Une ex-otage d’Aqmi témoigne un an après son rapt    
15/09/2011

Françoise Larribe, qui a été pendant cinq mois otage d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) au Sahel témoigne vendredi de sa captivité dans un hebdomadaire français, à l’occasion du premier anniversaire de son enlèvement, alors que 4 Français, dont son mari, restent otages.



Le 16 septembre 2010, sept étrangers étaient enlevés à Arlit, un site d’extraction d’uranium du nord du Niger: un cadre du groupe nucléaire français Areva et son épouse, tous deux Français, et cinq employés (trois Français, un Togolais et un Malgache) de son sous-traitant Satom. Le 24 février, la Française François Larribe, le Togolais et le Malgache avaient été relâchés. "Il y aura ce 16 septembre un an exactement... C’était vers trois heures du matin, nous dormions profondément. Tout à coup, des bruits violents... Daniel s’est levé d’un bond, il a compris immédiatement qu’un danger se profilait et couru vers la portée d’entrée. Puis j’ai vu des hommes armés de kalachnikovs", se souvient Françoise Larribe. Elle évoque les conditions de vie difficiles des otages, détenus dans le Sahel, entre Mali et Niger: "Une vie dure, peu d’abri pour se protéger du soleil alors que la température monte en cette saison à plus de 45 degrés. Seuls refuges de temps en temps, la maigre ombre d’un acacia ou le creux d’un rocher. La nuit, nous dormions à même le sol, sur le sable (l’idéal !) ou sur des cailloux et parfois sur une plaque de granit". "Nous voulions garder la tête haute. Otage peut-être, mais la tête haute! (...). Nous nous disions, Daniel et moi, que d’autres avaient vécu des situations bien pires que la nôtre (...). Concrètement, il s’agissait pour nous de ne rien lâcher face à nos ravisseurs et garder notre intégrité morale", explique-t-elle. "En fait, je ne suis pas libérée aujourd’hui. Il m’est difficile de faire le deuil de cet enlèvement, je n’arrive pas à passer à autre chose, c’est impossible tant que Daniel sera encore là-bas", souligne Françoise Larribe. Libérée en février dernier, Françoise Larribe a choisi de raconter ces mois de captivité dans "Réforme"..

 

Otage d’Aqmi dans le désert

Ne point trop en faire, rester discrète, ne pas étaler son angoisse ou sa peine… Françoise Larribe hésite encore, mais elle a accepté aujourd’hui de parler dans Réforme, six mois après sa libération et un an après son enlèvement. Il n’est pas question pour elle de s’épancher sur ses cinq mois et plus de captivité aux mains d’Al-Qaida au Maghreb islamique ou Aqmi d’autant qu’elle se préoccupe aujourd’hui avant tout du sort de son mari Daniel et de ses trois compagnons de captivité, Marc, Thierry et Pierre, toujours aux mains de ses ravisseurs. Si pendant sa détention ses pensées étaient toutes tournées vers ses filles, Marion et Maud, restées en France, elles sont maintenant habitées par la vie de Daniel, son époux... Son image de captif.


