La Mauritanie depuis l’indépendance : Conflit avec le Sénégal   
06/03/2006

Les autorités mauritaniennes peinent à obtenir du président Abdou Diouf l’extradition, ou à défaut l’expulsion vers un autre pays, des dirigeants des Flam qui ont trouvé refuge à Dakar. En revanche, elles constatent que les " Noirs en Mauritanie " sont devenus pour Abdoulaye Wade, alors candidat de l’opposition à l’élection présidentielle, un élément de propagande contre Abdou Diouf, accusé de mollesse à l’égard de Nouakchott.



De son côté, le Sénégal demande à la Mauritanie de mettre un terme à sa réforme agraire, dont l’application dans la région du fleuve séparant les deux pays lèse des milliers de ses ressortissants installés depuis des lustres sur la rive mauritanienne. Le 9 avril 1989, sur la frontière fluviale entre les deux pays, une bagarre oppose des éleveurs halpularen mauritaniens et des cultivateurs soninkés sénégalais. Deux de ces derniers sont tués.
Le 10, à Dakar, ainsi qu’à Bakel et Matam, deux autres localités du Sénégal, des épiceries tenues par des commerçants maures sont pillées, leurs propriétaires maltraités, voire lynchés. Le 18 avril, Sopi, le journal du parti démocratique sénégalais de Abdoulaye Wade, accuse le pouvoir de faiblesse face à la Mauritanie. " Les populations ne dorment plus que d’un Å“il de peur d’être surprises par les belliqueux Beidan ", écrit-il notamment. Dépêché dans la capitale sénégalaise pour finaliser avec son homologue André Sonko un accord supposé calmer la situation, Djibril Ould Abdallahi, le ministre mauritanien de l’intérieur, commet une gaffe qui relance la tension : " Deux morts, tout de même, ce n’est rien ", déclare-t-il devant la presse. À Dakar comme dans le reste du pays, la communauté maure, estimée à l’époque à près d’un million d’individus, est à nouveau la cible de pillards. En Mauritanie, la rumeur, sans doute amplifiée par des milieux intéressés, parle de milliers de morts. Il s’en suit, les 23 et 24 avril, une vaste " chasse au Sénégalais ", mais aussi au Négro-mauritanien, dont le bilan est estimé par la presse à plus de trois cents tués. Officiellement il est question de trente-cinq morts seulement.
Ce qui est sûr, c’est que, en plus de la passivité flagrante des forces de sécurité, des Négro-mauritaniens ont été délibérément visés par les émeutiers. Les images, diffusées par la télévision de Dakar, de blessés retour de Mauritanie rallument à nouveau les passions au Sénégal. Une nouvelle " chasse au Maure ", engagée le 28 avril, se poursuit jusqu’au 30. Le bilan serait de près de deux cents morts, selon la presse sénégalaise. Les autorités de Nouakchott, elles, parlent de dix mille tués au moins. Face à l’ampleur de la crise, les deux pays procèdent au rapatriement forcé de leurs ressortissants. En décembre 1989, 230 000 personnes ont regagné la Mauritanie, tandis que le Sénégal accueille plus de 100 000 de ses ressortissants. L’Organisation de l’unité africaine et l’Organisation de la conférence islamique, auxquelles sont affiliés les deux États, tentent d’incessantes médiations. Mais la remise en question des frontières par le Sénégal et l’expulsion par la Mauritanie de près de 40 000 de ses citoyens noirs ont creusé davantage le fossé entre les deux gouvernements.
La France, ancienne puissance tutélaire des deux pays, se tient à l’écart. La Mauritanie l’accuse de pencher pour le Sénégal, et elle n’est pas la seule. Le Maroc, qui a choisi de défendre les intérêts sénégalais en Mauritanie après la rupture des relations diplomatiques, n’est pas en odeur de sainteté à Nouakchott. La seule puissance extérieure avec laquelle la Mauritanie garde encore des rapports amicaux est l’Irak de Saddam Hussein. Mais il n’est pas le mieux indiqué pour jouer le rapprochement entre Dakar et Nouakchott. Au contraire, son aide militaire massive à la Mauritanie, " porte occidentale de la nation arabe " selon lui, radicalise le régime de Nouakchott. Est-elle gratuite ? Lorsque les troupes irakiennes entrent au Koweït, en août 1990, puis lorsque l’Irak est attaqué par la coalition occidentale, en janvier 1991, les Irakiens ne peuvent naturellement que s’attendre à un appui de leurs " frères mauritaniens ".
La communauté maure, majoritairement favorable à l’Irak, pousse dans ce sens. Pour avoir elles mêmes vu leur pays longtemps revendiqué par le Maroc, et parce que le petit émirat envahi est aussi un bailleur de fonds jusqu’ici très généreux, les autorités mauritaniennes n’ont guère de marge de manœuvre.
