Lémine Ould Mohamed Salem, invité Afrique du jour est l’auteur du livre «Le Ben Laden du Sahara. Sur les traces du djihadiste Mokhtar Belmokhtar». La tête du jihadiste, traqué par l’armée française, est mise à prix pour 23 millions de dollars par les Nord-Américains.     
					                       
                                        Mais que sait-on de Mokhtar Belmokhtar, ce chef jihadiste qui a organisĂ© la prise d’otages gĂ©ante d’In AmĂ©nas en 2013 ? Celui qui a contribuĂ© Ă  la crĂ©ation d’al-QaĂŻda au Maghreb islamique avant de fonder le groupe al-Mourabitoune est aujourd’hui introuvable. Le journaliste LĂ©mine Ould Mohamed Salem est parti sur ses traces dans toute la rĂ©gion sahĂ©lienne. Il est notamment restĂ© deux mois dans le Nord-Mali pendant l’occupation jihadiste. Propos recueillis par Anthony Lattier. Les bonnes feuilles du livre sont Ă  lire Ă  la suite de l’interview de l’auteur.  RFI : Bonjour LĂ©mine Ould Mohamed Salem. Vous retracez le parcours de Mokhtar Belmokhtar dans ce livre. D’abord d’oĂą vient-il ? LĂ©mine Ould Mohamed Salem : Mokhtar Belmokhtar est un citoyen algĂ©rien, nĂ© le 1er juin 1972 Ă  GhardaĂŻa, une oasis du sud algĂ©rien. Ce n’est pas le fils d’une famille riche, ce n’est pas non plus le fils d’une famille pauvre. Son père Ă©tait commerçant, tous ses frères et ses sĹ“urs ont eu le Bac. Ils ont poursuivi des Ă©tudes supĂ©rieures sauf lui. Mais par contre, c’est un homme qui a toujours Ă©tĂ© très pieux, ce qui n’est pas une mauvaise chose dans des sociĂ©tĂ©s sahariennes. C’est plutĂ´t un très bon signe. Donc Belmokhtar a toujours Ă©tĂ© très intĂ©ressĂ© par la religion. Quand il Ă©tait adolescent c’était le dĂ©but de la guerre en Afghanistan, notamment suite Ă  l’invasion soviĂ©tique en 1979. Il s’intĂ©ressait beaucoup notamment aux jihadistes arabes qui sont partis rejoindre les moudjahiddines, c’est-Ă -dire les islamistes armĂ©s afghans. Et il Ă©tait fascinĂ© par un certain nombre d’entre eux, notamment le cheick Azzam qui est le thĂ©oricien du jihad moderne. La mort d’Abdallah Azzam va le marquer au point qu’il dĂ©cide lui-mĂŞme de partir en Afghanistan pour participer aux combats. Il n’y est pas restĂ© très longtemps, mais ce qui est sĂ»r c’est qu’il a participĂ© Ă  quelques combats sur deux ou trois fronts et il a surtout rencontrĂ© certaines très grandes figures de ce qui deviendra plus tard le jihad mondial. Lui qui est souvent prĂ©sentĂ© comme un trafiquant a donc aussi une base idĂ©ologique ? Cette idĂ©e de trafiquant, je m’y suis beaucoup intĂ©ressĂ© personnellement et je n’ai pas trouvĂ© de traces qui me paraissent personnellement crĂ©dibles. J’ai beaucoup lu dans la presse ces rumeurs selon lesquelles monsieur Belmokhtar est un trafiquant de cigarettes, de drogue, ainsi de suite. Ce n’est donc pas vrai ? Ce n’est pas ma conviction personnelle. Ma conviction personnelle est que Belmokhtar est un jihadiste convaincu qui est persuadĂ© d’avoir raison. Pour emprunter une expression ou un mot un peu plus simple, il faut plutĂ´t le considĂ©rer comme Ă©tant un jihadiste fanatique. Mais alors d’oĂą lui vient l’argent qui finance ses actions ? Lors de la première prise d’otages massive d’Occidentaux dans le sud algĂ©rien au dĂ©but des annĂ©es 2000, Belmokhtar et ses amis avaient rĂ©ussi Ă  cette Ă©poque-lĂ  Ă  obtenir une très importante rançon de 5 millions d’euros. Et sans doute ils ont combinĂ© ces rançons-lĂ  avec certainement certains trafics, notamment le trafic de denrĂ©es de première nĂ©cessitĂ©, le carburant aussi, qui coĂ»te Ă  peu près 10 centimes d’euros en AlgĂ©rie, mais qui peut coĂ»ter dix fois plus dans n’importe quel pays de la rĂ©gion ! Il rĂ©ussit Ă  s’implanter au Nord-Mali, notamment grâce Ă  son mariage. