Courrier : Mais pour qui, le PrĂ©sident Aziz nous prend-il ? Par M. Abbas A.   
08/12/2009

La République est sacrée. Son président doit être parfaitement respectable et respecté. Car, il incarne l’Etat ; cette entité abstraite –mais encore si concrète- que l’homme a inventée pour ennoblir la soumission. Et pour veiller sur l’intérêt général de la Collectivité nationale.



Les politologues ont depuis longtemps établi que la mission première de tout Gouvernant est d’assurer la sécurité extérieure et la paix –et si possible la prospérité- intérieure.
Je sais que tout cela est belle théorie lorsqu’on parle du cas de la Mauritanie ; car des écarts sensibles ont toujours existé sur ce registre entre ’’le vécu’’ et le ’’supposé’’.
Mais force est de reconnaitre que le ’’Système Aziz’’ a trop creusé ces écarts. Ce système qui –faut-il le rappeler- date d’Août 2005, et non comme certains veulent nous le faire croire depuis le mois d’août 2008. Disons-le tout de suite et franchement : Aziz commande le pays-peu ou prou- depuis plus de quatre (4) ans ; soit grosso modo la durée d’un mandat présidentiel selon notre Constitution révisée. Et cela est très important à garder à l’esprit lorsqu’on veut porter un jugement sur l’action de cet homme, et pour apprécier valablement les espérances qu’on peut y placer.
Une journaliste étrangère bien introduite dans la sphère du Système Aziz, a qualifié notre Président actuel de personnage atypique. Est-ce une critique ou une louange ?!
Le mot ’’atypique’’ est en effet celui qui rend le mieux compte de ce qu’on observe dans ce pays depuis que cet homme exerce son Pouvoir. Son ’’atypisme’’ est hélas bien préjudiciable pour le présent et l’avenir de notre République. J’utilise de manière délibérée le vocable ’’République’’ et non celui de ’’pays’’. En effet, le pays je m’en soucie pas beaucoup… car ce peuple continuera d’évoluer sur ce territoire tant bien que mal ; et il en sera ainsi même si la République viendrait à disparaître ; car ne l’oublions pas, celle-ci est trop jeune chez nous, 50 ans à peine, alors que nous peuplons ce territoire depuis plusieurs siècles.
Je disais tantôt, que l’atypisme de l’homme est source de préjudice. Oui, en effet. Et c’est notamment parce qu’il n’a pas compris et assumé que pour exercer correctement le Pouvoir, tout homme d’Etat se doit de l’exercer avant tout sur lui-même.
Allons-y maintenant vers le programme et l’action de l’homme. Et pour y aller, le chemin le plus court –et le plus honnête- est de le laisser lui-même présenter ’’son action’’. Et on va juger et commenter à travers des ’’insertions textuelles’’.
Selon notre très officielle Agence d’information (AMI), le Président Aziz a rendu hier (8 décembre) une visite à l’hôpital Zayed. Au terme de cette visite, il a fait des déclarations à la presse dans lesquelles il a dit, répondant à une question relative aux mesures prises pour ne pas voir se répéter l’opération d’enlèvement qui a visé récemment trois citoyens espagnols: " Les autorités sont vigilantes vis-à-vis de toute agression et prennent toujours les mesures appropriées. Mais il y a des accumulations qui sont la cause de ce qui s’est produit ici, surtout au niveau des atteintes à la sécurité. Nous nous attelons actuellement à surmonter ces défaillances. Dans ce cadre nous avons pris, au cours des derniers mois et depuis l’installation du gouvernement actuel, les mesures nécessaires et nous poursuivons notre action dans ce sens, surtout qu’il ne s’agit pas d’un problème qui peut être résolu en un seul jour mais plutôt d’un problème dû à des accumulations antérieures.

Insertion n°1 : Notre PrĂ©sident devrait savoir que le fait de diriger un pays n’autorise pas le Gouvernant Ă  insulter l’intelligence des populations. Le Gouvernement actuel a Ă©tĂ© installĂ© en aoĂ»t 2009 alors que vous ĂŞtes aux commandes de ce pays (et surtout lorsqu’on parle du domaine militaire et sĂ©curitaire) depuis  4 ans. Qu’avez-vous fait pour juguler ces menaces qui n’ont pas variĂ© depuis lors ? Tout le monde ici se rappelle : Lemgheity, 2005 ; Ghallaouya, 2007 ; Tourine, 2008.

