L’Affaire Abou Zeid et Belmokhtar: Des questions et des réponses   
09/03/2013

Depuis plus d’une dizaine de jours, l’affaire de la mort annoncée des deux chefs djihadistes au Nord Mali fait l’objet d’échanges salés entre Idriss Deby et les autorités françaises. Tour à tour, aussi bien le Chef d’état-major des forces Armées françaises que le Ministre de la défense ont exprimé leur irritation, leur agacement...



...devant les déclarations de Deby. «Une rumeur répétée à l’envi ne fait pas une info», «Nous demandons des preuves tangibles de ce qu’il avance » a t-on martelé.
Alors qu’en est-il exactement? Que sait-on réellement du sort des chefs djihadistes? 

Tout d’abord, il faut savoir que l’Armée française n’est pas entrée dans cette guerre, le jour où le Président par intérim du Mali, Diacounda le lui a demandé. Cette guerre au Mali a été sérieusement préparée de longue date, et tout était fin prêt quand le coup d’envoi a été donné.
Cela veut dire que les officiers français aidés par les Américains et les Algériens ont amassé une tonne d’informations sur ceux qui ont occupé le Nord Mali, avant de lancer cette guerre. Cela veut dire aussi que les capacités militaires des djihadistes étaient connues et parfaitement maîtrisées bien avant les combats.
Constatons que l’Armée française a perdu 4 hommes dans cette « guerre", cela permet de comprendre qu’elle savait que l’utilisation des hélicos et des mirages lui permettrait de venir à bout des djihadistes et par conséquent de limiter considérablement les pertes humaines. Et ce n’est pas, par hasard, que le Président François Hollande a annoncé le commencement du retrait des forces françaises pour le mois de mars ou avril, même s’il va falloir désormais agir pour empêcher la réoccupation de ces massifs par les djihadistes. Verra-t-on l’ouverture d’une base militaire française dans cette région et /ou d’une base américaine côté Mauritanie puisque le Haut Commandant de l’AFRICOM, le Général américain HAM est, présentement, en Mauritanie pour superviser des entraînements militaires des forces américaines et autres au Nord Est, à la frontière avec le Mali.
Au Nord Mali, dès le déclenchement des hostilités, a débarqué à Bamako, une équipe de responsables des services Algériens. Des hommes qui ont longtemps traqué les chefs djihadistes, tous algériens, par ailleurs. Ces Officiers algériens, intéressés au plus haut point par la guerre au Mali, travaillaient étroitement avec les militaires français à l’identification de tous les djihadistes tués ou capturés. Pour l’Algérie, c’est une question primordiale de sécurité intérieure.
Première information : il semble que les mouvements Touaregs aient bien confirmé la présence au Nord Mali des chefs djihadistes, Abou Zaid et Ben Mocktar, au moment où la guerre a été lancée.
Seconde information : la localisation de la zone de repli et des bases-arrière a été faite de manière précise par les drones américains. Des mirages ont, alors, intervenu et effectué des tirs par un guidage laser sur des cibles précises. Un groupe de djihadistes ont été tués. Comme l’exigeait la procédure, les corps ont été transportés dans un site militaire pour identification par les forces françaises. Les Officiers Algériens ont alors émis l’hypothèse que l’un des corps serait celui d’Abou Zaid, et ceci à cause de son arme personnelle, identifiée et retrouvée à côté d’un corps. Le corps ayant été déchiqueté, une identification formelle n’a pas été possible sur place.
Aussi, des prélèvements sur le corps ont été effectués à la fois par les militaires français et les Algériens. Les Algériens devaient donc comparer ces prélèvements avec ceux des membres de la famille d’Abou Zaid en Algérie. Quel a été le résultat de ces tests ADN ? Officiellement, l’Algérie ne s’est pas prononcée, elle cherche à garder une position très en retrait dans cette guerre du Mali.Certaines sources françaises laissent entendre que ces résultats n’ont rien donné.
