Interview de Ahmedou Ould Tajidine, membre de la coordination du 25 FĂ©vrier   
07/08/2011

«Nous ne manifestions pas pour le plaisir de le faire»

Des membres de la coordination du 25 février qui a organisé plusieurs manifestations ces derniers mois pour demander des reformes et parfois la chute du gouvernement, ont été reçus récemment par le président Mohamed Ould Abdel Aziz. Cette audience...



....a suscité des interrogations sur sa signification et son opportunité.
Nous avons rencontré Ahmedou Ould Tajidine, l’un des membres de cette mouvance qui a bien voulu se prêter à nos questions. Entretien

 

Tahalil : Votre coordination est passĂ©e assez vite des manifestations violemment rĂ©primĂ©es aux nĂ©gociations avec le rĂ©gime…

Ahmedou Ould Tajidine : Vous devriez plutĂ´t dire que nous nous sommes fait entendre assez vite ! Nous ne manifestions pas pour le plaisir de le faire. Mais pour se faire entendre. Pour voir notre pays avancer vers le meilleur. Il Ă©tait hors de question de refuser le dialogue et l’occasion qu’il nous offre pour exposer notre plateforme et pour voir sa mise en Ĺ“uvre.

 

Tahalil : Vous avez Ă©tĂ© reçu par le PrĂ©sident de la RĂ©publique, comment cela s’est-il passĂ©?

AOT : Depuis le dĂ©but, nous avions dĂ©clarĂ© notre souhait pour trouver des solutions Ă  la situation que nous vivons en Mauritanie, cela s’était traduit par notre plate forme revendicative que nous avons exposĂ©e dès le mois de Mars.

Depuis 3 mois, nous avons remarqué que le pouvoir en place s’est ouvert au dialogue, notamment avec la COD, nous avons alors demandé un dialogue franc pour notre mouvement social, ce qui fut accepté le premier jour, d’où l’audience que nous a accordée le Président de la République.

Cette audience qui s’est passĂ©e dans un climat saint avec un dialogue franc et serein nous a permis d’expliquer nos revendications et ensuite d’entendre du premier dĂ©cideur que l’Etat nous garantit le droit de manifester et que nos revendications sont lĂ©gitimes et comprĂ©hensibles . Et que des stratĂ©gies seront mises en Ĺ“uvre dans un proche futur afin de trouver des solutions aux problèmes socioĂ©conomiques du pays.

 

Tahalil : C’était quoi la coordination du 25 fĂ©vrier, maintenant que vous ĂŞtes sortis de la clandestinitĂ©?

AOT : D’abord il y a une cellule de 12 personnes, des diffĂ©rentes composantes du pays et reprĂ©sentant chacun un groupe physique (individus) ou virtuel (facebook), qui s’était formĂ©e dès la première semaine de FĂ©vrier et Ă  laquelle se joindront le 25 FĂ©vrier, triĂ©s sur le tas, 6 autres dĂ©lĂ©guĂ©s des groupes ayant Ă©tĂ© particulièrement actifs lors des premières manifestations.

Le mouvement a toujours été à nos yeux pacifique et civil, avec des revendications socio-économiques à nos yeux légitimes et annoncées dès le mois de Mars.

Nous pensons que seules la démocratie, la liberté et l’égalité constituent une voie apte à arracher de leur exclusion, du traitement défavorable dont ils sont victimes et de leur marginalisation, passés et actuels, les couches et les classes sociales afin de redresser leur situation de défavorisés.

 

Tahalil : Avec la confusion entre Coordination du 25 et la Coalition du 25, oĂą se situe la diffĂ©rence entre les deux ?

AOT : D’anciens membres de la coordination, du fait de leur allĂ©geance inconditionnelle aux partis politiques (Tawassoul, RFD et UFP), assoiffĂ©s de pouvoir avaient une approche plutĂ´t politique dictĂ©e par leur ainĂ©s. Cette jeunesse et leurs partis respectifs avaient, Ă  l’époque, tentĂ© la rĂ©cupĂ©ration de notre mouvement et de ses revendications. Leur Ă©chec fĂ»t cinglant.