(Suite du discours de l’AMI) … Il importe ici de souligner que l’armée a souffert effectivement de la gabegie et que les forces de sécurité ne disposaient pas des équipements nécessaires et n’avaient pas les moyens et l’engagement exigés. Depuis quelques mois ou une année, nous nous sommes attelés à équiper les forces armées et de sécurité, à les entraîner et à les préparer à mener les missions essentielles qui sont les leurs et il y a des améliorations, dans ce sens, qui se répercuteront positivement dans l’avenir sur notre armée".
Insertion n°2 : Posons une question : Combien de hauts responsables militaires ont été relevés de leurs fonctions au motif de gabegie ?

En réponse à une question relative aux accusations de l’opposition dans ce qu’elle qualifie de règlement de compte et de sélection, le Président de la République a indiqué: " L’opposition a son point de vue à ce sujet et elle a le droit de dire ce qu’elle veut et nous, nous combattons la gabegie sous toutes ses formes et dans les différents secteurs de l’Etat, qu’il s’agisse des hommes d’affaires ou des gestionnaires de l’Etat sans aucun règlement de compte. Mais il y a des comptes que nous règlerons avec ceux qui se sont livrés à la gabegie et pillé les biens de l’Etat durant 20 ou 30 ans et qui ont mis en ruine ce pays. Nous sommes donc à cet égard attachés à l’intérêt du peuple mauritanien et de son Etat et ce que nous faisons est au service de tous les mauritaniens sans exclusive, surtout ceux parmi eux qui n’ont pas eu, dans le passé, le droit à la libre expression, le droit aux soins, le droit à quoi que ce soit. Il n’est pas logique que je sois un président élu par le peuple mauritanien sur la base d’un programme axant sur la lutte contre la gabegie et sur la réforme dans le pays et que je me taise, comme il était de coutume dans le passé, sur la gabegie qui existait.
"Je m’adresse ici aux prévaricateurs pour leur dire de bien savoir que le pays a complètement changé désormais et que ce qui était toléré dans le passé ne l’est plus et que le détournement des deniers publics et le laisser aller ne sont dorénavant plus de mise.
Ils doivent prendre conscience que le régime actuel règlera leurs comptes aux auteurs de la gabegie et aux criminels et savoir que cette mesure n’est pas prise contre une région donnée, une tribu ou un clan mais vise seulement ceux qui ont dilapidé les finances publiques et sucé les richesses du pays faisant fi de l’intérêt de la Mauritanie.
Insertion n°3 : Merci, Monsieur le Président. Tout cela est beau. Mais il y a un hic !

Lutter contre  la gabegie est un vaste programme. Il est utile de noter que les Services de l’Administration mauritanienne ont dĂ©jĂ  beaucoup travaillĂ© sur la prĂ©paration d’un programme national de lutte contre la corruption. Le Document existe mais n’a jamais Ă©tĂ© validĂ©, ni officiellement engagĂ© sur le terrain. Ce programme a le mĂ©ritĂ© de poser ’’un cadre conceptuel’’ pour cette Ĺ“uvre titanesque, multiforme et de longue haleine. Son avantage c’est qu’il ’’formalise’’ l’action publique en l’inscrivant dans un cadre logique, conçu et planifiĂ©. Et ça ; c’est une exigence pour la mise en Ĺ“uvre efficace de toute politique publique. S’en dĂ©tourner pour verser dans l’improvisation met en pĂ©ril toute action publique et l’expose Ă  toutes sortes de critiques difficilement ’’opposables’’. Et c’est ce que nous vivons aujourd’hui.
Le Président Aziz a dit il y a quelques jours à Rosso, qu’il peut agir rétroactivement jusqu’à 30 ans. Ce qui nous mène en 1979. Or, ce que déplore tout le monde aujourd’hui ; c’est que le Pouvoir actuel est trop sélectif (dans le temps et dans l’espace humain!) dans cette lutte contre la gabegie. L’affaire des hommes d’affaires/BCM est trop importante car elle touche ’’le cœur de l’économie du pays’’ ; et il est loisible à tout observateur de critiquer –et même de blâmer- la manière avec laquelle ce dossier est géré.
(Suite du discours de l’AMI) …Répondant à une question sur la gestion pendant la dernière période de transition, le Chef de l’Etat a dit que "de toutes les façons, nous allons mettre en oeuvre notre programme, non pas sur la base des suggestions de l’opposition mais de nos objectifs propres de réforme qui ont donné des résultats positifs à partir du 6 août 2008 jusqu’au mois d’avril 2009, résultats qui se sont répercutés de façon claire sur la vie des citoyens.
 Insertion n°4 :   Monsieur le PrĂ©sident, il y a deux transitions que vous avez dirigĂ©es dans ce pays. En fait, vous ĂŞtes aux commandes depuis 4 ans.