Selon les informations sur le comportement des chefs djihadistes, ceux-ci ne se séparaient jamais des otages ; ils les tenaient toujours à proximité d’eux. N’ayant pas trouvé les otages dans l’une des bases-arrière, les militaires français estiment qu’ils auraient pu être déplacés par les chefs djihadistes vers une autre base arrière. C’est une hypothèse plausible.
Comment peut-on expliquer l’entrée en scène de Deby?
Tout d’abord, les effectifs de l’Armée tchadienne sont importants dans la zone ; de plus, aussi bien les Officiers maliens que tchadiens ont bien constaté l’effervescence et le brusque intérêt des militaires français et algériens sur une des dépouilles transportées sur le site militaire, plusieurs personnes prenaient des photos. Deby est informé, on lui dit aussi que les gens, ici, pensent que cela peut être Abou Zaid. Il harcèle l’état-major français de questions, mais on lui demande de la prudence et qu’on ne peut pas en faire cas tant que les tests ADN ne sont pas arrivés.
Les Algériens sont, à leur tour, interrogés par Deby, ils dégagent en touche et lui disent que les résultats sont toujours attendus. Ce qu’il faut comprendre dans l’attitude d’Idriss Deby, c’est qu’il affrontait, au même moment, l’émotion suscitée par les pertes importantes de l’Armée tchadienne dans cette guerre au Mali. Une immense vague de désapprobation populaire mais aussi au sein de l’armée traversait le pays, à tel point qu’il dût demander un défilé de tous les corps constitués pour affirmer leur soutien à l’envoi d’hommes au Mali. Aussi, a-t-il voulu considérer que la mort des chefs d’AQMI était un trophée pour les soldats tchadiens tombés sur le champ de bataille. Par rapport à l’opinion nationale, cela lui permettait de dire que ces fils du pays ne sont pas morts pour rien. Une espèce de compensation psychologique. D’où la volonté de récupération par l’annonce de la mort des chefs djihadistes. Il avait compris que les autorités françaises ne voulaient pas communiquer, du moins pas encore, compte tenu du sort des otages. Une annonce de la mort des chefs pourrait mettre en danger la vie des otages si ceux qui les détiennent, apprenaient que leurs chefs avaient été tués.
Tout le monde avait compris que les autorités françaises avaient, à ce stade, des préoccupations plus importantes; AQMI était en train de perdre la guerre, dès lors, s’il y a une chance de récupérer les otages, il fallait la saisir. Pour ce faire, il fallait mettre en sourdine l’affaire de la mort des chefs djihadistes.
Seulement voilà, Idriss Deby a cru que c’était une occasion rêvée pour tenter une manipulation politique. Abusant de sa situation d’allié sur le terrain et forcément au courant de certaines choses, il est revenu sur l’information de la mort des djihadistes en y insistant, démontrant par là même que les préoccupations des autorités françaises ne sont pas les siennes ; il lui fallait tirer profit d’une situation précise qui obligeait les politiques et militaires français à une certaine rétention de l’information.
Ce qu’il faut avoir présent à l’esprit, c’est qu’Idriss Deby est en train de gérer la guerre au Mali et tous ces événements à des fins de récupération personnelle. Ainsi, l’idée d’y envoyer son fils adoptif, qui n’a jamais participé à des combats – par exemple, ceux qui ont eu lieu avec les rébellions – est une façon d’être là, d’y être cité sans être présent. Une récupération de plus. La mise en avant de ce fils traduit aussi une méfiance et le refus de valoriser les compétences et les qualités des autres Officiers de l’armée tchadienne sur le plan national et international ; c’est cette même logique qui explique que, depuis 22 ans, qu’il est au pouvoir, il a soigneusement refusé d’envoyer des Officiers en formation à l’Ecole de guerre. Aussi réduire, l’image des militaires tchadiens à celle de son fils adoptif qui n’a jamais été en opération militaire, est vraiment une gifle à tous ceux qui se sont sacrifiés pour le maintenir au pouvoir, enrichir outrageusement, lui et son clan (pas seulement par l’accaparement des ressources nationales, mais aussi par le prix du mercenariat, par exemple les diamants du Zaïre et de la Centrafrique, pour ne citer que ceux-là). Les militaires tchadiens apprécieront.
