Mauritanie, soldat modèle du G5 Sahel ?   
01/03/2020

RÉFÉRENCE. Dernièrement hĂ´te du 6e sommet du G5 Sahel, la Mauritanie n’a pas connu d’attentat depuis 2011. Sa recette pourrait-elle inspirer ses voisins ? Par Laurent de Saint PĂ©rier  | Le Point.fr



Du lac Tchad Ă  la frontière occidentale du Mali, plus une semaine ne se passe sans qu’une attaque terroriste n’endeuille les États du Sahel. Depuis dĂ©cembre, le nord de la CĂ´te d’Ivoire est en alerte rouge, et au dĂ©but de fĂ©vrier, un poste de police essuyait un assaut dans le nord du BĂ©nin. La contagion de la menace semble inexorable, malgrĂ© la prĂ©sence des troupes françaises depuis 2013 et une coopĂ©ration rĂ©gionale sĂ©curitaire inĂ©dite dans le cadre du G5 Sahel. Mais un pays de ce groupement de sĂ©curitĂ© y Ă©chappe depuis près de dix ans : la Mauritanie. La dernière action djihadiste y remonte Ă  2011. Depuis 2017, le flot rouge « formellement dĂ©conseillĂ© » se retire sur la carte « SĂ©curitĂ© voyageurs » du site du ministère français des Affaires et les trekkeurs Ă©trangers reviennent, encore timidement, arpenter les dĂ©cors minĂ©raux de l’Adrar dĂ©sertĂ©s depuis l’assassinat de quatre Français en dĂ©cembre 2007.

 

Un rétablissement de la situation au prix d’un certain réalisme
À Nouakchott, on prĂ©fère garder le doigt sur la gâchette que toucher du bois. « Nous, Mauritaniens, Ă©tions dans la mĂŞme situation [que nos voisins] il n’y a pas si longtemps. Face Ă  ce genre de menaces, il faut ĂŞtre suffisamment prĂ©parĂ© », nous rappelait fin novembre 2019 le prĂ©sident Mohammed Ould el-Ghazouani, gĂ©nĂ©ral ayant succĂ©dĂ© en aoĂ»t Ă  deux mandats d’un autre gĂ©nĂ©ral, Mohammed Ould Abelaziz (2009-2019). L’armĂ©e mauritanienne a en effet ressenti plus tĂ´t que les autres armĂ©es du Sahel la nĂ©cessitĂ© de se prĂ©parer, ayant Ă©tĂ© la première Ă  ĂŞtre frappĂ©e par les djihadistes quand, en 2005, des membres du Groupe salafiste pour la prĂ©diction et le combat (GSPC) ont assailli une caserne dans le nord du pays, tuant quinze hommes.


Au Forum international pour la Paix et la Sécurité en Afrique qui s’est tenu à Dakar en novembre 2019, le président mauritanien avait été extrêmement écouté.

 
Les attaques se sont succĂ©dĂ© les annĂ©es suivantes et, en 2008, dĂ©nonçant la faiblesse du prĂ©sident civil Sidi Ould Cheikh Abdallahi face aux terroristes, le gĂ©nĂ©ral Mohammed Ould Abdelaziz le renverse pour ĂŞtre Ă©lu en 2009. Il charge dans la foulĂ©e son frère d’armes, le gĂ©nĂ©ral Ghazouani, du rĂ©tablissement de l’armĂ©e. NĂ©ophyte en matière de diplomatie, l’actuel chef d’État mauritanien, qui vient de prendre la prĂ©sidence tournante du G5-Sahel, est donc un vĂ©tĂ©ran sur le terrain de la lutte antiterroriste.

 

Une stratégie moderne et adaptée aux réalités locales
C’est davantage un travail de réparation que de préparation de l’armée auquel doit s’atteler Ghazouani, quand il prend en 2009 la direction de Conseil supérieur de la défense nationale. Constituée en 2005 de 15 000 hommes mal équipés, elle peine à contrôler un territoire désertique vaste comme deux fois la France. « Ses effectifs ont été renforcés, les soldes augmentées, les équipements adaptés, la formation et la tactique ont été mises à jour avec l’aide des Français et des Américains, mais selon une vision purement mauritanienne.

 

L’illustration en est la création en 2008 des Groupements spéciaux d’intervention (GSI), des unités légères et autonomes mais dotées d’une forte puissance de feu et très mobiles à l’image des groupes armés qu’elles traquent », explique, tenu à l’anonymat, un gradé français familier de Nouakchott. Plus récemment, les médias internationaux ont remarqué le renforcement et le redéploiement des anciens escadrons méharistes du Groupement nomade. Discrètes et adaptées aux longues expéditions en milieu aride, leurs patrouilles à dos de dromadaires s’avèrent inégalables en matière de surveillance, de contact avec les populations et de prises d’informations dans les zones reculées du territoire.

