La Télévision de Mauritanie (TVM) a incontestablement crevé l’audimat la soirée du 26 décembre et démontré que le dialogue entre les mauritaniens divisés par le coup d’Etat du 6 août, est bien possible. Sa nouvelle émission «Al mountada» (en français, le forum) a ravi la vedette aux «Mountedeyatt» (EGD), qui s’ouvraient le lendemain. Les commentaires des invités aux EGD étaient largement dominés la matinée du 27 décembre au palais des congrès, par l’émission diffusée la veille, qui ravissait ainsi la vedette à l’événement du jour.
Diffusée en direct, l’émission annonce peut être, une ouverture des medias d’Etat sur les opposants au Haut Conseil d’Etat (HCE-junte) au pouvoir. L’unique émission pluraliste avait tourné au fiasco la soirée du 6 octobre 2008 et son invité principal est en prison depuis le 21 octobre, au motif de «diffamation de l’Armée». Entamée par un préambule plutôt lyrique, de Taghiyoullah Ledhem (l’un des fossiles de notre TVM), qui a parlé de «croisement des sagesses pour l’éclosion de la vérité», de «mettre le train sur les rails», de «fixer les bases d’une dialogue constructif», du «dépassement des surenchères» et de «l’affluence des fils du peuple et de leurs représentants aux EGD, porteurs d’espoirs et de peines», ouf ! après cette littérature souvent rabachée, le présentateur nous fait découvrir les invités de la soirée : Boidiel Ould Houmeid vice-président du parti ADIL, président en exercice du Front National de la Défense de la Démocratie (FNDD-coalition de partis Anti-putsch), Abdel Kader Ould Ahmed ancien ministre présenté comme un «penseur islamiste connu» (favorable au HCE), Sadava Ould Cheikh El Houssein conseiller du Premier ministre dirigeant au RFD (favorable au HCE), et Brahim Ould Abdellahi, journaliste ex-directeur général de Radio Mauritanie (favorable au HCE). «Tahalil Hebdo» propose à ses lecteurs, la traduction en français de la première partie des interventions des invités à cette émission, qui s’étaient tous, exprimés en Arabe et en Hassaniya. Première question : «Les EGD ne sont-ils pas une occasion pour enraciner la pratique politique souhaitée?» La parole est donnée à Boidiel Ould Houmeid lequel, avant de répondre, soulignera qu’il remercie la TVM de donner ainsi l’occasion au FNDD de s’adresser au peuple mauritanien a travers elle. «Nous n’avions que la presse étrangère pour s’adresser au peuple mauritanien» a-t-il dit, ajoutant: « J’espère que c’est le début et que vous inviterez les frères qui ne sont pas d’accord avec leurs frères qui sont au pouvoir, comme Jemil Ould Mansour et Mohamed Ould Maouloud et les autres responsables des partis du FNDD. Et de poursuivre : «Il faut qu’on se demande pourquoi il y a crise ? Il y a crise, parce qu’il y a coup d’Etat. La constitution votée en 1991 amendée en 2006 constitue le cadre de la légalité et il y a eu le coup d’Etat le 6 août ». «L’ordre constitutionnel que nous avons, est indivisible. Il y a le Président et le Parlement .On peut pas enlever un président élu avec la majorité des mauritaniens et laisser une partie de l’ordre constitutionnel, c’est pour cela qu’il y a une crise.» souligne-t-il. Taghiyoullah Ledhem : Vous parlez de coup d’Etat, mais d’autres parlent plutôt de rectification, nous en reparlerons. Concentrons- nous au début sur le sujet de l’émission : les EGD… Boidiel Ould Houmeid : Je voulais seulement parler de l’origine de la crise. Concernant notre position sur les EGD, il n’ y a que deux positions possibles : Etre avec, ou être contre le coup d’Etat. Ceux qui sont avec le coup d’Etat, entendent le légitimer par les EGD. Au FNDD, nous ne fermons pas la porte au dialogue avec quiconque, mais avec une participation aux EGD dans les formes proposées, nous cautionnons le coup d’Etat. Taghiyoullah Ledhem : Il y a des partis qui participent aux EGD malgré leurs réserves sur la situation politique actuelle. Pourquoi refusez vous de participer malgré les appels émanant, en ce sens, de l’intérieur et de l’extérieur ? Boidiel Ould Houmeid : Parceque nous avions déjà une expérience en ce sens. En 2005, il y a eu un coup d’Etat. Des partis l’ont accepté (personnellement je l’avais refusé et ce n’est pas nécessaire d’y revenir), puis la classe politique et la communauté internationale ont accepté des militaires, la tenue de journées nationales de concertation. Il y a eu un consensus et 24 engagements signés avec l’Union Européennes dont le refus des putschs. Ce