Le petit homme s’accroche à son bâton, balbutie, tremble de peur. Dans cette vallée perdue au nord de Gao, il est interrogé en tamashek (langue des Touareg) par des soldats maliens, soupçonné de liens avec des jihadistes de la région conquise par l’armée française.
Ibrahim Ould Hannoush, qui ne connaît pas son âge, se dit berger dans l’oued Inaïs, à cent kilomètres au nord-est de Gao, la plus grande ville du nord du Mali. Il vit avec les siens dans cette région semi-désertique, que l’état-major de l’opération française Serval considère comme une base logistique importante pour les jihadistes du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao). Pour les soldats et gendarmes maliens, aucun doute, c’est un jihadiste. "Il connaît quelque chose sur les terroristes ?", demande le gendarme à la peau très noire. Le soldat touareg des Forces spéciales maliennes, à la peau blanche, traduit la question, Ibrahim tremble davantage. "Il dit qu’il en a vu trois passer en moto hier, que même les Français les ont vus..." Un peu à l’écart, l’adjudant-chef Alo Mazzak Agnamaka, des Forces spéciales maliennes, le regarde méchamment. "Même s’il n’a pas pris les armes, il est complice", dit-il. "Dans cette vallée, impossible de dire que l’on ne sait rien". "Selon lui, où sont-ils partis ?" "Par là ", dit-il en montrant l’Est. "Il y a trois jours, dans cinq véhicules, ils sont passés par ici..." "Wallaou (je vous assure, ndlr) ! Il ne peut rien dire", marmonne l’adjudant dans son chèche. "Ce n’est pas la peine de se fatiguer, personne ne peut parler. Ils sont tous ensemble, dans le même bateau". Dans cette vallée de vingt kilomètres de long et deux à trois de large, où l’autorité de l’Etat malien ne s’est jamais vraiment exercée, le millier de soldats français engagés en force depuis dimanche dans l’opération "Gustav" a découvert de nombreuses caches de munitions, souvent de gros calibre, du matériel, mais très peu d’armes. Les forces françaises comptent sur les témoignages de la population, des pasteurs semi-nomades touareg, pour détruire au maximum la logistique du Mujao dans la vallée, mais sans se faire trop d’illusions. Dans une région peu peuplée, où tout le monde se connaît et s’épie, où tout se sait, où aucun mouvement ne passe inaperçu, il peut être mortel d’être vu parler aux "infidèles". "Le Mujao reviendra" "Je prends un risque à m’adresser à vous en plein jour", dit à l’AFP un jeune homme qui ne veut être identifié que par son prénom, Mohammed. "Les Français sont là , c’est bien, mais ils vont vite repartir. Le Mujao reviendra, et ils sont très méchants". "Quand ils étaient dans les bois, dans le fond de l’oued par là , ils arrêtaient tous les gens qu’ils voyaient passer près de leurs campements. Un jour, ils ont attaché mon petit frère une journée entière dans un arbre, sans rien à boire, pour lui faire avouer qu’il était venu les espionner. Ils savent tout ce qui se passe ici". Impressionné par les questions et les menaces des gendarmes, Ibrahim Ould Hannoush finit par dire d’une voix à peine audible qu’il connaît peut-être l’emplacement d’une cache d’essence. Il est embarqué dans un blindé français, nourri, rassuré. Une patrouille d’une dizaine de véhicules fortement armée se rend dans un secteur aride de la vallée. Mais sur place, il n’est plus sûr, dit qu’il y avait des arbres, puis des pierres... Puis qu’il a "un peu oublié". "Un jeune homme nous a dit hier que quand ils venaient s’approvisionner, les gars du Mujao frappaient les gens", dit un officier français, le capitaine Cyril (il n’accepte de révéler que son prénom). "Il faut les comprendre, ils sont terrorisés". Un autre villageois, qui veut rester anonyme, assure que "les jihadistes passaient souvent la nuit, en colonnes de quatre ou cinq Toyota, phares éteints. Ils venaient remplir les bidons au puits, parfois acheter de l’huile, du sucre et du thé". "Acheter, tu