Société : La faute à l’argent   
19/07/2007

Trois événements majeurs rythment la vie dans la société traditionnelle africaine : la naissance, le mariage et la mort. A des degrés différents, ces moments cruciaux de la vie sont célébrés. Si ici et là, il subsiste encore des partisans de la bombance, il faut reconnaître que leurs rangs se rétrécissent comme une peau de chagrin. La conjoncture est passée par là.



La venue d’un enfant dans la famille constitue un moment de très grande intensité émotionnelle. En effet, ce dernier cristallise une symbolique qui allie fertilité, prospérité et perpétuité. C’est pour cela que son avènement était festoyé jusqu’à outrance. Des béliers, parfois même des taureaux étaient immolés en son honneur. Pendant une journée entière, l’on mangeait de la bonne chaire dans la famille, les voisins aux revenus beaucoup plus modestes ainsi que les plus démunis y trouvent une occasion pour améliorer leur menu quotidien. En même temps, les griots, laudateurs publics et tout simplement les petites gens profitaient de cette aubaine pour se servir en quartiers de viande, mesures de céréales, coupons de tissu et même de quelque argent. A la fin de la journée, tout le monde s’en allait heureux.
Aussi, le mariage représente le passage de la vie de garçon à celui d’une vie à deux. C’est également l’expression d’une union : celle de deux êtres mais aussi de deux familles. C’est pour cette raison que autant dans la famille du marié que dans celle de la mariée, les uns et les autres rivalisent de cÅ“ur pour fêter cet événement avec le faste que cela requiert. A ce niveau, il faut, noter que la cérémonie est plus festive que la baptême, eût égard à l’importance de la chose mais aussi encore au fait qu’il concerne deux familles. Il va sans dire que c’est l’occasion où jamais pour certains d’étaler l’importance de leur avoir et la «grandeur de leurs os.» Cela se traduit par des gestes d’éclat tels que l’abattage d’un grand nombre de bÅ“ufs, de taureaux et également de dons conséquents. Dans certains milieux tel que la société soninké, la cérémonie dure une semaine entière et pendant tout ce temps, la maison des mariés constitue le point focal de toute la localité. Il n’est pas question de lésiner sur les moyens pour offrir aux invités l’hospitalité et surtout la nourriture. Le menu se présente sous la forme d’une bouillie de mil le matin, tandis que le déjeuner est fait de riz accompagné de viande, le soir l’on sert du couscous à la viande accompagnée de lait frais.
Par ailleurs, l’africain étant toute sa vie durant une personne entourée, il va sans dire que quand la mort survient dans une famille, c’est toute la communauté, les proches, amis et alliés qui, dans un même élan, investissent la demeure du défunt et observent le deuil avec la famille éplorée. Les funérailles revêtent un cachet pour le moins festif. Il faut remarquer qu’à ce niveau, certaines pratiques propres à la communauté négro-africaine constituent une entorse aux principes islamiques. Il s’agit essentiellement de la disproportion que l’on peut observer entre le caractère douloureux de la perte d’un être cher et la noce qui suit le décès. En fait quand une personne décède, une pratique grotesque est observable : dès le retour des hommes du cimetière, l’on s’empresse de dresser des bâches et des tentes pour soit-disant protéger les gens du soleil, mais personne n’est dupe. Ce manège n’est rien de moins qu’une invite au festin. En effet, une semaine durant voire plus, quiconque peut venir se nourrir de riz à la viande, de couscous au lait, c’est selon le choix ! C’est l’occasion ou jamais pour les oisifs de tout poil de se venir boire du lait, du thé, de…mâcher de la cola sans le moindre frais. L’aubaine est si tentante que certains passent le plus clair de leur temps à écumer les villes en quête du moindre décès à se mettre sous la dent. Il faut ajouter à cette situation une habitude ancestrale propre aux communautés négro-africaine, c’est celle-ci qui consiste à parcourir de longues distances, et, parfois carrément de quitter un pays pour un autre pour présenter les condoléances et offrir à la famille du défunt une somme d’argent ou un don en nature pour aider la famille à supporter les frais funéraires. Toute fois, si ces festivités étaient attestées dans le passé, par les temps qui courent, il est à noter que ces pratiques tendent à disparaître sous les coups de boutoir d’un quotidien implacable. L’argent se fait rare. Les esprits s’éveillent de plus en plus sur la nessecité d’une gestion rationnelle des biens difficilement acquis. L’heure n’est plus à la démesure. Aussi, actuellement, à la naissance d’un enfant, il est fréquent d’entendre des proches du père de ce dernier : Â«nous ne prévoyons rien !» Cette phrase est lancée à l’endroit des éventuels quémandeurs et pique-assiette en vue de les décourager à se présenter le jour j. Dans la famille, l’on se contente d’immoler le mouton réglementaire et les choses sont réduites à leur plus simple expression Le mariage continue certes à incarner toute l’intensité émotionnelle qui est la sienne mais les dépenses coûteuses et les réjouissances grandioses ont fait place à moins de faste et à plus de réalisme. Khalilou, émigré en Espagne résume la situation en ces termes : Â«Il vaut mieux se vanter d’avoir un foyer formidable que d’avoir fait un mariage formidable». En d’autres termes cela ne sert à rien de trimer à mort pendant de longues années pour amasser un capital que l’on claquera en quelques jours et que par la suite, l’on peine à nourrir sa famille. Certains ont trouvé la parade en célébrant les noces dans la chambre d’une auberge à Nouakchott ou en consommant le mariage dans un pays voisin et revenir quelques temps avec la mariée en mettant tout le monde devant le fait accompli et ce avec la bénédiction de la belle-famille parfois ! C’est ce qui se fait de mieux actuellement dans les villes du sud de la Mauritanie. La trouvaille a certes du succès, mais rencontre encore ça et là quelques réticences de la part de certaines personnes qui ne voudraient pas être les cobayes sur qui s’expérimente la rupture d’avec la tradition. Les cérémonies funéraires continuent à ressembler plusieurs personnes dans la demeure funéraire mais la nouvelle donne veut que l’on ne s’éternise pas sur place. De plus on ne se formalise plus outre mesure s’il arrive que des proches ne se déplacent pas d’une autre ville ou d’un autre pays pour venir sur place présenter les condoléances. L’on comprend maintenant que les moyens matériels ne permettent plus à certains de sauter dans une voiture dès l’annonce d’un décès. En définitive, il devient incontestable que les habitudes et les valeurs livrent une bataille perdue d’avance à l’exigence du moment : l’argent.
BIRI N’DIAYE


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