LA MORT DE MREIBA   
09/06/2022

Depuis quelques mois, Arby Ă©tait malade. Personne ne savait la nature de cette maladie dont il ne voulait pas parler.



Ramla et Mreiba lui rendaient visite quotidiennement, jusqu’au jour où il rendit l’âme. Kaber était absent et Ramla supervisa tout le rituel de l’enterrement. Lorsque Kaber revint, il fut intronisé le même jour à la place de son père. Il ne dormit pas de la nuit. Le jour suivant, Kaber prit la Mas 36 et se dirigea vers la tente de Mreiba. Lorsqu’elle vit son frère arriver avec l’un de ses esclaves sur un âne, Ramla eut un terrible pressentiment, mais elle continua d’allaiter le bébé. Mreiba était devant la tente et s’affairait à donner le fourrage au petit troupeau qu’il s’était constitué.
- Mreiba ! cria Kaber de sa voix sèche.
Mreiba se retourna et reconnut son maĂ®tre vers lequel, il se dirigea d’un pas alerte. En entendant la voix de son frère, Ramla eut un haut-le-cĹ“ur.  À la vue du fusil, Mreiba ralentit, puis s’arrĂŞta net en voyant l’expression rageuse de son maĂ®tre, mais il ne fit rien pour tenter de fuir.
- Nooooon ! hurla Ramla qui s’élança comme une tigresse pour s’interposer entre les deux hommes.
   Le cri de Ramla fut couvert par la dĂ©tonation. Mreiba chancela, mais resta debout pendant un moment avant de tomber sur ses genoux en prenant appui sur son gourdin. Il leva vers Kaber un regard plein d’incomprĂ©hension. Une deuxième dĂ©tonation retentit et Mreiba tomba Ă  la renverse. Lorsqu’elle arriva, Ramla trouva Mreiba gĂ©missant. Elle souleva sa tĂŞte.
- Mreiba, Mreiba, tu m’entends?
Mreiba leva les yeux vers elle et sourit. Un mince filet de sang dégoulina de la commissure de ses lèvres. Son regard s’éteignit et sa tête tomba lourdement sur la poitrine de Ramla.
- Nooooooon! hurla Ramla.
- Bilal, prends la petite et va-t-en, ordonna Kaber.
Ramla reposa la tête de Mreiba sur le sol et s’élança vers la tente. La poigne d’acier de son frère l’en empêcha. Elle tenta de se soustraire à cet étau, mais en vain. L’esclave prit la nouvelle née avec lui sur l’âne. Ramla hurla comme une démente et continua à se démener comme une diablesse pour échapper à la prise de son frère.
   Lorsqu’elle se libĂ©ra, elle se mit Ă  courir derrière l’esclave qu’elle rattrapa au prix d’efforts surhumains. Elle le supplia et invoqua tous les noms pour qu’il lui rende son enfant, mais l’esclave ne sembla pas l’entendre et poursuivit son chemin comme si de rien n’était. Elle continua Ă  courir Ă  cĂ´tĂ© de l’âne. Ses petits pieds nus se mirent Ă  saigner. Ses forces commencèrent Ă  l’abandonner, mais elle continua de supplier l’esclave, agrippant sa jambe pendante. Lasse de ses supplications, elle s’agrippa Ă  la queue de l’âne, mais ne put maintenir le rythme de l’animal. Elle trĂ©bucha, tomba, mais rĂ©ussit Ă  s’accrocher Ă  deux mains Ă  l’une des pattes de l’animal qui la traĂ®na ainsi sur le sol rugueux. Elle hurla sa dĂ©tresse Ă  qui voulait l’entendre. Elle Ă©tait insensible aux Ă©corchures que subissait son corps, la seule chose qu’elle sentait Ă©tait l’éloignement de son enfant de son sein. Enfin, n’en pouvant plus, elle lâcha l’animal et resta Ă©tendue sur le sol, suivant le ravisseur de sa fille des yeux. Le bruit des sabots devenait de plus en plus indistinct, mais la silhouette demeurait devant elle et elle continua Ă  la suivre jusqu’au moment oĂą l’âne disparut derrière une dune, emportant son enfant avec lui.
- Ne me séparez pas de mon enfant, pour l’amour du prophète, ne me séparez pas de ma fille!
Elle continua à pleurer et à se lamenter et ne s’arrêta que lorsqu’elle s’évanouit.
   Lorsqu’elle revint Ă  elle, il faisait nuit noire. Alors, elle se souvint. Le corps de Mreiba Ă©tait restĂ© livrĂ© aux charognes. Elle se mit de nouveau Ă  courir de toute la force que lui permettaient ses jambes ankylosĂ©es. Elle retrouva le corps de son dĂ©funt mari. Elle s’assit, mit la tĂŞte du corps inerte sur sa cuisse et nettoya le visage de Mreiba. Elle passa des heures et des heures Ă  nettoyer et caresser ce visage tant aimĂ©. Enfin, elle enroula son voile et le plaça sous la tĂŞte de Mreiba. Elle n’était, quant Ă  elle, plus vĂŞtue que d’une robe lui allant jusqu’à mi-jambe. Puis, elle se mit Ă  creuser. Quand la tombe fut suffisamment large, elle s’approcha du corps, le caressa une dernière fois, puis se mit Ă  le tirer vers la fosse. Elle y entra, tira le corps avec une douceur infinie pour l’amener sur sa poitrine, le maintint pendant un long moment contre elle, puis le laissa glisser doucement au sol. Elle s’assit sur le bord de la tombe et se mit Ă  la remblayer lentement tout en murmurant :
- Mreiba nebghih, Mreiba Nebghih
- Wel ma yesma’ koun eb wedhneih
   Lorsqu’elle finit l’enterrement de Mreiba, Ramla se rendit compte que le campement avait dĂ©mĂ©nagĂ© en son absence. Sa tente et son bĂ©tail avaient Ă©tĂ© emmenĂ©s par son frère. Il ne lui avait laissĂ© qu’un âne et les restes dĂ©labrĂ©s d’une vieille tente. Ramla monta sur l’âne et disparut dans la nuit noire. Personne n’entendit jamais plus parler d’elle.
Mohamed Lemine Taleb Jeddou
Extrait de "Zram ou la Saga des Mreiba"


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