Intenable, la situation que vivent depuis quelques jours les pêcheurs du vieux port de Nouakchott. Suite à une banale altercation entre pêcheurs, l’accès a été interdit à tous. Les journées sont devenues interminables pour ceux qui en vivaient.
Depuis plusieurs jours, les grilles du portail du vieux port désaffecté de Nouakchott communément appelé «wharf» sont désespérément fermées. Des gendarmes en faction en interdisent l’entrée.
Ce jeudi 10 juin, il est 18 heures passées de quelques minutes, devant les quelques boutiques du site, aux abords de l’entrée principale, l’on peut observer des pêcheurs l’air perdu errer, la mine défaite.
Ils ne comprennent pas pourquoi, on leur barre ainsi le chemin du port. Ils venaient là tous les matins, pêchaient jusqu’en fin d’après-midi, gagnaient la ville et se précipitaient aux marchés pour écouler leurs prises. Il a fallu qu’une simple dispute entre deux pêcheurs éclate pour que tout le monde trinque.
Khater Ould Sambeyni, un habitué du pont éclaire : «C’est simple, il y a quelques jours, un pêcheur à la ligne avait vu sa ligne accrochée dans un filet, il a demandé au propriétaire de le remonter pour qu’il puisse récupérer son bas de ligne mais, ce dernier a refusé net et l’homme qui se révélait être un marin est parti se plaindre à la brigade de gendarmerie du Port de l’Amitié.
Les hommes en tenue ont fait une descente, coupé tous les filets, depuis ce jour, ils ont interdit à tous d’entrer dans le port. » Pour qui connaît les réalités de l’univers des pêcheurs du vieux port, cette situation était prévisible. En effet, deux mondes se côtoyaient dans un climat qui ne cessait de se dégrader.
C’est l’avis du vieux, Aliyine : «Au début, tout le monde pêchait à la ligne ici, mais depuis quelques années, certains on commencé à jeter des filets un peu partout. Nous qui pêchons à la ligne, leur avons demandé de ne pas occuper tout l’espace de pêche. Qu’ils jettent leurs filets la nuit pendant que le pont est vide de présence humaine, et qu’ils nous laissent la journée. Autrement, on leur a proposé d’occuper la partie sud et nous, le nord, mais chaque jour, ils occupaient plus d’espace. Voilà ! Ça devait arriver parce que les «gens de filet» comme on les appelle ici exagéraient !»
Pour l’heure, c’est l’incompréhension totale. Le dépit se lit sur les visages. Quelques téméraires ont réussi à faire le mur de la SOMAGAZ mais n’ont pas eu le courage de monter sur le pont. Tout le monde s’est retrouvé sous les poteaux rouillés du vieil édifice.
Quelques irréductibles ont tenté de lancer leurs lignes depuis la berge, mais, ils sont bien loin des eaux profondes. Seul le pont permettait de lancer loin et d’atteindre les bancs de daurades. Certains ne cachent pas leur colère.
Un vieux monsieur, sac à dos de soldat devant ses pieds tire de sa pipe des bouffées de fumée : «voilà plus d’une semaine que je viens tous les jours sans pouvoir travailler. Nous, c’est ça notre boulot. Il ne faut pas que nous payions le prix d’une dispute entre individus ! Maintenant, les gendarmes réclament une autorisation remise par le directeur du Port Autonome ou le Commandant de la brigade de gendarmerie. Qui me donnera un papier moi ? Vous m’avez bien regardé ?»
Les autres suivent la diatribe de l’intervenant sans la moindre émotion. Le crépuscule s’annonçant, certains s’apprêtent à regagner la ville tandis que d’autre espèrent profiter de la pénombre et grimper sur le pont pour une pêche de nuit.
Un projet bien ambitieux car toutes les demi-heures, l’on peut apercevoir la silhouette d’un gendarme qui vient opérer une ronde. En définitive, cette situation qui prévaut au vieux port a certes une origine conflictuelle, tout de même, il semble venu le temps de crever cet abcès qui n’en finit pas gangrener.
En effet, personne ne comprend qu’on interdise l’accès d’un vieux port qui n’a aucune utilité commerciale et où aucun bateau n’a accosté depuis plusieurs années. Si comme d’aucuns l’avancent c’est pour des raisons sécuritaires, on pensera qu’on peut se limiter à exiger des automobilistes de s’y rendre à pied.
On a comme l’impression que les gendarmes éprouvent du plaisir à voir tout ce monde aux abois. De plus, s’il existe des pêcheurs occasionnels qui y vont par passion, plusieurs dizaines d’homme ont depuis bien des années fait de cette activité une profession et ne vivent que de ça. Ils sont les plus affectés.
Depuis que cette situation existe, ils sont au chômage. Pendant que beaucoup s’échinent à trouver du travail, on oblige à des travailleurs de payer une faute qu’ils n’ont pas commise. C’est tout simplement le paroxysme de l’absurdité.
Biri N’Diaye
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