Josep Borrell: Au Sahel, nous avons peut-être signé trop de chèques en blanc   
29/04/2021

De retour d’une tournée de quatre jours au Tchad, au Mali et en Mauritanie, le haut représentant de l’Union européenne veut conditionner l’aide aux pays de la région à l’amélioration de leur gouvernance, et demande aux Etats européens de s’engager davantage.



Pour Josep Borrell, haut représentant de l’Union européenne (UE) pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, la guerre qui mine le Sahel depuis bientôt dix ans ne se gagnera pas seulement sur le terrain militaire.

De retour d’une tournée de quatre jours en Mauritanie, au Tchad et au Mali, le vice-président de la Commission européenne détaille, dans un entretien au Monde, la nouvelle stratégie de l’UE au Sahel, tout en revenant sur les échecs des politiques précédentes.


Mahamat Idriss Déby, le fils du défunt président du Tchad, a pris la tête du conseil militaire de transition. Vous l’avez brièvement rencontré lors des obsèques de son père. Que vous êtes-vous dit ?


Je lui ai passé un message clair, comme l’a aussi fait le président français, Emmanuel Macron, en disant qu’il faut garantir la stabilité du pays mais aussi y développer un système démocratique.

L’UE a fermement condamné la répression des manifestations du 27 avril. Nous avons aussi rappelé la nécessité d’une transition civile. La bonne nouvelle, c’est que, vingt-quatre heures plus tard, ils avaient changé leurs plans et nommé un premier ministre civil.


A l’instar de la France, l’UE soutient-elle le processus de transition civil et militaire tchadien ?


Que pouvons-nous faire d’autre ? Comme l’a souligné le président Macron, l’intégrité territoriale et la stabilité du Tchad sont les prémices de toute transformation politique. Ce n’est pas une démocratie à l’européenne. Mais nous ne vivons pas dans un monde idéal. Parfois, la vie, ce n’est pas choisir entre les bons et les mauvais, mais entre les mauvais et les pires. Il faut tenir le Tchad. S’il tombait en morceaux, c’est tout le Sahel qui volerait en éclats.


Avez-vous obtenu des assurances de la part des autorités tchadiennes quant au maintien de leur engagement au sein des différentes opérations militaires au Sahel, notamment la mission des Nations unies (Minusma) et la force conjointe du G5 ?


Le moment était solennel, ce n’était pas le moment de négocier ce genre de chose. Mais c’est évident qu’il faudra le faire. Le Tchad est un gros contributeur pour ces dispositifs. Si le pays retire ses troupes, cela créera un trou, un autre front au Sahel. Donc il vaut mieux qu’ils restent. Mais pour cela, il faut d’abord aider les autorités à maintenir la stabilité du pays.


La force européenne « Takuba » a été lancée en mars 2020 pour aider l’opération française « Barkhane » au Mali. On est loin des objectifs fixés de 2 000 forces spéciales européennes. Pourquoi ?


Il y a une réticence à engager des moyens et la crainte d’avoir des pertes en vies humaines. Seuls huit Etats membres ont mobilisé des ressources, pour un maigre effectif de 700 forces spéciales déployées dans une zone grande comme deux fois la France (au Mali). Les Etats européens devraient s’engager davantage. Les citoyens de l’UE doivent comprendre que la sécurité de l’Europe ne commence pas sur les rives de la Méditerranée mais 4 700 kilomètres plus loin.


Craignez-vous une jonction entre les différents groupes djihadistes qui opèrent en Afrique ?


Oui. S’ils créent un califat au Sahel, comme ils voulaient le faire au Moyen-Orient, ils pourraient nous poser beaucoup de problèmes. Il ne faut pas seulement continuer le sursaut militaire au Sahel, il faut l’augmenter, tout en raisonnant sur le long terme. La situation ne sera pas réglée dans un an ni dans trois. Préparons-nous à une longue traversée du désert.


Ces sept dernières années, l’UE a versé 8,5 milliards d’euros aux pays du Sahel. Les aides octroyées dans le cadre de la nouvelle stratégie européenne pour la région seront-elles conditionnées ?


Bien sûr. Elles doivent l’être. Le mot-clé, c’est la gouvernance. Nous avons peut-être signé trop de chèques en blanc, fourni des ressources sans vérifier de quelle manière elles étaient utilisées. Il y a eu des détournements de fonds, sans doute. Mais il faut avoir les pieds sur le terrain.

Les Européens doivent regarder le Sahel tel qu’il est : une zone parmi les plus démunies du monde, avec des Etats qui n’existent en tant qu’entités indépendantes que depuis une soixantaine d’années. Créer un Etat au milieu d’une guerre, avec des ressources très faibles, ce n’est pas facile. Sans un engagement très fort de l’Europe, ça ne marchera pas. Il faut continuer à aider tout en étant exigeant sur la manière dont ces ressources seront employées.


Comment s’en assurer ?


Avec des objectifs de résultats vérifiables. Par exemple, en obtenant la bancarisation des paiements des forces armées au Mali. Cela pose un gros problème que nous n’avons, jusqu’à présent, pas résolu. L’armée malienne n’a pas de système permettant de chiffrer ses effectifs réels, de savoir combien gagnent les généraux et les soldats. Il faut le bâtir.


Lors de votre entretien avec les autorités maliennes, vous avez annoncé un soutien de 100 millions d’euros à la transition, installée au lendemain du coup d’Etat d’août 2020. Pourquoi ?


Les autorités ont une volonté claire de bien faire les choses. Nous devons les aider à organiser des élections transparentes, car elles n’en ont pas les moyens. Ce ne doit pas être une transition de plus, entre deux coups d’Etat successifs.

C’est un tournant, une occasion à saisir. Mais les élections ne sont pas non plus la solution miracle. Il faut surtout engager des réformes structurelles au sein des administrations, créer un Etat et des services publics qui soient capables d’inspirer confiance aux populations. C’est difficile mais indispensable. Sinon nous ne gagnerons pas la guerre.


Au Sahel, les populations perçoivent parfois leur Etat comme une entité prédatrice. Les exactions des armées se multiplient…


Ne caricaturons pas. Les prédateurs sont les terroristes qui tuent les civils. Evidemment, le Sahel n’est pas la Suisse. Les Etats ont des carences, avec des armées qui commettent des exactions. L’important, c’est d’être capable de les combattre. Nous devons mettre l’accent sur l’exigence de résultats, avoir l’assurance que ces abus ne restent pas impunis et que les militaires respectent les droits humains.


Deux journalistes espagnols ont été assassinés, avec un Irlandais, au Burkina Faso, lundi 26 avril. Quelle est votre réaction ?


L’UE condamne l’assassinat de ces trois ressortissants européens. Les attaques qui continuent à endeuiller le Burkina Faso et les pays voisins nous rappellent que la lutte contre les groupes terroristes et l’insécurité dans la région est un combat de longue haleine.

Le Monde Afrique
Morgane Le Cam
cridem


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