parles... Dans cet oued, ils en sont tous", murmure en retournant à son pick-up l’officier touareg. "Sans les Français, dans deux semaines nous ne pourrons pas approcher d’ici à deux kilomètres... Ils seront à nouveau plus nombreux et mieux armés que nous". Cette vallée perdue et désertique au nord-est du Mali, à l’écart de la piste trans-saharienne, avait depuis des semaines été repérée par les services de renseignements comme une importante base logistique des insurgés islamistes. "On les voyait venir, rester un peu, charger, repartir" explique, dans son QG de Gao, le général Bernard Barrera, chef de la brigade Serval, qui a commandé l’offensive. "On s’attendait peut-être à des accrochages, mais le but était avant tout de vider la soute, d’anéantir leur logistique". Le 7 avril à l’aube, l’armée française s’est déployée en force: 800 hommes, 150 blindés, une couverture aérienne totale. Mais quand ils ont fermé la nasse, elle était vide d’ennemis qui, prévenus ou prudents, avaient quitté les lieux plusieurs jours auparavant. La force française était prête à l’affrontement, dotée d’une puissance de feu impressionnante, terrestre et aérienne, qu’elle n’a pas utilisé. "Nous avions laissé ouvert un étroit échappatoire" précise, dans la vallée d’Inaïs, au quatrième jour de l’opération, un officier supérieur. "Si vous fermez une boîte et appliquez une pression de tous côté, elle vous explose au visage. Il faut laisser une issue. Il y avait une sortie que les hélicoptères de l’Alat" (Aviation légère de l’armée de terre) "surveillaient de près. Le moindre pick-up rempli d’hommes en armes aurait été détruit". Un vent de sable "leur a peut-être permis de s’exfiltrer, mais de toutes façons nous pensons qu’ils étaient partis quelques jours auparavant", ajoute le général Barrera. 18 tonnes de munitions "Ils sont peut-être renseignés, ou ils se méfient... Ils ont compris qu’ils ne peuvent plus rester groupés sur le terrain. Dès qu’ils voient ou qu’ils savent que des unités françaises ou même maliennes vont bouger, ils se dispersent, nous évitent", selon lui. Les insurgés ont compris qu’avec l’extraordinaire capacité d’observation aérienne de leur ennemi, il ne leur est plus permis d’aligner plus de deux pick-up, sous peine de devenir une cible détruite par une foudre invisible tombée du ciel. L’état-major de l’opération française Serval est tout de même satisfait: le ratissage de la vallée a permis la découverte de 18 tonnes de munitions, dont 700 obus, 51 roquettes, 16 bombes d’avion, 17 caisses de munitions. Peu d’armes légères (une vingtaine de fusils d’assaut): les jihadistes les ont soit emportées avec eux, soit enterrés dans des lieux que les sapeurs français n’ont pas découvert. Ils semblent avoir abandonné sur place les caisses les plus encombrantes, des munitions pour armes lourdes qu’ils utilisent peu. Trois 4x4 ont été découverts, à moitié enterrés et cachés par des bâches: deux ont été détruits, un emporté pour être remis à l’armée malienne. Dans les recoins les plus boisés du fond de l’oued, des traces de campements, des preuves de bivouacs par dizaines. "Nous pensons qu’il pouvait y avoir dans la vallée quelques dizaines d’hommes du Mujao, tout au plus. C’était leur reliquat dans la région", précise le général Barrera. "Ils ont filé en moto, en dromadaire, en véhicule". En dépit du retour en France des premiers soldats de l’opération Serval, les offensives vont se poursuivre dans la région de Gao et le Nord du Mali, assure l’officier français. "Les opérations vont continuer. Ce sera différent", dit-il. "On pourra faire aussi important, dans une autre vallée, ou plusieurs opérations plus restreintes, dans d’autres secteurs. Mais nous serons toujours là ... Moins nombreux peut-être, mais toujours là . Et avec des moyens aériens, hélicos et avions, redoutables..."(Afp)
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