sont les militaires membres de l’ancien Conseil Militaire qui avaient participé à tout cela, qui ont fait le coup d’Etat du 6 août 2008. J’ai entendu dire que les résultats de la transition de 2005 ne reflètent pas la démocratie, cela veut-il dire, que tous ses résultas ne le sont donc pas (maires députés ?). Le président de la République a été élu avec plus de 52% des suffrages pour un mandat de cinq ans, duquel, il n’a fait que 15 mois. Regardons dans le monde démocratique des présidents sont impopulaires mais terminent leurs mandats. Taghiyoullah Ledhem: Votre opposition à la déferlante participative aux EGD ne risque-t-elle pas de vous tenir à l’écart de l’arène politique et de vous isoler ? Boidiel Ould Houmeid : Nous ne le pensons pas. Il y a des partis, il y a des gens à conviction et il y a aussi -et ce n’est pas spécifique aux mauritaniens- une majorité qui soutient toujours celui qui dirige le pays, qui qu’il soit. Nous parlons aux gens à conviction. Nous pensons que l’alternance au pouvoir doit avoir lieu par les moyens pacifiques et non par la force. Depuis 1978, nous sommes dans les coups d’Etat. Je ne suis pas de ceux qui dénigrent ou encensent. C’est notre position, pas par amour de Sidi, ou par rejet de Aziz. L’alternance doit avoir lieu par les urnes, sinon elle le sera par la force, aujourd’hui, demain, ou dans 20 ans, comme cela a déjà eu lieu. Aboubecrine Ould Ahmed : «Je remercie la TVM de cette initiative qui fait ressortir les avis de toutes les parties, au lieu de se limiter à ce qui se faisait jusqu’ici, à une seule partie du champ politique. C’est un pas dans le bon sens. La base de la démocratie, c’est le dialogue et c’est notre problème, à nous, au tiers monde. Nous devons dialoguer, dépasser les sentiments, les passions quand il s’agit de l’intérêt général. Nous devons éviter la rupture et les EGD sont une occasion pour dialoguer. Le passé est passé. Il consacre l’échec de toute une classe politique. Le candidat qui avait gagné la dernière présidentielle l’a été par consensus et par respect des équilibres mais cela ne s’est pas poursuivi. On en porte tous, la responsabilité. Maintenant ce qui est essentiel, c’est le présent et l’avenir. Face aux crises, il faut innover pour trouver des solutions au lieu de rester figés dans des positions philosophiques et théoriques. La politique, c’est l’art du possible .La réalité, il faut le voir comme une réalité. Le dialogue aurait pu donner les garanties aux parties réticentes. On doit éviter l’internationalisation compte tenu de nos réalités internes et du danger de celle-ci. La persistance des tiraillements nous rendra tous otages de l’Etranger et chacune des parties sera enfin de compte obligée de faire des concessions à l’Etranger. Inutile de discuter le passé. Si nous avons commis une faute , c’est par le dialogue qu’elle pourra être surmontée. Je ne sais pas comment se dérouleront les EGD, mais ils constituent un cadre pour le dialogue. Taghiyoullah Ledhem: Des idées ont été avancées concernant l’esprit partisan, les positions figées, le passé.Que pensez vous de tout cela en tant qu’homme de culture Brahim Ould Abdellahi : Je ne suis pas contre l’évocation du passé ne serait-ce que voir le présent et envisager l’avenir. Sur les causes, ce processus a débuté le 3 août 2005 par un coup d’Etat que nous avions acceptés malgré notre rejet des coups d’Etat, parce que nous comprenions plus que les européens la situation. On était à la recherche de la délivrance en raison de la faiblesse de la classe politique. Pourquoi alors deux poids deux mesures ? Accepter le coup d’Etat du 3 août et pas celui là ? Les auteurs sont les mêmes. Le 3 août était porteur d’espoirs réels, c’était une révolution qu’ils sont trahis à la fin de la transition. La transition (de 2005 ) s’est achevée avec la venue de l’ex-président à bord des chars des militaires qui voulaient réellement démocratiser la vie politique . Ce président là , est venu du néant. Il n’avait aucun lien avec l’espoir des mauritaniens. Après son élection, il a tourné le dos à la majorité qui l’a élue. Ce sont les mauritaniens qui comprennent cela. Nous devons être sincères. Les EGD sont la voie pour la solution. Si la classe politique assumait son rôle et anticipait, il n’y aurait pas eu coup d’Etat en 2005 et la rectification de 2008. Il n’y a pas de tabous dans les EGD, tout le monde est invité : parlementaires, maires partis, société