 Dans les airs, ni F16 ni Sukhoi coĂ»teux et peu performants pour intercepter les pick-up ennemis. La rusticitĂ© y est comme au sol gage d’efficacitĂ© et l’hĂ©lice reste reine. La surveillance est assurĂ©e par des ULM et des Cessna, les attaques au sol par des Tucanos brĂ©siliens armĂ©s et deux hĂ©licoptères d’assaut chinois. Dans les rĂ©gions les plus menacĂ©es, l’établissement de « zones militaires » permet le contrĂ´le strict de toutes les allĂ©es et venues. En juillet 2017, alors qu’était Ă©tabli un tel pĂ©rimètre au nord du pays, le ministère de la DĂ©fense rappelait « que la proclamation de l’interdiction de cette zone est consĂ©cutive aux difficultĂ©s d’identification de nos paisibles citoyens des trafiquants (…) tout individu circulant ou traversant cette partie du territoire national ; sera traitĂ© comme cible militaire ».


Une stratégie source d’inspiration pour les pays du Sahel ?
Les tactiques de l’armée mauritanienne pourraient-elles inspirer ses voisins ? Adaptées aux conditions presque uniformément désertiques du territoire mauritanien, elles ne le sont toutefois pas à l’ensemble du Sahel, qui présente d’autres types d’écosystèmes. En outre, les terroristes qui frappaient le pays dans les années 2000 étaient issus des débris des maquis algériens quand les attaques actuelles se concentrent loin de là, dans la zone des trois frontières entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger, sous la matrice du conflit libyen qui perdure depuis 2011. « Nous assistons dans cette zone, devenue le ventre mou du Sahel, à une autre forme de terrorisme djihadiste qui s’est mâtiné de narcotrafic et de criminalité, et dont les dimensions idéologiques sont moins influentes que leur capacité à s’appuyer sur des communautés en rupture comme les Peuls », ajoute Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe.

 

La force du consensus
Pour sa part, le gradĂ© français tenu Ă  l’anonymat estime que « ce qui en Mauritanie devrait servir d’exemple rĂ©gional, c’est surtout une forte volontĂ© centrale et l’obtention d’un consensus national pour le rĂ©tablissement de l’armĂ©e et du contrĂ´le de l’État sur l’ensemble du territoire ». Un expert de la rĂ©gion, qui tient aussi Ă  ne pas ĂŞtre nommĂ©, abonde dans ce sens, Ă©voquant « l’état dĂ©labrĂ© des armĂ©es malienne, burkinabè et nigĂ©rienne minĂ©es par la faiblesse des soldes voire leur dĂ©tournement, la dĂ©fiance envers les autoritĂ©s, et la corruption et les abus impunis qui en dĂ©coulent localement et qui font le lit des trafiquants et des combattants ». Et Emmanuel Dupuy de rappeler que « l’armĂ©e mauritanienne n’a pas Ă©tĂ© dĂ©mantelĂ©e Ă  l’inverse de l’armĂ©e malienne après le coup d’État de mars 2012 du capitaine Sanogo et de l’armĂ©e burkinabè après la tentative de coup d’État de septembre 2015 oĂą les deux gĂ©nĂ©raux intervenants Ă©taient ceux qui avaient Ă©tĂ© chargĂ©s par CompaorĂ© d’assurer la mĂ©diation avec les groupes terroristes pour qu’ils Ă©pargnent le pays ».


 

Dialogue, oui, mais comment ?
Au Burkina Faso comme au Mali, le rétablissement du dialogue rompu avec les groupes armés a fait l’objet de vifs débats ces derniers mois et, le 10 février, le président malien Ibrahim Boubakar Keïta déclarait « il est temps que certaines voies soient explorées ». Bien qu’en Mauritanie les officiels se gardent de commenter ce point, la permanence des communications avec les groupes armés et trafiquants pourrait être un ingrédient de ses succès sécuritaires. Aurait-elle conclu en 2010 un pacte de non-agression avec Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) comme on l’a soupçonné sur la foi de documents retrouvés dans la cache pakistanaise d’Oussama Ben Laden ? « Je n’y crois pas, commente le militaire français, même si les liens n’ont jamais été rompus. L’importance du dialogue dans la politique de sécurité mauritanienne s’est révélée dès l’indépendance lors des crises avec le Polisario, le Maroc et le Sénégal. »

