Le Collectif des Victimes de la Répression (COVIRE) sous Taya a célébré son premier anniversaire le 14 juin 2008 à Nouakchott au centre de cérémonies appelé «la CASE». Cette journée a été l’occasion pour le collectif de rafraîchir les mémoires en ce qui concerne le passif humanitaire.Deux questions ont été à l’ordre du jour: la question du retour des réfugiés et la problématique du règlement du passif humanitaire.
Plusieurs organisations étaient présentes dont le collectif des femmes victimes de la répression, le Collectif des enfants des victimes, le Collectif des Rescapés Militaires (COREMI), le Collectif des Opérateurs Economiques (COPECO) et les Ongs de défenses des droits de l’homme entre autres.
Pour ce premier anniversaire, le COVIRE a préféré organiser en guise de célébration, une conférence-débat animée par ses membres dont Sy Abou, son président, Kane Seydou, son porte parole et Ngaïdé Abdoul Moctar, coordinateur des activités de COVIRE. Il y a eu également la présence parmi les conférenciers, de Mme Sall Houleye, présidente du Collectif des veuves des victimes, Mme Maïmouna Alpha Sy, secrétaire générale des veuves, de M. Lô Moussa, président du collectif des militaires rescapés et de M. Balas de COPECO. Avant le démarrage de la conférence-débat, les participants ont eu droit à une visite guidée d’une exposition de photos des victimes de la répression des années 86 à 91. Rien que ces photos, l’évènement revêtait une dimension tout autre. On reconnaissait certains soldats pendus à Inal, Jreida,Oualata et Nouadhibou. Leurs veuves étaient là , les visages tristes et on lisait encore sur elles l’émotion et la douleur de ces années de braise sous l’ère Taya. A qui la faute ? Seule l’histoire retiendra que durant 6 ans, le peuple mauritanien a connu une ère sombre de son histoire. Des témoignages que nous avons recueillis sur place de la part des femmes des victimes et de leurs fils encore sous le choc, ont été émouvants et ont révélé des souvenirs vivaces.. Avant d’ouvrir la conférence débat, le président Sy Abou a lu une déclaration à travers laquelle, il a passé en revue tous les points saillants relatifs aux problèmes des déportés et du passif humanitaire. Il a témoigné de facto sa gratitude au président de la République M. Sidi Ould Cheikh Abdallahi qui a eu le courage politique de reconnaître pour la première fois cette erreur fatale de l’histoire de la Mauritanie. Ainsi, en dépit de la satisfaction du COVIRE quant au retour des réfugiés, il a déploré les manquements observés « dans l’organisation des opérations de rapatriement et la prise en charge pour l’installation d’urgence ». Ce qui selon le COVIRE, a engendré « une grande confusion entre les actions du HCR et celle de l’Agence Nationale d’Appui et d’Insertion des Réfugiés (ANAIR) ». Passif humanitaire: « rien n’est encore officiellement entamé ».
Pour le COVIRE, après les journées nationales de concertation qui ont connu un franc succès, « aucune des propositions retenues n’a connu une orientation claire ». Toutefois, le COVIRE à travers sa déclaration du jour, a salué « l’action des partenaires nationaux et internationaux qui ne ménagent aucun effort pour instaurer un débat » susceptible d’apporter des « solutions acceptables par tous ». Dans le même ordre d’idées, le COVIRE a indiqué que « la seule voie crédible pour le règlement du passif humanitaire reste la mise en place d’une Commission Nationale Indépendante et Autonome qui mettra toute la lumière sur les faits incriminés ». A l’instar de la question du retour des réfugiés, le COVIRE souhaite que les pouvoirs publics engagent de « larges consultations franches ». Lançant un appel à toutes les organisations de victimes à l’intérieur comme à l’extérieur à unir leurs efforts et à travailler en synergie pour mieux défendre leurs intérêts, le COVIRE prône la création de l’Observatoire pour le règlement du passif humanitaire incluant l’AVOMM (Aide aux Veuves et Orphelins des Militaires Mauritaniens), la GAMME (Coordination des Anciens Militaires Mauritaniens), l’OCVIDH (Organisation contre la Violation des Droits de l’Homme, le Comité directeur des Communautés Réfugiés au Sénégal et de lui-même.
Le débat, un moment de ressouvenir
Au cours des débats, les organisateurs n’ont pas manqué de redéfinir leurs objectifs qui se résument à travers le devoir de vérité, le devoir de mémoire, le devoir de justice et le devoir de réparation en vue de parvenir à un règlement négocié et consensuel du passif humanitaire. Les participants et/ou intervenants aux débats ont exprimé leur souhait de voir jaillir la lumière sur toutes les crimes perpétrées à cette époque avant de prétendre à la réconciliation. Une sorte de Vérité/Réconciliation à la manière des Sud Africains. La consultation d’un expert sud africain en la matière a été un souhait ardent pour les participants. Les intervenants ont passé au peigne fin les points essentiels des douloureux évènements situés en 1986 et 1991. La presse a participé également de manière active aux débats par des questions qui ont permis d’éclairer l’opinion sur des problèmes qui ont jusque là été ignorés par les populations.
