A Ouagadougou, récit d’une journée marquée par des attaques meurtrières   
03/03/2018

L’état-major général de l’armée et l’ambassade de France au Burkina Faso ont été attaqués, vendredi dans la matinée, par «un groupe agissant de manière coordonnée». Huit personnes ont été tuées dans les attaques, selon le gouvernement.



« Tout est mort à l’intérieur. Les corps sont complètement calcinés. » Cet ancien gendarme, qui souhaite garder l’anonymat, est sorti de l’état-major général des armées burkinabées profondément choqué, vendredi 2 mars au soir à Ouagadougou. A l’intérieur, il y avait ses frères d’armes. Il en a vu certains étendus sur le sol dans un bâtiment brûlé dont s’échappait une épaisse fumée noire plombant le ciel de la capitale du Burkina Faso.
Deux kilomètres plus loin sur l’avenue de l’Indépendance, en plein centre-ville, des tirs nourris ont également visé l’ambassade de France. Une attaque simultanée qui a entraîné la mort de huit membres des forces de défense burkinabées et fait plus de 80 blessés, selon un bilan provisoire dressé par le gouvernement dans la soirée de vendredi. Des sources citées par l’AFP évoquent même une trentaine de morts. Huit assaillants auraient aussi été abattus.


« Notre pays a été de nouveau la cible (…) de forces obscurantistes », a dénoncé, vendredi soir, le président burkinabé Roch Marc Christian Kaboré, tandis que le chef de l’Etat français, Emmanuel Macron, affichait « la détermination et le plein engagement de la France, aux côtés de ses partenaires du G5 Sahel, dans la lutte contre les mouvements terroristes ».

Pour l’heure, ces attentats coordonnés n’ont pas été revendiqués mais deux mouvements terroristes sont soupçonnés d’en être à l’origine. D’une part, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, la nouvelle coalition d’Al-Qaida au Maghreb islamique créée en 2017, et, d’autre part, l’Etat islamique dans le Grand Sahara, dirigé par Adnan Abou Walid Al-Sahraoui. Depuis plus de deux ans, ces deux organisations multiplient les attaques au Sahel, avec un objectif clair : transformer le désert ouest-africain en poudrière incontrôlable.


Emploi d’explosifs
La double attaque a commencé vendredi matin sur les coups de 10 heures. « Des assaillants ont commencé à tirer sur l’ambassade de France. Quelques minutes après, un autre groupe, de manière coordonnée, s’est attaqué à l’état-major général des armées », raconte le ministre de la sécurité, Clément Sawadogo. Une réunion relative au G5 Sahel est alors en cours dans le bâtiment. « Cette réunion était peut-être ciblée, nous n’en savons rien pour le moment », estime Clément Sawadogo. Par chance, le lieu de la rencontre a changé à la dernière minute avant l’attaque, ce qui a sans doute permis de sauver des vies.

Pour pénétrer dans l’enceinte de l’état-major, les assaillants ont employé des explosifs. Une technique encore jamais utilisée lors des deux attentats qui ont déjà endeuillé Ouagadougou, le 15 janvier 2016 (30 morts) et les 13 et 14 août 2017 (18 morts). « Ils sont arrivés par l’entrée de derrière. Ils ont commencé par tirer sur les sentinelles postées devant la double porte. C’est comme ça qu’ils ont fait entrer leur véhicule, bourré d’explosifs. Une fois arrivés sur le parking interne de l’état-major, ils ont fait sauter leur véhicule. Cela a créé une brèche dans un des murs, qui leur a permis de pénétrer à l’intérieur du bâtiment », détaille une source sécuritaire.


Pour la première fois, les assaillants portaient des tenues militaires. « Nous ne savons pas encore comment ils se les sont procurées », explique le colonel Jean-Arthur Diasso, directeur de la communication du ministère de la défense, tout en rappelant qu’un magasin d’habillement militaire a été cambriolé à Ouagadougou en mars 2017. Quelque 400 uniformes avaient été volés.

Depuis quelques semaines, l’état-major avait complètement revu son dispositif sécuritaire, troquant ses barricades de fortune contre de solides remparts grillagés encadrant tous les murs du bâtiment. Devant la porte principale, une guérite avait aussi été installée. Les autorités avaient-elles reçu des alertes faisant état de possibles attaques en préparation contre l’état-major ? La question reste pour l’heure en suspens. Vendredi soir, le décompte et l’identification des victimes se poursuivaient. Le parquet de Ouagadougou a ouvert une enquête.

Ce double attentat survient tandis que se déploie la force du G5 Sahel associant cinq pays de la région (Mali, Burkina Faso, Niger, Mauritanie, Tchad), soutenus en particulier par Emmanuel Macron, en complément de l’opération française « Barkhane ». « La montée en puissance du G5 Sahel perturbe les terroristes (…). Cette attaque correspond à des représailles de la part des groupes armés à la suite des pertes qu’ils ont subies sur le front », explique le colonel Diasso. D’après nos informations, les groupes djihadistes ont reçu la consigne d’« empêcher le déploiement des forces du G5 à tout prix ».

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Si le G5 Sahel est bien la cible de ces assauts, pourquoi attaquer le Burkina Faso en particulier ? « C’est le ventre mou de la sous-région, estime une source diplomatique. Les assaillants n’auraient pas pu mener une telle attaque à Niamey [capitale du Niger] ou Bamako [capitale du Mali] car ces villes sont plus sécurisées. »

Au Burkina Faso, cette double attaque simultanée marque une rupture, en raison de sa préparation minutieuse, de son mode opératoire et des cibles ultrasécurisées qu’elle visait. « Jusqu’à aujourd’hui, les attaques qui ont eu lieu dans le pays étaient plutôt amatrices. Cette évolution est très inquiétante, poursuit notre source. Cela montre que les assaillants n’ont peur de rien. »

Jusqu’à l’attentat du 15 janvier 2016 contre le café-restaurant Le Cappuccino, à Ouagadougou, le Burkina Faso considérait le terrorisme comme un phénomène étranger, frappant ses voisins mais épargnant sa population. Depuis cette date, le terrorisme a passé la frontière. Au fil des mois, les attaques se font faites plus fréquentes, plus sophistiquées et le nombre de morts toujours plus important. En octobre 2017, le gouvernement avait dressé un bilan de 80 attaques terroristes ayant tué 133 personnes depuis 2015. L’attentat du 2 mars vient encore alourdir ce chiffrage dans un pays qui semble avoir rejoint ses voisins maliens et nigériens au cœur de la poudrière sahélienne.



Par Morgane Le Cam (Ouagadougou, correspondance)

LE MONDE


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