Peu connu hors des cercles djihadistes et des spécialistes du renseignement, Mustafa al-Yazid est pourtant un poids lourd d’Al-Qaïda, puisqu’il dirige les opérations du réseau terroriste sur l’un de ses fronts les plus importants: l’Afghanistan. Cet homme de 55 ans considère les Etats-Unis comme "l’empire du mal, qui mène les croisades contre les musulmans".
"Nous avons atteint le point où nous ne voyons aucune différence entre l’Etat et le peuple américains. Les Etats-Unis sont un Etat non musulman tendant à la destruction des musulmans’’, déclarait-il en juin 2008 dans un entretien à la chaîne pakistanaise Geo TV. Il y apparaissait coiffé d’un turban blanc, portant la barbe et des lunettes rondes. Deux responsables américains du contre-espionnage s’exprimant sous le couvert de l’anonymat ont affirmé à l’Associated Press que Yazid avait par ailleurs pris contact par un intermédiaire avec un immigré afghan aux Etats-Unis, Najibullah Zazi, arrêté pour son implication présumée dans un projet d’attentat à la bombe artisanale visant peut-être les transports en commun à New York. Al-Qaïda se serait donc intéressé à ce complot que les autorités américaines considèrent comme l’une des menaces terroristes les plus sérieuses sur leur sol depuis les attentats du 11 septembre 2001. Egyptien d’origine, Yazid s’est engagé il y a près de 30 ans dans l’islamisme radical en rejoignant des groupes étudiants dirigés par son compatriote Ayman al-Zawahri, aujourd’hui N2 d’Al-Qaoda. Au début des années 1980, il a purgé trois ans de prison pour ses liens avec le commando islamiste qui a assassiné le président égyptien Anouar el-Sadate en 1981. A sa sortie, il s’est tourné vers l’Afghanistan où, selon l’organe de propagande d’Al-Qaïda, Al-Sabah, il a participé à la création de la branche locale du réseau. Il a ensuite suivi Oussama ben Laden au Soudan avant de rentrer en Afghanistan pour s’occuper des finances d’Al-Qaïda, et notamment de comptes bancaires secrets ouverts dans le golfe Arabo-persique qui ont servi à financer les attentats du 11-Septembre. Après l’invasion de l’Afghanistan par les Etats-Unis et leurs alliés fin 2001, Yazid, également appelé Cheikh Saïd et Abou Saïd al-Masri, est resté caché pendant plusieurs années. Il réapparaît en mai 2007 dans un entretien de 45 minutes mis en ligne sur le Web par Al-Sabah. On l’y présente comme ôôle responsable’’ des opérations d’Al-Qaïda en Afghanistan. Certains spécialistes de la sécurité voient dans le choix de Yazid l’indice d’une nouvelle approche d’Al-Qaïda dans un pays où l’organisation terroriste a été très puissante. Pour Michael Scheuer, ancien responsable de l’unité de la CIA chargée de traquer Ben Laden, le chef d’Al-Qaïda et Al-Zawahri voulaient confier l’Afghanistan à un homme de confiance ôôpour s’occuper d’autres aspects du djihad, hors’’ du pays. Yazid possédait peu d’expérience des combats mais, selon des experts du terrorisme, il était proche du mollah Omar, le chef du régime taliban en Afghanistan, renversé fin 2001. Apprécié pour ses manières impeccables et le fait qu’il parle couramment pachtoune, la langue des tribus dont sont issus la plupart des talibans, Yazid s’entendait mieux avec les Afghans que bien des Arabes d’Al-Qaïda, jugés arrogants. Le réseau terroriste aurait donc opéré le choix stratégique d’intégrer l’organisation talibane en lui apportant son expertise et son entraînement, et de donner un visage afghan à la guerre. C’est ce qu’a laissé entendre le chef d’Al-Qaïda en Afghanistan dans un entretien donné cette année à la chaîne panarabe Al-Jazira depuis Islamabad. En septembre 2007, alors que les talibans revenaient sur le devant de la scène six ans après avoir perdu Kaboul, Al-Qaïda avait diffusé une vidéo vantant ses liens étroits avec les fondamentalistes armés. On y voyait Yazid assis avec un haut commandant taliban. Le N1 d’Al-Qaoda en Afghanistan a igalement noui des relations avec d’autres groupes islamistes extrémistes d’Asie centrale et au Pakistan, où se cacheraient des cadres du réseau de Ben Laden. ôôIl semble vraiment avoir une influence sur les talibans du Pakistan et des groupes d’Asie centrale. Ils publient régulièrement ses vidéos sur le Web, comme pour Ben Laden ou Al-Zawahri’’, affirme Evan Kohlman, expert en terrorisme. L’armée pakistanaise avait annoncé en août 2008 la mort du chef d’Al-Qaïda en Afghanistan dans des combats dans la zone tribale de Bajaur, sur la frontière afghane, mais l’intéressé est depuis apparu dans des vidéos d’Al-Qaïda, toutes manifestement enregistrées après cette bataille. Mustafa al-Yazid a diffusé une nouvelle vidéo ce mois-ci, après la mort d’un puissant commandant taliban au Pakistan, tué par un missile américain le 6 août au Sud-Waziristan. «Je dis à la nation islamique que même si nous avons perdu Baitullah Mehsud, il y a des milliers d’hommes dans les tribus qui sont comme lui et qui se vengeront des Américains et de leurs alliés», menace-t-il. Robert Reid (AP)
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