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus ? Belmokhtar, au dĂ©but des annĂ©es 2000, finit par choisir de s’installer dans les environs d’un petit village arabe pas très loin de la frontière mauritanienne qui dĂ©pend de la circonscription administrative de Tombouctou qui s’appelle Erneb – c’est-Ă -dire le lièvre en arabe – habitĂ© par plusieurs clans tribaux d’arabes du nord du Mali et dont les Brabiches. Il Ă©pouse la fille d’une famille de notables très influents. C’est la famille Hamaa. Et ce mariage va lui permettre non seulement un ancrage social dans le Sahara malien, mais va aussi lui servir Ă  fructifier ses affaires en s’alliant financièrement avec sa belle-famille, mais Ă  se donner aussi une protection tribale. Ce qui est quelque chose de très important dans le dĂ©sert. Une base de refuge aussi ? Absolument ! Je pense que s’il ne bĂ©nĂ©ficiait pas de forte solidaritĂ©s ni lui ni les autres n’auraient pu agir pendant très longtemps dans la rĂ©gion ! OĂą se trouve aujourd’hui Mokhtar Belmokhtar ? On parle du Sud libyen. Est-ce que vous avez des informations Ă  ce sujet ? Savoir exactement oĂą se trouve aujourd’hui Belmokhtar c’est très difficile. Vu la prĂ©sence massive aujourd’hui des troupes françaises et alliĂ©es dans le nord du Mali, ce qui est le plus logique Ă  mon avis, c’est qu’il ait trouvĂ© refuge chez ses amis libyens qui sont très nombreux et qui Ă©taient très nombreux dans sa katiba. A moins qu’il ne se trouve au fameux Mont Chaambi en Tunisie, [oĂą se dĂ©veloppe] aujourd’hui une sorte de dĂ©but de rĂ©bellion islamiste en Tunisie. Peut-on aujourd’hui Ă©valuer la force de frappe de son groupe d’Al-Morabitoune, un an et demi après le lancement de Serval, remplacĂ© rĂ©cemment par l’opĂ©ration Barkhane ? Belmokhtar est sans doute affaibli. Mais je ne pense pas qu’il ait perdu toute capacitĂ© de nuisance. Il est encore capable Ă  mon avis de frapper. La grande question c’est : comment ? OĂą ? Quand ? Cette annĂ©e Mokhtar Belmokhtar a renouvelĂ© son allĂ©geance Ă  al-QaĂŻda. Pourquoi ne s’est-il pas tournĂ© vers l’Etat islamique, vers le groupe Etat islamique qui multiplie les succès sur le terrain en Irak et en Syrie ? Je pense que c’est une question de temps. Si jamais l’[organisation de] Etat islamique parvient Ă  consolider ses positions, Ă  gagner du terrain, je vois très mal Belmokhtar ou les autres chefs d’al-QaĂŻda en Afrique ou dans la pĂ©ninsule arabique, ne pas finir par soit prĂŞter allĂ©geance Ă  l’Etat islamique, soit au moins s’en rapprocher. D’autant plus que le projet est le mĂŞme. « Le Ben Laden du Sahara. Sur les traces du djihadiste Mokhtar Belmokhtar » publiĂ© aux Ă©ditions de La Martinière, est sorti le 16 octobre 2014.   Source : RFI
                      
                    
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