Rappelons aussi, que le gouvernement tchadien s’était plaint d’un manque de visibilité médiatique de sa participation à la guerre au Mali et ce très rapidement, dès le lancement de la guerre. Autrement dit, la visibilité médiatique était bien ce que recherchait Deby par l’envoi du plus gros contingent. Sa frustration est restée et quand l’information sur les chefs djihadistes est arrivée, il a estimé qu’il tenait sa revanche sur les médias et malgré les demandes des autorités françaises de ne pas en faire état pour donner plus de chance aux otages, il a foncé. Il n’était plus question d’allié mais de gloriole personnelle, et il décida de jouer en solo.
Enfin, à qui peut-on attribuer la mort des chefs Abou Zaid et de Ben Moctar?
Les Algériens, les Touaregs du MNLA et les Français ont la même version ; ils donnent les mêmes dates, le même lieu, et les circonstances suivantes à savoir un intense bombardement, des tirs par guidage laser à partir de Mirages. Le Tchad a la sienne propre, un lieu différent, une date différente, et des circonstances différentes. Force est de constater qu’Idriss Deby ne donne pas de précisions, tout au plus a t-il précisé, lors de sa dernière sortie « les chefs tués ont été enterrés.» remarquons que, cela n’empêche pas de donner des détails pour conforter sa version.
Un humoriste avait caricaturé la position de Deby en l’imitant comme suit : «J’ai enterré les chefs d’AQMI ! Où cela ? Mais dans la mer ! Comment cela dans la mer ? Il n’y a pas de mer au Mali ! En tous cas, c’est ce qu’on a fait, comme les Américains ont enterré le chef d’Al Qaïda, Ben Laden dans la mer. On a fait comme eux !».
La vérité est certainement entre les deux versions.
Dans ce dernier quart de la guerre au Mali, des moyens importants sont déployés dans ces massifs, base-arrière importante, localisée par l’existence de points d’eau photographiés par les satellites mais aussi par les drones. Ce sont des interventions aériennes mais aussi terrestres qui voient intervenir des chars, l’artillerie lourde, des hélicos ; ensuite, il faut que l’infanterie y va, grimpe dans les montagnes et là les Tchadiens sont présents sur site, car, il faut aller chercher ceux qui n’ont pas été touchés et qui ne se rendront pas.
Selon les Algériens, compte tenu de l’état du corps présumé d’Abou Zaid (mains arrachées etc.) il aurait été touché gravement par des fragments d’un des nombreux tirs de missiles effectués par les Mirages.
N’eurent été les inquiétudes sur le sort des otages, nous aurions déjà eu le storytelling de l’assaut sur la base des djihadistes et l’anéantissement des chefs Abou Zaid et Ben Moctar par les médias français. Les Autorités françaises garderont le profil bas sur leur rôle dans la mort présumée des chefs djihadistes tant que le sort des otages ne sera connu ou dévoilé à l’opinion.
Les groupes djihadistes ont pour habitude de ne pas dissimuler la mort de leurs responsables, mais aujourd’hui, l’enjeu est différent, dans la mesure où leurs hommes sont en guerre, confirmer la mort des chefs, c’est démobiliser leurs hommes et casser leur moral.
Nous disions plus haut que les chefs djihadistes ne se séparaient jamais des otages, ils voulaient quelque part, lier leurs sorts respectifs. Ironie du sort, même très vraisemblablement morts, ils continuent de peser sur le sort des otages, ce que ne semble pas vouloir comprendre Idriss Deby.
Source: Zoomtachad.


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