Bien que le déroulement tactique de la guerre au Mali montre une avancée « victorieuse » des troupes françaises, la réalité stratégique est toute autre. Certes, cette intervention a sans doute changé le rapport de forces sur le front mais cela ne changera pas pour autant la donne...
...sur le terrain réel où se déroule la vraie guerre, celle alimentée par un « cocktail » de combustibles socioéconomiques accumulés localement et sur lesquels souffle le vent nord du printemps arabe doublé de la vapeur d’une « Quaida » saignante déboussolée. Il est de la pire naïveté de voir la problématique du nord du Mali sous l’unique et étroit angle du terrorisme. Une remontée dans l’histoire récente de la zone permet de retracer le portrait de ce problème multidimensionnel dont certains dirigeants et analystes banalisent l’ampleur, en le décrivant comme étant un conflit entre le « bien » ; l’Etat de droit d’une part, et le « mal » ; les insurgés, les « Salafistes » et les narcotrafiquants, d’autre part. Bien avant l’avènement d’Alquaida et le développement du trafic de la drogue, un mal malien poussait incessamment dans le nord du pays. Comme dans tous pays où la répartition ethnique ne s’aligne pas sur la délimitation géographique, l’existence d’un commun vivable n’est pas toujours évidente. L’amère épreuve du Soudan en constitue une preuve vivante. Le Mali, dont le nord constitue un territoire Arabo-Touareg par rapport à un sud essentiellement peuplé par des ethnies Bambara, Soninké et autres populations négro-africaines, est très tôt tombé dans le piège d’une composition sociopolitique imposée par le besoin de gérer l’après-colonialisme. Comme l’avait dit une fois le roi Hassan II, les colonialistes ont tracé les frontières entre les pays Africains en utilisant la règle mais sans aucune règle. Ainsi, de grande tribus et ethnies se sont trouvées dispersées entre plusieurs territoires « souverains ». L’aboutissement de cette série de « retouches » colonialistes était un mélange de races, de cultures, de religions et de haines, toutes dispersées aveuglement, d’une manière aléatoire mais visiblement structurée pour une fin stratégique ; que ces pays restent en conflits internes éternels, ce qui les obligerait ultérieurement d’avoir recours à l’ancien « maître » colonialiste. Pendant plusieurs décennies, le sud est resté le centre politique et économique au détriment du nord. Les régimes qui se sont succédé au pouvoir n’ont pas accordé l’attention qu’il faudrait à cette partie du pays. Les dirigeants du pays ont continuellement « mis leurs têtes dans le sable » du nord, et les élites touarègues ont, à leur tour, maintenu les leurs couvertes. Courir vers l’avant, retourner aux racines, deux attitudes entre lesquelles le « trou noir » de l’espace Malien se creusait profondément à mesure que le temps passait, et ce sous les yeux entrouverts de l’ancienne puissance coloniale qui voyait la structure fragile de son ex-colonie se détruire à petit feu. Il est vrai que la doléance du nord, bien que justifiée dans son contexte originel, a toujours suscité aux yeux des autorités centrales une crainte majeure. L’idée de voir une partie du territoire séparée du reste du pays était tout simplement intolérable. En outre, les touaregs se trouvent aussi au Niger en Algérie, en Mauritanie, au Tchad, et en Libye. C’est la présence massive de cette communauté dans le nord malien qui leur a donné une certaine dominance, faisant d’eux les porteurs du flambeau de revendication de l’autonomie. Mais cette apparence cache en réalité l’existence d’autres composantes socio-ethniques vivant au nord Mali. La répartition faisant de la majorité des touaregs des minorités dans leurs ’’pays d’accueil’’ complique davantage le problème du nord malien, car les pays voisins craignent de voir leurs composantes touarègues réclamer l’autonomie voire la séparation, même si cela n’est pas envisageable pour le moment. Une décentralisation en termes de répartition géographique des touaregs bien évidente, une décentralisation en termes de développement mal réussite : deux concepts de décentralisation qui se sont combinés pour former le nœud central du problème malien. La première a provoqué l’implication passive mais parfois aussi active de certains voisins dans le problème, la seconde a suscité le recours aux armes. Aux facteurs précités s’ajoute un détail de taille : l’immensité du territoire malien. Des milliers de kilomètres délimitant un vaste désert dont le contrôle constitue un défi majeur, surtout pour un pays comme le Mali. C’est dans cet espace incontrôlable et non contrôlé que s’est installé un système chaotique, constitué d’une mosaïque de groupes d’insurgés, de trafiquants et de soi-disant Djihadistes, entre lesquels s’est tissée une relation d’interdépendance, dictée