Pour les familles des otages français en Afrique, la souffrance de l’être absent le dispute au manque d’influence sur le grand marchandage entre ravisseurs et autorités, prises parfois comme bouc émissaire. Pour certaines, le compteur a dépassé les 1.200 jours.
D’autres cocheront bientôt les dix premiers jours de captivité: pour toutes les familles, c’est la peur du silence et l’attente de la libération. Mercredi, l’une a livré son désarroi. "Je vis dans l’angoisse. Je n’écoute plus la radio, ne regarde plus la télé, je ne sais pas dans quel état il est", a dit Anne-Marie Collomp, épouse réunionnaise de Francis Collomp enlevé le 19 décembre au Nigeria. "Le Quai d’Orsay nous dit qu’il s’en occupe, de ne pas nous inquiéter mais nous sommes loin et n’avons aucune nouvelle". Le même jour, une autre famille, celle de Pierre Legrand, enlevé depuis plus de deux ans au Sahel, tenait un point-presse après un message des ravisseurs demandant au gouvernement de dialoguer. "C’est une vidéo qui redonne de l’espoir", a dit le père, Alain Legrand. "En tant que famille d’otage, on est dans l’impuissance la plus totale", tempérait la mère, Pascale Robert. Ce message faisait suite à une vidéo d’un frère de Pierre Legrand destinée à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), exprimant son exaspération de ne rien voir bouger. Lors d’un rapt, il revient au centre de crise du ministère des Affaires étrangères de localiser et informer la famille si elle ne l’a pas déjà été. Il essaye dans la foulée d’identifier dans la famille un ou deux correspondants à qui sont donnés un ou deux numéros de portable d’agents dédiés à l’affaire. "L’idéal c’est qu’il n’y ait dans chaque famille qu’un seul correspondant, qui se charge ensuite de répercuter les informations. Très souvent, la réalité fait qu’il y a deux, voire trois correspondants, avec des visions différentes, car les enlèvements fonctionnent comme révélateur de tensions au sein des familles", relate un connaisseur du dossier.
Huis clos
Face à l’enlèvement, ces familles réagissent différemment. Certaines constituent des comités de soutien, d’autres désignent un porte-parole. Plus rares sont celles qui choisissent le silence presque absolu, comme celle d’un agent secret enlevé en Somalie le 14 juillet 2009 par des insurgés islamistes, le plus ancien des otages français en Afrique. Sur la communication, les familles "font ce qu’elles veulent", à la condition toutefois qu’elle s’effectue de "façon responsable, sans compliquer davantage les choses", assurent les autorités. Jusqu’à présent, elles sont "assez lucides" et agissent "en parfaite intelligence" avec les fonctionnaires chargés de leur dossier, toujours prévenus au préalable, selon ces sources. Au quotidien, le centre de crise du Quai d’Orsay est amené à gérer parfois des critiques sur un manque de transparence de tel ou tel deuxième cercle de proches. "Le lien est permanent, le jour, la nuit, avec les correspondants" des familles, se défend-on au ministère, en se targuant d’avoir un service qui en "fait beaucoup" par rapport à d’autres pays dans le monde. Dans ce cadre, il joue un rôle de "guichet d’administration", sollicitant préfectures ou mairies, envoyant ici un psychologue, là une aide sociale. Les négociations entre ravisseurs et autorités sont à huis clos et les familles en sont exclues. "Pour mener des négociations, il faut s’appuyer sur des réseaux, des personnes fiables et cela prend beaucoup de temps". Les intermédiaires "négocient aussi leurs propres avantages, donc ça rend les choses très compliquées", résumait cette semaine sur RTL Pierre Camatte, ex-otage d’Aqmi. Interrogé jeudi, le président François Hollande a estimé qu’il ne fallait pas donner de "crédibilité" à la parole des ravisseurs. "Des contacts (avec les ravisseurs, ndlr), il y en a, et ce n’est pas la parole des ravisseurs qui peut être aujourd’hui la parole crédible", a-t-il ajouté, insistant: "la meilleure des façons pour sortir nos ressortissants des mains qui les ont capturés est de rester le plus discret possible et de ne pas rentrer dans je ne sais quel débat". Neuf français sont retenus en otages à l’étranger, tous sur le sol africain. parmi les neuf otages, au moins six sont détenus par Al-Qaïda au maghreb islamique (Aqmi).