D’abord, elles différent leur prise de position. Ce n’est qu’en octobre, deux mois après l’agression irakienne, que Nouakchott se déclare finalement, du bout des lèvres, hostile à l’invasion du Koweït. Celui-ci, comme du reste ses différents alliés arabes et occidentaux, autres financiers importants de la Mauritanie, décide de cesser toute aide au pays. Après quoi, son ami irakien ayant été écrasé, Ould Taya se trouve bien embarrassé. D’autant que lescampagnes menées à grande échelle dans le monde contre son régime par les organisations internationales des droits de l’homme ne sont pas pour faciliter ses affaires.
Un virage radical
C’est alors qu’un virage radical va définitivement rétablir son pouvoir. En avril 1991, il annonce la tenue d’un referendum sur une nouvelle constitution instaurant le multipartisme. Ce texte, adopté en juillet, est suivi d’une ordonnance libéralisant la presse. Une élection présidentielle pluraliste, la première de l’histoire du pays, est organisée le 12 janvier 1992. Il en sort vainqueur, avec 62 % de votes favorables contre 32 % pour son principal challenger, Ahmed Ould Daddah, soutenu par l’opposition radicale. En l’absence de cette dernière, qui n’a plus participé à aucune opération de vote (exceptées les municipales de 1994, dont elle s’est plainte par ailleurs), Ould Taya est reconduit, le 12 décembre 1996, par plus de 91 % des voix. Son principal adversaire, le leader du Frontpopulaire, Chbih Ould Cheikh Melainine[6], n’en a recueilli que 7 %. Sur le plan international, outre la réconciliation avec le Sénégal - scellée en 1992 grâce à la France, avec laquelle Nouakchott a renoué - , Ould Taya a réussi le pari de se réconcilier avec l’ensemble de la communauté internationale : notamment avec le Koweït, l’Arabie Saoudite, les États-Unis. Son cercle d’amitiés extérieures a même atteint… Israël : après un contact établi en marge de la première conférence israélo-palestinienne de Madrid en 1993, les deux pays ontouvert, via l’Espagne, des bureaux de liaison dans leurs capitales. Depuis octobre 1999, elles ont des " relations diplomatiques pleines et entières ", ce qui fait de la Mauritanie le premier pays arabe non lié par un traité de paix à l’État hébreu à reconnaître ce dernier. Auparavant, Ould Taya, s’est naturellement éloigné de l’Irak de Saddam Hussein. Il a aussi rompu toute relation avec le courant baathiste local dont il a dissous le parti Attalia, en 1996. Au printemps 2003, prétextant les manifestations contre l’invasion américaine de l’Irak, il a même engagé un vaste coup de filet visant tous les courants objectivement favorables à l’ancien régime irakien. Des dizaines de baathistes et d’islamistes en ont été la cible. La suite est connue : dans la nuit du 8 au 9 juin, un tentative de coup d’Etat menée par des officiers présumés proches de ces courants est déclenchée. A l’aide de blindés, et des moyens de l’armée de l’air, les putschistes ont investi les principaux centres du pouvoir dans la capitale : présidence, Etat-major de l’armée, radio et télévision. Après trente-six heures de violents combats, l’opération échoue, de justesse.
Autrement, que serait-il advenu de la Mauritanie ? Seule certitude, la présidentielle du 7 novembre n’aurait pas lieu. Au mieux, un nouveau processus de réformes politiques aurait été engagé. Au pire, le pays serait entré dans une guerre civile qui aurait sans doute dépassé les seuls acteurs du 8 juin. Car en Mauritanie, la vie politique n’est pas empoisonnée par la seule question des relations avec Israël et les États-Unis. Il y a plus grave : le poids étouffant attribué au sein de l’État à la famille, à la tribu et à la région du chef de l’État, l’affairisme, la corruption et l’impunité des hommes du pouvoir. Les clivages ethniques et communautaires aussi.
FIN
Par Abdellah Ben Ali
Journaliste

 

Mise au point

 M Abdella Ben Ali  nous a contacté le 22 octobre 2006  après s’être fait annoncer par un ami de TAHALIL Hebdo pour récuser sa signature d’une série d’articles que nous avions publié dans nos éditions 001, 002, 003 et 004 respectivement en date du 9 février, 16 février,  23 février et le 6 mars 2006, sous le titre : «la Mauritanie depuis l’indépendance». Nous avons pris cette série d’articles du Web, très vraisemblablement du site de Maroc Hebdo International ou de la revue électronique «RIM-Echos Â», en décembre 2003. Sa portée historique, plus que sa signature avait intéressé notre rédaction  Et quoiqu’il en soit, nous nous excusons auprès de Abdella Ben Ali,  tout en  félicitant  l’auteur apparemment homonyme de Ben Ali  ou se cachant sous un nom qui n’est pas le sien, pour son  excellent article.

La Rédaction


 


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