Mustapha Limam Chafi : Ma rencontre avec Mokhtar Belmokhtar   
24/05/2013

Emissaire sur le front des otages occidentaux au Sahel, le Mauritanien Mustapha Limam Chafi avait raconté en exclusivité à L’Express comment il a rencontré "le Borgne", qui revendique les attentats au Niger.



Conseiller spécial de Blaise Compaoré, président du Burkina Faso, émissaire aguerri sur le front des otages occidentaux au Sahel, le Mauritanien Mustapha Limam Chafi avait raconté en exclusivité à L’Express, en février dernier, les circonstances dans lesquelles il avait engagé d’âpres négociations avec "le Borgne". Un témoignage éclairant sur l’univers mental de Mokhtar Belmokhtar, cerveau présumé des attentats-suicides d’Agadez et d’Arlit (Niger), tout comme du carnage du site gazier algérien d’In-Amenas, donné pour mort -à tort selon toute vraisemblance- par le chef de l’Etat tchadien Idriss Déby Itno.

"La première rencontre doit tout au hasard. Après l’enlèvement du diplomate canadien Robert Fowler et de son assistant, en 2008, le prĂ©sident [burkinabĂ©] Blaise CompaorĂ©, sollicitĂ© par les autoritĂ©s canadiennes, s’est tournĂ© vers moi. Il ne s’agissait pas alors de libĂ©rer les otages, mais de tenter de collecter des informations. Dès lors, j’ai tentĂ©, avec le concours d’un ami nigĂ©rien, d’activer un rĂ©seau susceptible de me conduire jusqu’à Belmokhtar. A la frontière malienne, un contact m’a dit que celui-ci n’avait plus aucune confiance dans les Ă©missaires de Bamako, et qu’il souhaitait ma venue. "Il y a auprès de lui de nombreux Mauritaniens qui te connaissent", m’a-t-il expliquĂ©. J’ai donc pris la route de Gao, Ă  bord d’un 4X4 chargĂ© de vivres et de mĂ©dicaments. 

Ensuite, nous avons roulĂ© Ă  a nuit tombĂ©e vers une destination inconnue et fait halte vers 2h du matin, dans un dĂ©cor dunaire. Pas âme qui vive. Ce fut sans doute la plus grande trouille de ma vie. Après tout, ces gens-lĂ  avaient Ă©gorgĂ© des officiers mauritaniens et musulmans en plein mois sacrĂ© du ramadan. Après avoir reçu de nouvelles coordonnĂ©es GPS, nous nous sommes enfoncĂ©s dans un dĂ©sert hostile. 

Un peu plus tard, cap sur un troisième lieu de rendez-vous. Là, j’ai vu converger trois pick-up. Nous avons eu droit à une fouille minutieuse du véhicule, tandis que le comité d’accueil ôtait la batterie de mon [téléphone satellitaire] Thuraya. On m’a escorté jusqu’à une colline, où attendaient deux hommes, dont un muni d’une prothèse oculaire. C’est alors que j’ai compris qu’il s’agissait d’"al-Laouar" lui-même [le Borgne en arabe]. "Voici notre émir Khaled al-Abbas, alias Mokhtar Belmokhtar", m’a confirmé un de ses lieutenants. L’intéressé avait devant lui un ordinateur portable. Sur l’écran, ma photo. Il voulait à l’évidence vérifier que j’étais bien le visiteur attendu. S’est alors engagé le dialogue suivant:

- Désolé pour la fatigue du voyage. C’est bien toi qui es mandaté par le président du Burkina Faso?

- Oui. 

- Comment s’appelle-t-il?

- Blaise Compaoré.

- Est-il musulman ou kafir (infidèle)? 