 Cette politique du dialogue a Ă©tĂ© utilement transposĂ©e Ă  la sociĂ©tĂ© civile après les deux dĂ©cennies autoritaires du prĂ©sident Ould Taya, renversĂ© en 2005. En 2007, le parti islamiste Tawassul est autorisĂ©. En mars 2010, une grande confĂ©rence internationale sur l’islam modĂ©rĂ© rassemble des centaines de religieux musulmans Ă  Nouakchott pour Ă©laborer un consensus sur le rejet de la violence. Les autoritĂ©s veulent ainsi couper l’herbe sous le pied des radicaux, ce qui ne va pas sans concessions sociĂ©tales aux conservateurs. Au pouvoir depuis aoĂ»t 2019, le prĂ©sident Ghazouani amplifie cette politique d’ouverture aux oppositions et de promotion de l’islam « du milieu ». En janvier dernier, une nouvelle confĂ©rence rassemblait ainsi 500 oulĂ©mas africains Ă  Nouakchott pour « la propagation des nobles valeurs de l’Islam, dont essentiellement l’acceptation de l’autre et le rejet de l’extrĂ©misme », dĂ©clarait le prĂ©sident Ghazouani en ouverture.


Ne pas oublier les questions de développement
« Le terrorisme prolifère dans toutes les failles que l’état laisse s’ouvrir. La réponse doit donc être multidimensionnelle, militaire mais aussi se porter au niveau des débats d’idées, de la pédagogie, de la lutte contre la pauvreté, etc. », explique le Premier ministre Ismaïl Ould Bedde Ould Cheikh Sidiya. Comme la lutte contre le radicalisme s’appuie sur la recherche de consensus nationaux en Mauritanie, le contrôle du territoire va de pair avec son développement humain. L’armée qui quadrille le pays est aussi investie de missions de contact et d’assistance aux populations. L’établissement prochain du PC du Groupement nomade dans le fort restauré de la ville historique de Oualata, longtemps isolée à l’ouest du pays, s’en veut le symbole.

 

L’expansion du réseau routier, la création de villes nouvelles doivent répondre aux attentes de développement des populations isolées et à leurs besoins en matière de santé et d’éducation. Afin de ne pas laisser le champ libre aux écoles religieuses, dont certaines deviennent des viviers de radicalité, le gouvernement actuel engage une importante remise à niveau de l’instruction publique prévoyant le recrutement de 5 000 enseignants. Empirique ; la stratégie de la Mauritanie a fini par apporter une réponse globale à la crise sécuritaire qui l’a affectée comme elle frappe aujourd’hui durement ses voisins. Chercheurs ou militaires, fonctionnaires ou journalistes, Mauritaniens ou Français, tous se rejoignent sur le principal secret de la recette mauritanienne : le rétablissement de l’autorité et des responsabilités socio-économiques de l’Etat central.


Mauritanie – G5 Sahel : leader ou cavalier seul ?

CrĂ©Ă©e Ă  Nouakchott en 2014, le G5 Sahel a son secrĂ©tariat permanent Ă  Nouakchott. C’est Ă©galement dans la capitale mauritanienne qu’a ouvert en 2016 un Collège de dĂ©fense du G5 – Sahel qui met Ă  jour et complète la formation d’officiers des cinq pays membres (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad). En juillet 2019, les 36 Ă©lèves de sa première promotion sont allĂ©s rejoindre le PC central du G5 Ă  Bamako. Le gĂ©nĂ©ral mauritanien Hanena Ould Sidi a dirigĂ© les forces du G5 en 2018-2019 et le chef d’État Mohammed Ould Ghazouani vient d’en prendre la prĂ©sidence tournante.

Pourquoi, alors, reproche-t-on dans certains milieux Ă  la Mauritanie de faire cavalier seul ?

En 2017, l’International Crisis Group prĂ©venait, "Il est très peu probable que ce pays s’engage immĂ©diatement contre des groupes qui ne le menacent ni directement ni immĂ©diatement". Les risques de reprĂ©sailles, l’éloignement du théâtre des opĂ©rations et la taille modeste de son armĂ©e sont autant d’entraves Ă  des projections distantes, dans des environnements diffĂ©rents. "On fait le mĂŞme reproche au Tchad, ajoute Emmanuel Dupuy, prĂ©sident de l’Institut Prospective et SĂ©curitĂ© en Europe (IPSE). « C’est peut-ĂŞtre aussi liĂ© au fait que ces deux pays ont une forte tradition militariste et restent dirigĂ©s par des militaires qui ne partagent pas les approches des prĂ©sidents burkinabè et malien », dit-il. Dans son discours de clĂ´ture du sommet des chefs d’État du G5 qu’il accueillait le 25 fĂ©vrier, le prĂ©sident Ghazouani a appelĂ© Ă  « une meilleure coordination de nos interventions notamment dans les zones les plus sensibles ». Ce gĂ©nĂ©ral, nouveau prĂ©sident du G5 donnera-t-il l’impulsion d’une coopĂ©ration efficace et victorieuse ? L’annĂ©e pendant laquelle il va occuper cette position sera pleine d’enseignements pour mieux comprendre la Mauritanie dans ce vaste espace qu’est le Sahel.



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