l’épave dans l’espoir de récupérer les bidons d’eau. Mais ils réalisent très vite que ceux-ci n’ont pas été épargnés par le feu. Le Commandant se tourne vers le Sous-lieutenant Mahfoud le prend entre ses bras l’embrasse et lui dit :<<Du courage mon petit, on s’en sortira !>>. Le Lieutenant Mahfoud écrira plus tard dans son rapport : << J’avais entièrement confiance en moi et en mon chef que je savais un homme valeureux>>.
Les deux hommes tiennent encore, mais pour combien de temps? Ils ne peuvent Ă©mettre aucun message ni en recevoir.
Au milieu de la nuit, les deux officiers tombent sur des végétaux que le Commandant connait bien : ce sont des plantes comestibles dont se nourrissent les dromadaires. Elles contiennent un liquide que les deux hommes absorbent avec peu de satisfaction.
Au petit matin, le Commandant Kader fait comprendre Ă  son copilote Mahfoud que leur unique moyen de survie est leur avion qui, en toute logique, sera prochainement rejoint par les troupes amies.
Au niveau de l’état-major national, la nouvelle se répand que le Commandant des forces aériennes Kader est ses deux coéquipiers sont tombés au champ d’honneur.
Cependant la nouvelle n’est pas diffusée sur les ondes. Le Président de la République Monsieur Mokhtar Ould Daddah (que Dieu ait son âme), ordonnait à la radio nationale de rester en attente tant que le sort de l’équipage n’est pas déterminé.
Il est 13h45, dans le désert, l’étendue est immense, la chaleur atteint son apogée, le vent souffle fortement soulevant le sable des dunes. La soif tenaille les deux hommes, qui gardent malgré tout espoir. Tout à coup le Commandant Kader crie à son copilote : <<Mahfoud, ils sont là ! Les amis sont là!>>. En effet, des T6, avions appartenant à l’aviation marocaine amie, stationnés à la base d’aérienne d’Atar, survolaient la région. Les deux survivants sont à la verticale des avions, et secouent vivement des torchons (lesquels sont souvent utilisés par les hommes du désert pour se protéger contre le vent de sable). Mais désespérément, les avions disparaissent progressivement dans les hauteurs du ciel bleu.
Après cet espoir déçu, les deux officiers commencent à craindre le pire. Ils savent qu’ils ne pourront pas tenir encore longtemps. Ce ne sont pas ces plantes comestibles dont se nourrissent les dromadaires qui pourront les sauver. Ils savent que dans quelques heures ils seront morts de déshydratation.
Sur les lieux de crash, les deux survivants affrontent la fournaise du jour. L’avion mort n’offre qu’une petite bande d’ombre. Kader et Mahfoud se vident de leur eau par chaque pore de leur peau.
- La colonne va nous retrouver, mon Commandant ? demande le Lieutenant Fall Mahfoud.
Afin de créer un climat de détente, de confiance et d’espoir, le Commandant Kader répond :
- Ecoute mon petit, nous avons échappé à tous les obstacles qui se sont dressés devant nous jusqu’à présent, il n’y a pas de raison pour qu’on ne s’en sorte pas. Il est sûr que nos amis ont déclenché l’alerte et qu’ils mettront tous les moyens en œuvre pour savoir ce qui nous est arrivé.
Le Lieutenant Mahfou Fall Ă©crit sur son passeport : <<Que notre sacrifice soit un exemple pour tous les hommes Ă©pris de justice et de paix>>.
Kader se lève comme un automate, dans la suie qui souille le fuselage du Defender, il trace laconiquement des lettres avec son doigt : <<mort par la soif>>. Un petit sourire déforme ses lèvres desséchées :
- Tu comprends, Mahfoud. Je veux que tous sachent que seul le désert a pu nous vaincre. Le désert, Mahfoud. Pas le Polisario.
Les mauritaniens qui sont parties à leur secours sont dirigés par le Capitaine Brayka Ould Mbarek, qui a été exceptionnellement courageux pour s’être obstiné et pour avoir refusé d’abandonner les recherches tant qu’il n’aura pas retrouvé l’équipage (témoignage du Capitane Breyke Ould Mbarek sur la Chaine El Watania).
Soudain le miracle se produit ! La colonne du Capitaine Brayka Ould Mbarek est plantée devant les deux survivants, à seulement une soixantaine de mètres.
Le Commandant Mohamed Ould Bah Ould Abdel kader ’’KADER" et le Sous-lieutenant Mahfoud Fall ont été retrouvés : déshydratés, affamés, les narines bouchées de sable et les visages brulés par le soleil. Mais vivants. Fiers dans le rôle joué pour la défense de leur patrie.
Le 01 Août 1977 le Commandant des Forces aériennes mauritaniennes Mohamed Ould Bah Ould ABDEL KADER dit "KADER" passe au grade de Lieutenant-colonel à titre exceptionnel. Il obtient une citation à l’ordre de la nation pour sa bravoure et sa compétence. Il devient alors le seul officier supérieur mauritanien deux fois cité à l’ordre de la nation. En Mauritanie Kader devient un héro, et le mauritanien de la rue apprend l’existence d’un pilote incroyable...Le Sous-lieutenant Mahfoud Fall accède également au grade de Lieutenant à titre exceptionnel.
(Qu’Allah accueille dans ses vastes paradis tous nos martyrs qui sont morts dans la dignité et pour la dignité de la République Islamique de Mauritanie).



Par Docteur, Professeur Sidi-Mohamed ABDEL KADER


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