Après plusieurs avertissements, surtout que notre charte prĂ´ne : « La coordination de la Jeunesse du 25 FĂ©vrier est une dynamique de jeunesse non soumise Ă  aucune sensibilitĂ© politique, syndicale, ethnique, rĂ©gionale ou tribale Â»; Ces jeunes furent expulsĂ©s de la coordination et iront alors crĂ©er la coalition du 25 FĂ©vrier avec comme principal revendications, ceux de leurs ainĂ©s.

La différence est nette, nous sommes indépendants et réclamons des revendications socio-économiques pour tous les mauritaniens, eux répètent les doléances de leurs partis, notamment le fameux accord de Dakar, qui à nos yeux et aux yeux de nos concitoyens ne représente rien et n’est pas du tout important.

Nous, cherchons le bien ĂŞtre du citoyen Mauritanien, et ce :

En offrant à tous les mauritaniens et les mauritaniennes l’opportunité de jouer un rôle positif dans sa lutte juste et pacifique en vue d’un avenir meilleur pour le citoyen mauritanien, exigeant des réformes profondes sur les plans économique et social ;

En adoptant dans notre combat une approche pacifique et en rejetant toute forme de violence et de propagandes revanchardes, racistes, rĂ©gionalistes ou tribalistes ;

En témoignant de notre solidarité et de notre soutien aux revendications justes de toutes les composantes et de toutes les tranches d’âge de la société.

Eux …. , cherchent le pouvoir !

 

Tahalil : Quelles sont vos revendications ?

AOT : Je m’en vais vous rappeler, quelques unes des plus importantes Ă  nos yeux :

Élaboration d’un Ă©tat des lieux du secteur de l’éducation destinĂ© Ă  identifier une stratĂ©gie consensuelle et susceptible d’adapter notre système Ă©ducatif Ă  un monde moderne et aux rĂ©els besoins du marchĂ© du travail ;

Élaboration d’un Ă©tat des lieux du secteur de la santĂ© axĂ© sur l’identification d’une stratĂ©gie nationale concise visant Ă  amĂ©liorer l’état dĂ©tĂ©riorĂ© des services sanitaires rendus actuellement aux patients ;

Fixation d’une subvention aux prix des mĂ©dicaments et mise en place effective d’un contrĂ´le strict sur leur importation, leurs lieux de stockage, leur distribution et leur vente et la sanction systĂ©matique de tous les auteurs de fraudes et de contrefaçons ;

Exemption des produits de première nĂ©cessitĂ© (notamment le sucre, le riz, le blĂ©, le lait, l’huile) du principe de libĂ©ralisation des prix en fixant des marges maximales de bĂ©nĂ©fice pour leurs importateurs et leurs distributeurs ;

Adoption de politiques de « discrimination positive Â» au profit des couches sociales exclues et mise en place de stratĂ©gies sociales axĂ©es sur l’éducation et la santĂ© ciblant en particulier les Adwabas ;

Application rigoureuse des textes juridiques incriminant les pratiques esclavagistes et Ă©laboration de sĂ©rieux programmes destinĂ©s Ă  Ă©radiquer dĂ©finitivement l’esclavage et toutes ses sĂ©quelles ;

Recrutement des jeunes compĂ©tences nationales et de la main d’œuvre qualifiĂ©e dans le cadre des activitĂ©s des entreprises Ă©trangères opĂ©rant en Mauritanie ;

Adoption d’une politique de l’habitat apte Ă  garantir un logement dĂ©cent Ă  une grande partie des citoyens mauritaniens et la distribution rapide des terrains aux ayants droit ;

Adoption d’une politique de gĂ©nĂ©ralisation progressive des bourses aux Ă©tudiants mauritaniens Ă  l’intĂ©rieur et Ă  l’étranger et la garantie d’un transport gratuit aux Ă©lèves et aux Ă©tudiants ;

ConsidĂ©ration de la jeunesse mauritanienne avec plus d’intĂ©rĂŞt et son implication de manière effective dans la gestion des affaires publiques ;

Institution d’une assurance maladie au profit des sans emplois et versement d’une indemnitĂ© lĂ©gale et mensuelle au profit des diplĂ´mĂ©s chĂ´meurs ;

Élaboration, suivant une procĂ©dure d’urgence, d’une politique d’emploi permettant la crĂ©ation et le recrutement d’au moins 100.000 emplois au cours des trois prochaines annĂ©es;

Assainissement du système bancaire pour qu’il puisse jouer pleinement son rôle de moteur du développement ;

Élaboration et promotion de stratĂ©gies agricoles destinĂ©es Ă  garantir l’autosuffisance alimentaire notamment en ce qui concerne les produits de première nĂ©cessitĂ© ;

 

Tahalil : Avez- vous une vision pour la Mauritanie de demain ?