par le partage du même territoire, et traduite dans une mutualisation des risques. Ainsi, les armes sont devenues à la fois un outil de guerre et une monnaie courante, dans une « économie » où les « agents » s’entretiennent occasionnellement, s’entrainent continuellement et s’entretuent fréquemment. Si la nature a horreur du vide, au Mali l’horreur a totalement rempli la nature. Dans cet amalgame d’objectifs, de causes et de réclamations idéologiques, la cause du nord malien s’est progressivement vidée de sa substance ! Les « new comers » à l’«Eastern » sahélien ont farouchement abusé de la situation du pays pour imposer leurs règles de jeu. Dans cet environnement effervescent, la coexistence a obligé certaines composantes du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MLNA) de rentrer dans des alliances avec des branches d’AQMI opérantes sur le territoire malien. Une seule goutte suffisait donc pour faire déborder le vase malien pleinement rempli du fait de la corruption dans son demi sud et de l’éruption dans son demi nord. Cette goutte s’est concrétisée en un coup d’Etat conduit par un « Dadis » malien « modéré » qui a soudain mis ses rangers dans le plat, pour s’égarer ensuite dans les couloirs du pouvoir comme un éléphant brisant la « porcelaine », encore fragile, d’une démocratie chère au maliens. Plusieurs donc sont les facettes du mal malien dans lequel se mêlent plusieurs éléments internes et externes. S’inscrivant dans un cadre d’urgence, l’intervention « chirurgicale » conduite par l’armée française ne sera pas de nature à changer profondément les choses. Elle n’est survenue que lorsque la capitale Bamako était menacée et après que la moitié du pays ait été déjà hors du contrôle des autorités centrales. Il semble aussi que le choix du temps de l’intervention pourrait avoir une interprétation politico-électoraliste, surtout dans un contexte de stagnation en termes de popularité chez les socialistes. L’intervention, dans une certaine mesure, pourrait s’inscrire dans le cadre d’une stratégie médiatique à l’américaine reposant sur un « Eastern » Sahélien dans lequel le « camelboy » français viendrait d’une manière héroïque au secours de son camp de partisans paysans. Mais si les « malfaiteurs » sahéliens vont finir par être chassés, ils seront de retour dès que le « camelboy » rentrera chez lui. Le train de libération du territoire malien dont la locomotive est purement française risque de dérailler laissant derrière lui le reste de ses modestes wagons West-africains dispersés dans le désert de l’Azawad. La solution ne pourrait être envisagée que dans le cadre d’une approche globale, qui tienne compte de toutes les composantes du problème malien. En urgence, la meilleure formule serait une réhabilitation de la souveraineté de l’Etat malien, suivie d’un processus de réconciliation nationale pouvant aboutir à un consensus sur la méthode la plus adéquate pour partager le pouvoir politique et les fruits du développement. Il n’y aura pas de bâton magique, ni de carotte magique ; le premier ne ferait pas fuir les ’’Aqmistes’’ et la seconde ne suffirait pas pour faire surfer les ’’Azawadistes’’ sur les mêmes longueurs d’onde que l’Etat Français et son régime « sous-traitant »local. Si la France a réussi son coup de bâton aérien, l’expérience en Afghanistan porte à croire que le retour du bâton terrestre terrifiant des ’’Aqmistes’’ serait plus douloureux, surtout dans une zone d’intérêts prioritaires pour l’ancienne puissance coloniale. L’enlèvement de ressortissants Français errant dans la sous-région ne serait qu’un petit signe de ce que pourrait être une vengeance froide, aride, structurée et orchestrée par les nouveaux « maestros » du vide sahélien où le Kalache rythme la danse avec les loups du désert. Force est de constater que cette guerre ne va guère faire tourner le vent sahélien au gré du moulin français, récemment réveillé par une présence de l’aigle américain, survolant régulièrement un territoire autrefois ’’outremeriste’’, cher aux dirigeants de l’Hexagone. Cette guerre ne démasquera pas le visage du tabou ’’Azawadiste’’ et ne couvrira pas non plus la calvitie du pouvoir central dépouillé, du fait de la corruption, de toute plume de crédibilité. Mais elle fera sans doute plonger la machinerie militaire française et ses apprentis West-africains dans un océan de sable sans horizon. C’est juste le symptôme qui a été traité par cette intervention. Quant à la source réelle du mal malien, elle restera, tout au moins dans le temps actuel, loin de la portée du « chirurgien » français et ses « infirmiers » West-africains qui, étant mal formés et peu informés, réagissent comme des moutons de la panurge.
Abdallahi Ould Mohamed abdallahi27@yahoo.fr
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