Dépouillement
Françoise, Maud et Marion souhaitaient que l’Assemblée du Désert réunie à Mialet, où leur famille a choisi de poser un jour ses valises, se souvienne de Daniel et de ses compagnons de captivité et les porte dans la prière. « Nous te prions pour Daniel qui traverse un désert d’angoisse qui semble sans fin… Â» Les quelques mots justes et émouvants du prédicateur Laurent Schlumberger ont répondu à leur attente.
Mais Françoise a manifesté aussi l’envie de parler aujourd’hui dans Réforme. Pour Daniel bien sûr, mais aussi pour témoigner avec pudeur de l’expérience de dépouillement et de foi que cette douloureuse aventure lui a apportée.
Daniel Larribe, ingénieur expert en technique minière, avait été appelé quelques mois auparavant à Arlit, au Niger, pour travailler au sein d’une des filiales d’Areva. Françoise et Daniel n’en étaient pas à leur premier séjour dans cette région d’Afrique qu’ils aiment passionnément.
Heureux sûrement de ce retour dans ce pays qu’ils affectionnent et entourés par leurs nombreux amis et collègues français et nigériens. Ils n’avaient pas imaginé ce qui allait se passer ce 16 septembre 2010. Récit.
« Il y aura ce 16 septembre un an exactement... C’était vers trois heures du matin, nous dormions profondément. Tout à coup, des bruits violents... Daniel s’est levé d’un bon, il a compris immédiatement qu’un danger se profilait et couru vers la portée d’entrée. Puis j’ai vu des hommes armés de kalachnikovs…Je n’ai pas eu le temps d’être effrayée, je n’avais pas conscience de ce qui était en train de nous arriver. J’étais pieds nus, en pyjama, j’ai quelque peu manifesté mon opposition en montant dans le pick-up qu’on me désignait. Tout s’est déroulé extrêmement vite, Daniel et moi nous nous sommes retrouvés allongés à l’arrière du véhicule… pour disparaître dans la nuit.
Nous avons été arrachés à notre vie, à nos habitudes en moins de trois minutes. Nous étions en pyjama. Nos ravisseurs nous ont tendu de nouveaux habits : longues tuniques et chèches. Une vie nomade, ponctuée de longs déplacements en pick-up, et souvent la nuit, a commencé.
Une vie dure, peu d’abri pour se protéger du soleil alors que la température monte en cette saison à plus de 45 degrés. Seuls refuges de temps en temps, la maigre ombre d’un acacia ou le creux d’un rocher. La nuit, nous dormions à même le sol, sur le sable (l’idéal !) ou sur des cailloux et parfois sur une plaque de granit.
En hiver, alors que les nuits étaient très froides, nous avons obtenu une deuxième couverture pour nous deux. Nous n’étions pas maltraités, presque considérés avec quelques égards. De fait, nous avons partagé la vie de ces hommes combattants du désert. Ils nous servaient exactement la même nourriture qu’eux, des repas frugaux, mais nous n’avons jamais eu faim. Impossible aussi de se laver dans le désert, nous n’avions que très peu d’eau pour cela, l’eau est en priorité réservée à la boisson et la cuisine. Mais si les conditions matérielles et morales étaient difficiles, nos ravisseurs n’ont jamais usé de violences physiques contre nous. Et nous ont toujours correctement traités.
Nous avons alors vécu au désert dans une vaste région aux paysages parfois somptueux entre Niger et Mali, un espace grand comme la France. Mais le plus éprouvant peut-être était de ne rien pouvoir faire, de ne rien posséder, ni livre, ni objet. Le dépouillement complet. Nous n’avions aucun rapport avec nos ravisseurs. Daniel a eu quelques échanges avec l’un ou l’autre, mais ils ne m’adressaient que très peu la parole.
Le pire était en réalité l’angoisse qui m’étreignait pour mes filles. J’imaginais leur terreur et leur désespoir permanents. Je pensais que ceux qui souffraient le plus de cette situation étaient nos proches, notre famille, nos amis, et puis aussi les collègues de Daniel...
Après plusieurs mois de cette situation-là, on tente même de ne plus penser à ses proches et à tous les siens, sinon, on ne s’en remet pas. Si je pensais à mes filles, je m’effondrais. À certains moments, malgré ma conviction qu’elles étaient prises en charge par ma famille, j’étais désespérée.
Dans ces moments, Daniel m’a tenu la tête hors de l’eau. Il m’a stimulée, portée, secourue, tentant toujours de mettre en lumière l’un ou l’autre élément positif de notre situation. Nous n’avons jamais été si proches qu’en ces moments-là. Il pensait qu’il m’avait entraîné "là-bas" et se sentait d’une certaine manière responsable de cette histoire improbable. Je l’ai vu dès le premier instant lorsque je suis monté dans le pick-up devant chez nous à Arlit, son regard était terriblement désolé en me fixant !
Si incroyable que cela puisse paraître, nous avons eu aussi des moments de "petits bonheurs" ou de joie très simples, parfois pour des choses insignifiantes mais qui portaient notre quotidien.