L’intervalle de temps que vous avez fixĂ© Ă  Rosso (1979-2009) compte beaucoup de triennats ; et vous comprenez bien que tout le monde s’offusque lorsqu’il voit votre action se dĂ©ployer seulement sur les annĂ©es 2000-2002. DĂ®tes-nous, Monsieur le PrĂ©sident, qu’y a-t-il de si spĂ©cial dans cette pĂ©riode ; d’ailleurs non couverte exhaustivement ? Le dossier des dĂ©penses extrabudgĂ©taires  porte sur plus de 130 milliards, alors que votre attention ne s’est  intĂ©ressĂ©e qu’au dixième de ce montant. Et les 90% restants semblent bĂ©nĂ©ficier d’une Amnistie !
 (Suite du discours de l’AMI) …Cette pĂ©riode n’a pas connu Ă©galement de mauvaise gestion ou de dĂ©tournements. Bien au contraire, quelque 360 millions d’ouguiyas ont Ă©tĂ© restituĂ©s Ă  l’Etat par quelques directeurs d’entreprises nommĂ©s par les anciens rĂ©gimes et nous les suivons.
Les contrôleurs d’Etat ont pu, jusqu’à présent, recenser des détournements portant sur 1 milliard 85 millions d’ouguiya opérés par certains individus et nous sommes en train de les faire rembourser.
Insertion n°5 : Belle parade, Monsieur le Président ! On vous pose une question sur ’’les sorties’’ du Trésor et de la BCM et vous répondez sur ces ’’rentrées’’ qui ne sont que des miettes !

S’agissant de l’affaire des banquiers, elle est claire et porte sur 14 milliards d’ouguiya dont ont profité des individus sans contrepartie et sans présenter aucune prestation aux populations ou à l’Etat et ce montant doit être impérativement remboursé.
Insertion n°6 : On n’en a déjà parlé.

(Fin du dialogue virtuel avec notre Président).
Concluons en disant que l’atypisme de l’homme revêt beaucoup d’autres dimensions et comporte une multitude d’implications. Il suffit d’approcher ces jours-ci des gestionnaires publics -non méfiants !- pour en connaître davantage. Le centralisme décisionnel et le peu de confiance accordé aux collaborateurs, y compris les plus hauts gradés, engendrent une situation de quasi-paralysie des organismes publics. Une frilosité maladive s’est installée et tout Responsable public se sent actuellement obligé d’en référer au Président en personne afin de recueillir les instructions. Or, l’Etat ne saurait se gérer efficacement par le cerveau d’un seul homme, fut-il Einstein !
L’Administration d’Etat est une pyramide où chaque palier a un rôle à jouer. Empêcher ces rouages de tourner, conduit inexorablement à la faillite du système au grand dam des populations qui attendent beaucoup de l’Etat en cette période de récession économique et de risques de blocage politique.
Disons enfin, que notre RĂ©publique affronte quelques dĂ©fis dont le plus urgent est celui relatif Ă  la transformation, en pratique surtout -car les textes thĂ©oriques sont souvent irrĂ©prochables, chez nous- de son mode de Gouvernance. Comme je l’ai mentionnĂ© il  y a plus de deux ans sur ce mĂŞme support, il s’agit surtout de consacrer dans la pratique et dans les esprits le principe de la sĂ©paration des Pouvoirs. Dans les esprits surtout, car tant que les Chefs de ces pouvoirs n’ont pas assimilĂ© ce principe sacrĂ©, ils ne pourront jamais l’assumer.

Et cela veut dire beaucoup de choses dont la première -et la plus importante- est celle-ci : le Président de la République n’est pas le Dieu de la Mauritanie.

Le Président doit accomplir sa mission essentielle, à savoir "être le gardien de la Constitution et assurer, en tant qu’arbitre, le bon fonctionnement des institutions de la République". Pour cela il jouit certes de pouvoirs étendus, mais ceux-ci n’ont de légitimité et de sens que s’ils concourent au respect des principes ci-dessus énoncés.
Autrement, il ne mérite aucun respect et les autres Pouvoirs constitutionnels devraient se mobiliser pour le contraindre à se corriger ou ....à se démettre.
Un dernier mot : Du débat sur la légitimité en Politique, il en est sorti -parmi tant d’autres choses- que les Gouvernants sont avant tout jugés sur

(i) la manière d’accéder au Pouvoir, et

(ii) sur l’efficacité de l’action publique de tous les jours.
Notre Président actuel serait bien inspiré de bien méditer cela.

Abbas A.


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