AOT : Après plus de 50 ans d’existence, la Mauritanie a besoin d’être « repensĂ©e Â» par ses fils. Car elle a besoin de rectifier le tir dans beaucoup de domaines notamment ceux intimement liĂ©s Ă  son avenir. Elle doit s’adapter, Ă  la fois, aux exigences sociales et aux Ă©volutions du monde extĂ©rieur. Pour ce faire, elle doit Ă©couter toutes les voix qui militent pour son dĂ©veloppement et son unitĂ©. Loin de toute exclusion ou discrimination.

Notre mouvement, souhaite voir une Mauritanie unie et rĂ©conciliĂ©e. Cette Mauritanie culturellement diversifiĂ©e et ethniquement colorĂ©e a toute les raisons de panser ses plaies du passĂ© et de rechercher, objectivement, des solutions consensuelles aux diffĂ©rents sujets de discorde et « dossiers fâcheux». C’est une nĂ©cessitĂ© de premier ordre.

Nous voulons, Ă©galement, voir une Mauritanie soucieuse de sa Jeunesse, toute sa Jeunesse. Cette Jeunesse qui constitue, bon grĂ© mal grĂ© tous, le « dynamo Â» de notre sociĂ©tĂ©. Son gĂ©nĂ©rateur qui conditionne son Ă©volution. Investir dans la Jeunesse c’est, pour une nation, prĂ©server son propre avenir. Son emploi et son association Ă  la vie politique constitueront les meilleurs gages de son intĂ©gration.

 

Tahalil : Quelles sont, selon vous, les solutions que l’Etat doit mettre en Ĺ“uvre afin de rĂ©gler le problème de l’emploi ?

AOT : Nous pensons que le secteur de l’emploi a besoin de gros projets pour attĂ©nuer le chĂ´mage galopant ; si l’Etat s’empresse Ă  lancer des projets comme celui du nouveau AĂ©roport de Nouakchott, le chemin de fer Nouakchott-KaĂ©di, une autoroute Nouakchott-Rosso, ou le projet Ribat Al Bahr … ; une grande partie de la Jeunesse trouvera des dĂ©bouchĂ©s et le dĂ©veloppement du pays connaitra des jours meilleurs. Le prĂ©sident pourra en faire son cheval de bataille pour les 3 annĂ©es restantes de son mandat.

 

Tahalil : Que pensez-vous du système Ă©ducatif ?

AOT : Ouf !!! La cloche de l’école rĂ©publicaine s’est arrĂŞtĂ©e de sonner depuis belle lurette. Nous assistons, en effet, depuis une vingtaine d’annĂ©es Ă  l’agonie de notre système Ă©ducatif. En 1978, les dĂ©penses publiques totales dans le secteur de l’éducation constituaient 5% du PIB ; aujourd’hui, seulement 2,3% lui sont allouĂ©es. Ce ratio, constitue l’une des preuves du dĂ©sengagement de l’Etat par rapport Ă  ce secteur.

Si l’Etat s’engage Ă  inviter tous les acteurs Ă  des journĂ©es de concertations, un nouveau programme Ă©ducatif, accompagnant les attentes de notre ère, pourrait devenir la base d’un nouveau dĂ©part pour une Ă©cole digne de ce nom. Pendant les deux premières annĂ©es, les enseignants se spĂ©cialiseront par classe Ă  enseigner et pourraient subir des formations et mises Ă  niveau pendant les 4 mois totalisant les vacances annuelles, et ce pendant les deux annĂ©es Ă  venir ; l’Etat devra les indemniser pour ces deux annĂ©es sans vacances ; cependant les rĂ©sultats pourront se faire ressentir dès la 3ème annĂ©e. Cette stratĂ©gie devra obligatoirement se faire accompagner par un contrĂ´le rigoureux des services d’inspection du Ministère de l’Education. D’autres mesures d’accompagnement peuvent ĂŞtre considĂ©rĂ©es par les professionnels.