A cet instant, j’ai improvisĂ© avec l’aide de Dieu, empruntant au rĂ©cit de l’hĂ©gire -l’exil du Prophète- la figure du nĂ©gus d’Abyssinie, souverain chrĂ©tien mais bienveillant envers les compagnons de l’envoyĂ© d’Allah, venus demander sa protection. "Ce roi monothĂ©iste, ai-je soulignĂ©, Ă©tait lui aussi un homme juste, qui protĂ©geait les opprimĂ©s. Le prĂ©sident CompaorĂ©, ai-je poursuivi, est Ă  l’image du nĂ©gus. Au sein de son peuple, il existe une grande communautĂ© musulmane sur laquelle il veille. Quand Charles Pasqua [alors ministre de l’IntĂ©rieur] a expulsĂ© de France des prĂ©dicateurs islamistes, il les a accueillis chez lui. Sache que tous le chrĂ©tiens ne sont pas tes ennemis." Apparemment, mon propos a portĂ©. 

Nous avons alors commencé à discuter du sort des deux captifs. Et Belmokhtar s’est lancé dans un discours très politique. Il y était question de l’engagement du Canada en Irak et en Afghanistan, des souffrances iniques infligées par les Occidentaux aux Palestiniens. J’ai alors émis le désir de voir Fowler et son compagnon.

- Si j’accepte, où diras-tu les avoir vus?

- Je dirai la vérité. A savoir que j’ignore si je suis en Algérie, au Mali, au Niger ou en Mauritanie. Cela posé, je dois te dire d’emblée que la loi et la constitution canadiennes interdisent le versement de rançon.

- Nous ne sommes pas au Canada. La seule loi qui vaut ici, c’est celle de Dieu.

- Je ne suis qu’un Ă©missaire. Je te transmets les message qui m’ont Ă©tĂ© confiĂ©s. 

Après un apartĂ© avec son entourage, "le Borgne" a refusĂ© toute entrevue entre moi et les otages. Il a ensuite envisagĂ© la livraison de photos rĂ©centes, voire d’une vidĂ©o; formules bientĂ´t Ă©cartĂ©es. A dĂ©faut, nous sommes convenus d’un rendez-vous tĂ©lĂ©phonique ultĂ©rieur entre les Canadiens et leurs familles. 

Le soir, au campement, projection de vidĂ©os assez effrayantes d’attentats commis en TchĂ©tchĂ©nie, notamment sous la conduite d’un chef djihadiste manchot. Le lendemain matin, on m’a priĂ© de remettre la nourriture et les mĂ©dicaments. 

- S’agit-il de produits haram (proscrits en islam) ?, m’a demandé Belmokhtar. Viennent-ils du Canada?

- Non. Je les ai achetés moi-même au Burkina.

Avant mon dĂ©part, " l-Laouar" est venu prendre congĂ©. "Le chef ne fait jamais ça, m’a alors affirmĂ© un chauffeur. Tu as rĂ©ussi ta mission." 

    Il avait cette manie de manie de saisir des brindilles et de les casser entre ses doigts

Au terme d’une expédition ultérieure, un djihadiste mauritanien m’a glissé que l’assistant de Robert Fowler serait mis à mort dès que j’aurais quitté les lieux. J’ai donc dit ceci à Belmokhtar: "Je ne partirai que si tu prends l’engagement de n’exécuter aucun de tes prisonniers." Après concertation avec ses proches, il a accepté.

Quand nous parlions, Mokhtar Belmokhtar ne me regardait jamais dans les yeux. Et il avait cette manie de manie de saisir des brindilles et de les casser entre ses doigts. Un jour, je l’ai vu pleurer devant moi, lorsque je lui ai parlé de son enfance et de ses parents. Son père et sa mère lui avaient, semble-t-il, été envoyés par les services de sécurité algériens. "Ils m’ont demandé de l’aide, m’a-t-il confié, mais je n’ai rien pu faire pour eux. Depuis que j’ai quitté mon pays pour le Djihad en Afghanistan, je n’ai jamais eu un centime à moi. Je ne fais que gérer les fonds de la Guerre sainte, dont je ne suis nullement le propriétaire."

Par Vincent Hugeux

source: lexpress.fr


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