civile, ex-présidents même Sidi Ould Cheikh et Abdellahi et Maaouya Ould Taya y sont invités, s’ils veulent venir . On peut même poser dans les EGD, l’éventualité d’un referendum sur le retour de Sidi Ould Cheikh Abdellahi. Le général Mohamed Ould Abdel Aziz s’est engagé à respecter les résultats des EGD. Ces engagements suffisent. La politique de la chaise vide c’est une grave erreur politique. L’espoir né en 2005 a été enterré durant la transition, il a été tué avec l’ancien président et s’est renouvelé avec le 6 août. Jusqu’à ce jour, il n’y a jamais eu de démocratie dans ce pays. Les bases vont être jetés avec les EGD. Tout va y être posé, notamment la durée de la transition qui doit s’achever en juin 2009. Les militaires se sont engagés à accepter les recommandations des EGD. Sadava Ould Cheikh El Houcein : Je remercie la TVM et je rappelle que si certains déplorent ne pas pouvoir y accéder depuis une récente date, que nous au RFD on y avait pas accès, durant les 15 mois de la soit disante démocratie. Et cela ne nous porte pas préjudice. Je dis à ceux qui pleurent la démocratie, que le RFD et l’opposition démocratique n’ont eu droit qu’à une seule émission à la télévision dans un programme qui a fait l’objet de sabotage. Je remercie le ministre Boidiel Ould Houmeid, notre père, notre frère, l’homme politique, le syndicaliste pour sa présence à cette émission et je peux dire qu’ainsi, les EGD ont effectivement débuté. Au RFD nous sommes prêts à discuter sans condition avec quiconque, avec le HCE, avec le FNDD. Nous sommes porteurs des peines et des espoirs des Mauritaniens. L’ancien conseil militaire a reconnu que Ould Daddah a été victime d’un coup d’Etat en 1992 et l’élection de Sidi fut un deuxième coup d’Etat contre Ould Daddah . Ce qu’il y a maintenant est le résultat d’accumulations de trois types : la gabegie, le népotisme et le tribalisme, on ne peut occulter cela. Notre position par rapport aux EGD, c’est qu’il y a une crise politique et constitutionnelle que nous avons signalée au RFD avant les parlementaires frondeurs et avant les militaires. Nous avions accepté les résultats de la dernière présidentielle au nom de l’intérêt de la Mauritanie. Nous aurions pu faire comme les zimbabwéens. Tout le monde sait comment Sidi Ould Cheikh Abdellahi est venu. L’ex-président a été un corps étranger à la Mauritanie et ça arrive que les corps rejettent certaines greffes. Nous l’avons dit dans notre congrès que la Mauritanie va à la dérive. Il fallait y réfléchir. Nous ne l’avions pourtant jamais dit sous la répression de Ould Taya. C’est pour cela que nous avions considéré le 6 août comme une rectification. Nous devons maintenant réparer les erreurs de 2005. La Mauritanie est faible, la Mauritanie est en danger, nous devons connaître ce qui s’est passé, pas pour sanctionner mais pour savoir. On nous parle maintenant d’embargo. Mais nous étions sous embargo. Aucun des chefs d’Etat du voisinage n’avait visité la Mauritanie et la visite de l’Emir du Qatar vous connaissez dans quelles conditions elle s’est achevée. Des voyages interminables et on nous dit de laisser l’ex-président achever son mandat sinon il y aura des sanctions. Cela rappelle l’histoire des «ânes de Gassambara» qui ne pouvaient être empêchés de manger le mil des maures par peur de la réaction, finalement ils en ont été empêchés, sans qu’il n’arrive quoi que ce soit. On se connaît entre nous et nous devons faire notre mea culpa. Avez-vous déjà vu un président demander que son peuple soit affamé ? Même Chelebi ne l’a pas fait en Irak. Sidi a demandé qu’on affame le peuple mauritanien. Je rends hommage à ce peuple, qui au premier tour (de la présidentielle de mars 2007) a voté 76% contre lui. Au deuxième tour, le changement a été trahi par des dirigeants politiques comme l’atteste un document publié récemment par un acteur principal (chehida chahidoune min ehliha). Nous avions une élite détachée de nos réalités, qui envoie ses enfants à l’école française qui se soigne à l’extérieur, c’est pour cela que le peuple est désemparé à telle enseigne qu’il puisse manger le riz avarié. Les EGD doivent trouver une solution aux coups d’Etats et leurs résultas s’ils sont dans l’intérêt général, doivent être acceptés. Chacun doit venir avec ses propositions pour une sortie de crise. Il s’agit de réparer les erreurs de 2005. Et pourquoi pas faire un referendum comme l’a dit Brahim. L’ex-président a bloqué les