Prier Dieu
Je n’avais nulle envie de pleurer sur moi-même, ni de me plaindre, pas plus de demander à Dieu de nous délivrer. La prière de demande m’est en général plutôt insupportable. J’ai toujours l’impression de ne rien avoir à réclamer à Dieu, même si, en la circonstance, je priais pour mes filles.
Mais dans ce désert, j’ai le sentiment d’avoir découvert la prière. C’était comme un moment d’apaisement. Prier, c’est être en paix avec soi-même face à cet infini et à l’inconnu. Dans le silence face à moi, devant Dieu.
J’avais cette conviction que pas plus Dieu que moi n’avions prise sur ces événements. Je participais, comme tant d’autres, au malheur du monde, je faisais l’expérience de cette souffrance qui fait intégralement partie de la vie et contre laquelle on reste impuissant. Un mal qu’il nous faut accepter et essayer de dépasser si l’on veut continuer d’avancer et de vivre. Prier revenait simplement à tout remettre entre les mains de Dieu, j’étais entre ses mains, voilà tout.
Je me suis rendu compte que je ne me référais pas explicitement à Jésus-Christ, mais à Dieu et à son infini. Peut-être un effet de l’immensité du désert ?
Sur l’un de nos derniers lieux de vie, j’avais trouvé un morceau de bois mort. Je l’ai planté à côté d’une dalle de granit que Daniel avait dressée ; à la tombée de la nuit, c’était "mon lieu" de recueillement et de silence.
Je pense que ces temps de réflexion et d’abandon m’ont considérablement aidée et apaisée.
Ces moments me permettaient au moins d’être en paix avec moi-même et les autres. Nous n’avions rien, aucun livre quel qu’il soit, et j’ai dû passer des heures à me chanter et me souvenir des cantiques de la Réforme. J’ai retrouvé la première strophe de Confie à Dieu ta route, dont j’aime particulièrement le texte et la musique, ces paroles m’ont longtemps accompagnée.
Je suis persuadée que ma culture, mon éducation, mon bagage protestant et notre expérience du désert m’ont aidée tout au long de ces mois.
Et puis je savais pertinemment dans ces moments-là que nos amis et nos proches ne nous oubliaient pas et qu’ils accompagnaient avec toute la force de leur amour Marion et Maud, nos filles. J’ai découvert aussi combien l’on peut vivre dans le dépouillement complet, qu’il est possible de vivre, envers et contre tout, des moments d’harmonie avec très peu de choses… Parce que la vie continue, que l’on n’a pas le choix, et que l’on est porté par cette volonté de résistance.


Résister
Nous voulions garder la tête haute. Otage peut-être, mais la tête haute ! J’avais en mémoire le livre de Dietrich Bonhoeffer, Résistance et soumission. Je pensais en même temps à ceux qui avaient vécu dans les camps. Nous nous disions, Daniel et moi, que d’autres avaient vécu des situations bien pires que la nôtre… au moins étions-nous en plein air avec de l’espace et la nature autour de nous...
Cependant, comme ceux qui étaient enfermés dans les camps ou en prison, nous n’avions aucune possibilité d’action véritable, mais nous pouvions résister psychologiquement, moralement et spirituellement. Nous étions soumis à une situation d’otages qu’il fallait accepter, mais nous pouvions montrer une forme de résistance, du moins à nos propres yeux. Notre enlèvement était un acte arbitraire qui ne nous visait pas directement, mais il nous restait à accepter vaille que vaille cette situation terriblement difficile en essayant de la vivre et la dépasser le moins mal possible.
En rentrant, je me suis procuré ces lettres de prison de Bonhoeffer. Ces textes me parlent au plan de la théologie, ils mettent des mots sur les intuitions qui étaient les miennes. J’ai aussi réalisé le sens du « Résister » de Marie Durand à la Tour de Constance. Concrètement, il s’agissait pour nous de ne rien lâcher face à nos ravisseurs et garder notre intégrité morale. Par contre, il m’a été extrêmement difficile d’accepter ce moment où nos ravisseurs ont informé Daniel de ma possible libération. J’ai eu une réaction très violente, je ne voulais pas laisser Daniel. Tout s’est déroulé en quelques minutes. C’était violent, déchirant, trop rapide. Mais Daniel a su me dire les mots justes pour que notre séparation trouve son sens. Il est évident que de toute façon je n’avais pas à choisir, je me suis retrouvée embarquée dans un véhicule. Et plus tard libérée.
En fait, je ne suis pas "libérée" aujourd’hui. Il m’est difficile de faire le deuil de cet enlèvement, je n’arrive pas à passer à autre chose, c’est impossible tant que Daniel sera encore "là-bas". En attendant, Marion, Maud, notre famille, nos amis, les collègues de Daniel m’entourent et me soutiennent au quotidien par leur présence et leurs témoignages d’affection et d’amitié.

 

 


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