Mardi 25 décembre, dans une vidéo publiée par l’agence de presse mauritanienne en ligne sahara medias, Abdel Hamid Abou Zeid l’un des chefs d’Aqmi a accusé le gouvernement français de bloquer les négociations que l’organisation dit avoir proposées pour la libération des quatre otages français enlevés en septembre 2010 au Niger. "L’arrêt des négociations et leur blocage total relèvent de la responsabilité de la France, quant à nous, nous sommes pour les négociations et nous l’avons dit aux français voici un an déjà ", affirme dans cette vidéo de quatre minutes Abou Zeid. "La France n’a pas daigné répondre jusqu’à présent à notre offre de dialogue", ajoute-t-il. Les Français otages à l’étranger Neuf Français sont retenus en otages à l’étranger, tous sur le sol africain. Parmi les neuf otages, au moins six sont détenus par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) au Sahel.
- SOMALIE Depuis le 14 juillet 2009, plus de trois ans, Denis Allex, un agent de la DGSE (services du renseignement), est détenu en Somalie par des insurgés islamistes. Il avait été enlevé avec un autre agent qui a lui recouvré la liberté en août 2009. Denis Allex apparaît en juin 2010 dans une vidéo sur des sites islamistes où il presse la France de cesser tout soutien au gouvernement somalien. Le 13 juillet 2012, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, assure qu’il est en vie. Le 4 octobre 2012, Denis Allex apparaît, pâle et les yeux cernés, dans une vidéo où il lance un "message de secours" au président Hollande, qu’il presse d’oeuvrer à sa libération.
- NIGER Le 16 septembre 2010, au Niger, cinq Français, un Togolais et un Malgache collaborateurs du groupe nucléaire public Areva et de son sous-traitant Satom, sont enlevés à Arlit (nord), un site d’extraction d’uranium. Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) revendique le rapt le 21 septembre. La Française Françoise Larribe, malade, et les otages malgache et togolais sont relâchés le 24 février 2011. En avril 2011, Aqmi diffuse une vidéo où les quatre otages restant "supplient" le président de l’époque, Nicolas Sarkozy, de retirer les troupes françaises d’Afghanistan. Le 25 mars 2012, le ministre à la Coopération Henri de Raincourt assure que les otages "sont en vie". Le 8 septembre, un site privé mauritanien publie une vidéo tournée le 29 août dans laquelle les otages appellent à négocier pour leur libération. Le 8 décembre, Clément Legrand, le frère d’un des quatre otages, s’adresse aux ravisseurs dans une vidéo dans laquelle il affirme: "Nous ne comprenons pas pourquoi tout est bloqué". Le 25 décembre, Aqmi accuse le gouvernement français de bloquer les négociations dans une vidéo publiée par l’agence de presse mauritanienne en ligne Sahara Medias. Aqmi affirme que "les otages sont jusqu’à présent vivants". Le 26 décembre, la France exige "la libération sains et saufs" des Français.
- MALI Dans la nuit du 24 novembre 2011, Serge Lazarevic et Philippe Verdon, en voyages d’affaires selon leurs proches, sont enlevés dans leur hôtel à Hombori, dans le nord-est du Mali. Le 9 décembre, Aqmi, qui a revendiqué l’enlèvement, publie leurs photos. Dans une vidéo tournée en février 2012, les deux otages demandent au président Sarkozy de tout faire pour dénouer leur situation. Le 10 août 2012, le site mauritanien Sahara Medias publie une vidéo dans laquelle Philippe Verdon parle de ses "conditions de vie difficiles". Le 20 novembre, un Français de 61 ans Gilberto Rodriguez Leal est enlevé par au moins six hommes armés dans l’ouest du Mali, près de Kayes, ville proche des frontières avec le Sénégal et la Mauritanie. Il circulait en voiture et venait de Mauritanie. Le 22, le groupe islamiste Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) revendique l’enlèvement.
- NIGERIA Francis Collomp, 63 ans, est enlevé le 19 décembre 2012 dans le nord du Nigeria par une trentaine d’hommes armés qui attaquent la résidence de la société pour laquelle il travaillait, dans l’Etat de Katsina, frontalier du Niger, tuant deux gardes du corps et un voisin. Le président François Hollande privilégie la piste des islamistes d’Al-Qaïda tandis que la police nigériane porte ses soupçons sur des employés de la société. Le 23 décembre, un groupe islamiste, Ansaru, revendique l’enlèvement et justifie notamment ce rapt par le rôle de la France dans la préparation d’une intervention militaire au Mali. Le groupe Ansaru, qui serait lié aux islamistes de Boko Haram, menace la France d’autres attaques sur ses ressortissants. Le 26 décembre, l’épouse de l’otage indique que son mari doit "prendre quotidiennement des médicaments" à la suite de problèmes cardiaques. (Afp)
|