Aussi, le Ministère chargé de la culture pourra créer des clubs ou associations spécialisées (électronique, informatique, énergie solaire, astronomie, mathématiques, ….) dans les établissements publics (lycées pour commencer), cela éviterait à la plupart des jeunes d’errer dans la ville après les cours et pendant les vacances. Cet accompagnement du département de la culture fût une réussite dans les pays maghrébins.

 

Tahalil : Que reprĂ©sente pour vous le projet le plus urgent Ă  mettre en Ĺ“uvre par le gouvernement actuel ?

AOT : L’assainissement de la ville de Nouakchott. Depuis la rĂ©alisation du projet Aftout Essahli et le fleuve SĂ©nĂ©gal est pompĂ© et conduit vers Nouakchott avec un dĂ©bit journalier de 70 000 m3/jr. Cette eau s’infiltre après usage par les mĂ©nages et constitue une nappe de surface qui avec le temps fera de Nouakchott une ville flottante. Il est urgent de trouver une solution pour l’assainissement de Nouakchott, Ă  dĂ©faut les prochains hivernages seront catastrophiques, et les dĂ©placements pourraient devenir quasi-impossibles.

Aussi, il serait urgent de mettre en place une mĂ©thode de planification stratĂ©gique qui permettrait d’élaborer les stratĂ©gies nationales et ce en partant de la base (village, commune, Moughataa, Wilaya, pays). Toutes les stratĂ©gies mises en place aujourd’hui ont Ă©tĂ© conçues par des « experts Â» dans leurs bureaux et ne prennent pas du tout en compte les vĂ©ritables problèmes auxquels le pays est confrontĂ©.

 

Tahalil : Des groupes de jeunes proches du pouvoir vous ont approchĂ© dernièrement pour un dialogue voire une association entre vous. Qu’en est t-il ?

AOT : Laissez-moi vous dire que nous sommes ouverts Ă  tout dialogue et avec tout groupe de jeunes mauritanien. En effet, le groupe de rĂ©flexion « REMEDE Â» ainsi que « Coalition De Demain Â» ont entamĂ© avec nous des discussions sur le devenir des gĂ©nĂ©rations oubliĂ©es voire sacrifiĂ©es que sont les nĂ´tres. Il y a bien lieu de rĂ©flĂ©chir Ă  une forme de structure pouvant abriter ces groupes jusqu’ici marginalisĂ©s par les formations politiques classiques.

 

Tahalil : Qu’entendez-vous par formations politiques classiques ?

AOT : Je vais vous Ă©difier par un exemple très simple. Les fils et filles des 4 vices prĂ©sidents d’un « grand parti Â» de la place occupent les postes allouĂ©s Ă  la Jeunesse ; presque une dynastie. Quelle place avons-nous chez eux ? Quel est le parti politique qui va collecter des habits, de la nourriture, des livres, … etc., et les fournir aux citoyens les plus nĂ©cessiteux ? Quel est le parti qui va approcher les Ă©coles publiques sans enseignants et donner des cours gratuit ? Quel est le parti dont la jeunesse est allĂ© aider les populations de Tintane ou Rosso après les inondations ? …. J’entends par « formation politique classique Â» en Mauritanie tout parti politique qui n’a d’autre but que d’arriver au pouvoir le plus vite possible, par n’importe quels moyens (y compris la bĂ©nĂ©diction de coups d’Etats) et Ă©videment sans rĂ©flĂ©chir aux consĂ©quences souvent dĂ©sastreuses pour un pays perpĂ©tuellement en Ă©quilibre instable.
Ces « ainĂ©s Â» sont aux commandes depuis les annĂ©es soixante, ne trouvez-vous pas qu’il est temps qu’ils cèdent leurs places aux nouvelles gĂ©nĂ©rations ?

Propos recueillis par IOM

 


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