Tchad : Idriss DĂ©by Itno, le chef de guerre devenu   
20/04/2021

À la tĂŞte du Tchad depuis 1990, le prĂ©sident Idriss DĂ©by Itno est dĂ©cĂ©dĂ© mardi des suites de blessures reçues au combat contre des rebelles. DĂ©criĂ© dans son pays, le chef de l’État avait su gagner la confiance des Occidentaux en se plaçant Ă  la pointe de la lutte anti-terroriste. Portrait.



 Il avait troquĂ© son boubou pour une cape de soie bleu nuit brodĂ©e de feuilles de chĂŞne en fil d’or, bâton "modèle Empire" en main. C’était le 11 aoĂ»t 2020, lors d’une cĂ©rĂ©monie : il Ă©tait Ă©levĂ© au rang de "MarĂ©chal du Tchad". Idriss DĂ©by Itno est mort mardi 20 avril de blessures reçues sur le champ de bataille contre une colonne de rebelles infiltrĂ©s dans le nord depuis leurs bases arrières en Libye, a annoncĂ© mardi l’armĂ©e Ă  la tĂ©lĂ©vision d’État, au lendemain de la proclamation de sa rĂ©Ă©lection pour un sixième mandat Ă  la tĂŞte du pays lors de la prĂ©sidentielle du 11 avril.

Ce fils d’éleveur modeste, militaire de carrière et combattant rebelle, s’est emparĂ© du pouvoir par un coup d’État en 1990 : il n’avait de cesse de se prĂ©senter comme un "guerrier". C’est cette image, façonnĂ©e depuis ses premières armes aux cĂ´tĂ©s de Hissène HabrĂ© - qui avait pris le pouvoir en 1982 - jusqu’au treillis qu’il enfilait encore volontiers ces dernières annĂ©es, qui lui a valu un soutien quasi unanime de la communautĂ© internationale, malgrĂ© un bilan très critiquĂ© en matière de droits humains.

Au sein du pouvoir, Idriss Déby régnait volontiers par l’"intimidation" et le népotisme, selon ses détracteurs.

Il avait placĂ© sa famille ou des proches Ă  des postes-clĂ©s de l’armĂ©e, de l’appareil d’État ou Ă©conomique, et ne laissait jamais les autres longtemps en place. Dix-sept Premiers ministres se sont succĂ©dĂ© entre 1991 et 2018, avant qu’Idriss DĂ©by ne fasse supprimer cette fonction pour ravir toutes les prĂ©rogatives de l’exĂ©cutif.

"Tout est centralisé à la présidence, il use de toutes les armes du pouvoir absolu en brutalisant la société", avance Roland Marchal, chercheur au Centre de recherches internationales (Ceri) de Sciences Po Paris.

À la pointe de la lutte anti-terroriste

Régulièrement contesté dans son pays, Idriss Déby Itno bénéficiait de la confiance de ses partenaires africains et occidentaux. Celui qui a assuré la présidence de l’Union africaine (UA) en 2016 avait acquis ces dernières années une stature de premier plan en positionnant sa redoutable armée à la pointe de la lutte contre le terrorisme.

En première ligne aux côtés des soldats français, ses troupes sont parties à l’assaut des jihadistes du Nord-Mali en 2013, puis sont intervenues en 2014 en Centrafrique avant de se retirer à la suite d’accusations d’exactions. Sur le front de la lutte contre Boko Haram, l’armée tchadienne a lancé, au début de 2015, une vaste offensive au Cameroun, au Nigeria et au Niger contre les islamistes armés de la secte nigériane qu’Idriss Déby de "horde d’illuminés et de drogués".

Cette dĂ©testation de longue date des jihadistes Ă©tait d’ailleurs un trait de caractère de ce "gendarme du Sahel", musulman, dans un pays oĂą les chrĂ©tiens forment plus d’un tiers de la population. À l’heure de la mobilisation internationale contre les groupes terroristes, ses interventions lui valaient de solides appuis chez les Occidentaux, particulièrement en France, ancienne puissance coloniale et alliĂ©e de longue date.

Mais Ă  N’Djamena, ce soutien plus qu’appuyĂ© inquiĂ©tait certains. Dès 2014, le chef de file de l’opposition, Saleh Kebzabo, candidat malheureux avec 12,8 % des suffrages, demandait "instamment aux partenaires Ă©conomiques du Tchad, en particulier la France, d’être de plus en plus exigeants sur la gouvernance Ă©conomique, le respect des droits humains" face Ă  un "rĂ©gime qui a acculĂ© la population Ă  une paupĂ©risation croissante et excelle dans la gestion patrimoniale de l’État".