La question des déportés
Pour certains intervenants, les problèmes des déportés dont 3 139 sont déjà en terre mauritanienne depuis janvier, début des opérations de rapatriement jusqu’au 12 juin dernier malgré la volonté des autorités et des partenaires, restent entiers. Les participants ont souligné les problèmes relatifs à l’accueil, à l’hébergement, à la santé, à la récupération des terres et celui de leur insertion. Pour eux, le retour des déportés n’est qu’un leurre. D’ailleurs, disent-ils, au niveau des déportés, le discours est mitigé. On ne parle pas le même langage parce que depuis le début du processus jusqu’à ce jour, la question a été bâclée selon les intervenants. Les familles sont divisées et on ne se retrouve plus. Pour Sarr Mamadou du FONADH, le HCR est plus préoccupé sur des questions de fonds que sur des questions d’organisation pratiques et techniques des réfugiés. On a voulu faire vite pour montrer aux bailleurs de fonds que le travail a commencé et qu’il fallait mettre les moyens financiers et ce, par l’intermédiaire des médias. Mr. Kane Mamadou, chargé des relations extérieures du COVIRE a rappelé qu’il a été retenu qu’après l’installation d’urgence qui doit durer 90 jours, on doit passer à l’insertion des réfugiés par le canal des projets initiés par l’ANAIR. Mais jusqu’ici, rien n’a encore été fait. Pour Sarr Mamadou du FONADH qui a sillonné tous les camps des réfugiés, « la situations est catastrophique, le retour ne correspond à rien dans la mesure où il n’y a pas de mesures d’accompagnement ». Il a l’impression qu’il y a des forces occultes qui travaillent sous l’ombre pour torpiller le processus. Il annoncera que le 20 juin, journée internationale du réfugié, sera l’occasion pour revenir amplement sur cette question.
Le passif humanitaire
Sur cette question, le débat a tourné autour de la problématique du règlement du passif humanitaire. Au cours des interventions, certains ont révélé que parmi 3000 soldats, plus de 500 ont été exécutés, d’autres sont des rescapés mais on n’a jamais connu le sort de tant d’autres. Pour le COVIRE, il faut l’implication des acteurs principaux. Sans cela, toute procédure sera vouée à l’échec et risque de contourner l’essence même de la question. Il faut régler selon les intervenants le problème des commissions qui doivent travailler à même d’amener à dire la vérité en face, ensuite, travailler à réconcilier les parties (bourreaux et victimes). Leurs inquiétudes demeurent dans la constitution des membres de la Commission Nationale qui, selon leurs rumeurs, se composerait d’officiers de haut rang de l’armée. Ce qui, selon eux, détourner tout objectif à la question et à l’essentiel. Cependant, pour le COVIRE, son objectif n’est pas de se substituer à la justice mais de faire en sorte qu’il y ait un règlement négocié et consensuel du passif humanitaire. Qu’en définitive, la Mauritanie sort réconciliée avec elle-même. Et qu’on dise enfin, plus jamais ça !
Les témoignages des victimes
Les mines mornes, les visages crispés, les femmes et les fils des victimes avaient l’air triste. A les voir, c’était comme si on venait d’annoncer la disparition de leurs chers époux. C’était émouvant et regrettable. Gaye Abou né en 1983, fils d’un soldat disparu à Inal témoigne : «C’était horrible et douloureux pour moi quand j’ai appris cette affaire. Mais il fallait supporter. C’est le destin » déclarait-il visiblement impuissant. Maïmouna Abdoul Niang, épouse de feu Abdoul Niang, soldat de 2ème classe pendu à Inal. « Moi, j’étais tombée malade sur le champ ! J’avais juste deux petits enfants de bas âge. C’est difficile de vous retracer cette histoire. Merci ». Les victimes n’étaient pas seulement des militaires. Mme Fatou Moussa Sarr, l’épouse de feu Ndiaye Abdoul agent à l’Asecna de Nouadhibou, celui-là enlevé à son bureau et mort par la suite en 1991. « Je venais d’accoucher mon enfant il y avait juste un mois et demi, la nouvelle m’est tombée comme un couperet. J’ai marché à pied jusqu’à l’Asecna. Ma fille aînée avait 2 ans en ce moment et il ne cessait de pleurer son père » raconte-t-elle. Racky et Ndeye Boula Abdoul Ndiaye ont plus de 15 ans. Présentes à cette journée, elles se sont contentées de se résigner face à une situation douloureuse. Mme Khardiata Dia épouse de feu le Caporal Bal Sileye n’a pu se retenir en réponse à nos questions. Les larmes aux yeux avec le bébé de sa fille aînée dans ses bras, elle s’est contentée de nous remercier tristement. Quant à Mme Bâ Baïdy née Maïmouna Alpha Sy, la SG des veuves, son mari fut lieutenant de la douane à l’époque. « Mon mari a été arrêté le 26 novembre 90 et exécuté le lendemain 27 novembre à Nouadhibou. Ce n’était pas facile. Nous luttons aujourd’hui pour le règlement de ce passif humanitaire sans esprit de revanche mais un règlement que nous voulons pacifique et négocié pour en finir définitivement avec cette histoire » déclarait-elle.
Le calvaire des rescapés
Lô Moussa est un rescapé militaire. Il est aussi le président du Collectif des Rescapés Militaires (COREMI). « Les arrestations se faisaient tard dans la nuit. Un haut gradé se présentait à vous avec une liste en vous disant : vous êtes prié de venir répondre à vos supérieurs à Nouakchott (son arrestation a eu lieu à Rosso ndlr). Nous avons subi toute sorte de traitement dégradant. Le calvaire est inimaginable », nous racontait-il. A la question de savoir comment il a pu échapper à la mort, il répond : « C’est le destin. On nous enterrait debout jusqu’au front. Moi, j’ai eu l’intelligence de croiser mes bras à la hauteur de mon front (il démontre l’action). C’est cet air qui m’a permis de survivre de 21 heures à 4 heures du matin », conclut-il. Compte rendu I. Badiane
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