institutions, exclu 47% des mauritaniens et 90 % de ses soutiens. Taghiyoullah Ledhem : Pourquoi refusez-vous le dialogue ? Boidiel Ould Houmeid : Nous n’avons jamais refusé le dialogue. Nous avons discuté avec tous ceux qui l’ont voulu. Le FNDD pouvait accepter le dialogue si les militaires l’avaient demandé. Taghiyoullah Ledhem : Avez-vous été invités aux EGD ? Boidiel Ould Houmeid : Il ne suffit pas d’envoyer une carte d’invitation mais de discuter au préalable. On aurait donc pu participer. Si les militaires avaient discuté avec nous, on aurait accepté de participer aux EGD. Brahim Ould Abdellahi a demandé pourquoi accepter un coup et rejeter un autre ? Ce coup d’Eta ne ressemble pas aux autres qui ont été menés par l’institution militaire. Il a été fait par des civils contre des civils. J’étais dans une position qui me permettait de tout observer. On convoquait des civils pour leur dicter des positions à prendre. Certains militaires ont divisé les civils. La transparence des élections de 2006 et 2007 a été unanimement saluée. Ceux qui la remettent aujourd’hui en doute l’avaient déjà reconnue. Personnellement, aucun militaire ne m’a orienté vers le soutien de Sidi Ould Cheikh Abdellahi .Je l’ai soutenu par conviction .Sidi Ould Cheikh Abdellahi est une personnalité qui a un historique connu. Nous sommes attachés à la légalité constitutionnelle pas par amour pour Sidi ou par rejet de Aziz. C’est Sidi qui m’a contacté pour solliciter mon soutien et je lui avais dit que ma position dépend de celle de mon parti. J’ai entendu quelqu’un dire ici, que Sidi a exclu 47 % des mauritaniens. Je rappelle que Tawassoul qui avait soutenu Ahmed Ould Daddah ainsi que l’UFP sont aujourd’hui au FNDD. Personne ne doit dire que les 47 % recueillis par Ahmed Ould Daddah au deuxième tour sont toujours avec lui et cela est valable pour les 52 % qui ont voté Sidi Ould Cheikh Abdellahi. Sidi est un président élu et ceux qui n’acceptent pas sa légitimité doivent savoir qu’ils mettent en cause la légitimité des députés. Quelqu’un a parlé de referendum, personnellement -et ce n’est pas la position du FNDD- je ne suis pas contre une solution conforme à la constitution. Bush était un président impopulaire, cela n’a pas poussé l’armée américaine à le déposer par coup d’Etat. Taghiyoullah Ledhem : Qu’est ce qui empêche d’établir les ponts du dialogue en vue d’avancer. Boidiel Ould Houmeid : Nous ne refusons pas le dialogue entre les partis politiques. Taghiyoullah Ledhem : Le RFD a insisté sur un dialogue avec les partis lors des EGD. Boidiel Ould Houmeid : Dans nos discussions avec le RFD nous avions demandé sa non participation aux EGD- dont nous, tout comme ce parti- savons peu sur leurs soubassements. Taghiyoullah Ledhem : La participation aux EGD pose des problèmes au niveau des partis certains membres du parti ADIL y participent. Boidiel Ould Houmeid : Ce ne sont pas des représentants de ADIL dont le président Yahya Ould Waghf est en prison, et les membres du bureau exécutif sont connus. Le Premier vice président de ADIL c’est M Ba Mbaré moi je suis le deuxième vice-président. Ceux qui ont annoncé leur participation au nom de ADIL en ont déjà demisionné lors d’une conférence de presse qui a été couverte par la presse nationale et internationale . Maintenant, ils ont fait une nouvelle conférence de presse pour annoncer qu’ils n’ont jamais demissionné. La même chose a été faite avec des syndicats et des Ongs qui soutiennent le FNDD. Concernant les sanctions je tiens dire que ni Sidi; ni le FNDD n’ont demandé des sanctions. Nous savons qu’elles sont insupportables par le peuple mauritanien. Ce que nous avons dit, c’est que nous refusons le coup d’Etat. La communauté internationale avait demandé le consensus de la classe politique pour éviter les sanctions. Ce sont les principes des organisations internationales qui stipulent les sanctions en cas de prise du pouvoir par la force. On ne doit pas demander au FNDD de s’ériger donc en barrière entre les militaires et la communauté internationale. Et puis au lieu d’insister sur la pierre qui a été jetée, pourquoi ne pas se demander qui a jeté cette pierre ? Il y a des sanctions, parce qu’il y a eu coup d’Etat ! Est-ce que c’est le FNDD qui a fait le coup d’Etat ? Je pense que nous devrons œuvrer à une solution conforme à la constitution pour éviter les sanctions. Traduits par IOM (A suivre)
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