Illustration de la lassitude et du malaise social chez une partie de la population, des manifestations - interdites - de la société civile l’avaient appelé à ne pas se représenter avant la présidentielle du 11 avril. S’il laissait certains de ses opposants s’exprimer relativement librement, ses services veillaient consciencieusement à ne pas laisser la critique gagner la rue, par des interpellations ciblées et en interdisant tout rassemblement politique.

Un destin lié à celui d’Habré

Pour le chef de l’État tchadien, la vie Ă©tait une succession de combats. NĂ© en 1952 Ă  Berdoba (nord-est) dans une famille zaghawa, une branche du groupe gorane, prĂ©sente de part et d’autre de la frontière tchado-soudanaise, il se destine dès le plus jeune âge au mĂ©tier des armes. BaccalaurĂ©at en poche, il entre Ă  l’école d’officiers de N’Djamena, puis dĂ©croche en France son brevet de pilote.

Rentré au pays, il lie son destin à celui d’Hissène Habré - condamné en 2016 pour crimes contre l’humanité - qui prend le pouvoir en 1982. Commandant en chef des armées, Idriss Déby voit son aura croître avec la guerre de "reconquête" qui permet au Tchad de reprendre le Nord occupé par les Libyens. Conseiller militaire du président, il est accusé de complot en 1989 et s’enfuit en Libye, puis au Soudan. Il y fonde sa propre armée, le Mouvement patriotique du salut (MPS).

En dĂ©cembre 1990, ses troupes prennent N’Djamena. Au pouvoir, il ouvre le pays au multipartisme. Élu en 1996 et rĂ©Ă©lu depuis, il est critiquĂ© par une opposition qui lui reproche des fraudes Ă©lectorales, des violations des droits de l’Homme et, malgrĂ© son entrĂ©e en 2003 dans le club des pays producteurs de pĂ©trole, l’extrĂŞme pauvretĂ© des Tchadiens.

C’est grâce à l’armée que ce militaire a assis son pouvoir. Encadrée essentiellement par des officiers de son ethnie zaghawa et commandée par ses proches, elle est considérée comme une des meilleures de la région.

Mais ces derniers mois, l’unitĂ© des Zaghawas s’est Ă  nouveau fissurĂ©e, et le chef de l’État a dĂ» Ă©carter certains officiers "douteux", selon des proches du Palais.

Déjà à la fin des années 2000, cette unité avait été sérieusement malmenée, des Zaghawas passant dans le camp de la rébellion, notamment Timan Erdimi : ce neveu d’Idriss Déby prend en 2008 la tête d’une coalition rebelle qui échoue, aux portes du palais présidentiel de N’Djamena, à renverser le président.

De source militaire, la France avait alors proposé au président de l’évacuer. Il avait refusé, jurant de garder le pouvoir, ou de mourir, armes à la main.

Cette attaque est une des ombres du long parcours du président-soldat : dans la confusion de l’après-combat, un des principaux opposants, Ibni Oumar Mahamat Saleh, avait été arrêté par les forces de sécurité. Porté "disparu", il est depuis donné pour mort.


"Ami encombrant de la France"

Une nouvelle offensive rebelle très menaçante pour le pouvoir est lancĂ©e en 2019 mais est stoppĂ©e loin de N’Djamena par des bombardements dĂ©cisifs d’avions de combat français. C’est, au final, en tenant bon grĂ© mal grĂ© son pays, entourĂ© d’États aussi faillis que la Libye, la Centrafrique ou le Soudan, qu’Idriss DĂ©by apparaĂ®t comme l’élĂ©ment stabilisateur d’une rĂ©gion tourmentĂ©e.

Mais le pays paye un lourd tribut à la lutte contre les jihadistes. Le groupe nigérian Boko Haram multiplie les attaques meurtrières autour du lac Tchad, contraignant Idriss Déby à remettre le treillis pour mener lui-même - au moins devant les médias - une contre-offensive jusqu’en territoire nigérian en mars-avril 2020.

L’"ami encombrant de la France" et des Occidentaux, comme le qualifient nombre d’experts de la région, avait su se rendre indispensable à leurs yeux contre les jihadistes.

FRANCE 24

Avec AFP


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