Courrier: Tribulations et états d’âmes d’un voyageur de passage à Akjoujt   
23/09/2009

Posté le 5 août 2008 sur des sites électroniques, ce document nous ramène à son tour à la tragédie de la cité minière maudite et nous rappelle de façon habile l’état délabré d’une mine coupée du monde et livrée aux fourches caudines des chasseurs d’or et leurs complices.



’histoire est contée avec un grand humanisme et foule de détails qui soulèvent tous les questionnements qu’un automobiliste comme Dinedine peut ressentir en traversant la bourgade ocre, chef lieu de la région de l’Inchiri, à 256 KM au Nord Ouest de Nouakchott et 190 KM d’Atar.

 

Tribulations d’un automobiliste… Il est minuit, Akjoujt devant moi !
Il est minuit ou presque. Je suis à l’entrée d’Akjoujt et je ne sens plus mon dos tant la conduite est stressante sur les derniers 98 kilomètres « égyptiens » du parcours Atar-Akjoujt. Le conducteur, même habitué a, en effet, l’impression le long du tronçon, qu’il va prendre en pleine gueule toutes les molécules de bitume paresseusement compacté en surface de la chaussée.

Mais ce sont, avant tout, les pneus qui souffrent du trajet, tant ils sont chauffés à blanc, et le crissement abominable du caoutchouc roulant à même le goudron ou ce qui en reste est impressionnant.

Je viens à peine de finir les « formalités » de police, en ayant tout de même évité, non sans problèmes, de défoncer le lot de pneumatiques rangés par les autorités en travers de la route, histoire d’éviter que les chauffeurs ne brûlent le check point. Les mauvaises langues prétendent qu’il s’agit  là d’un don de la société d’exploitation d’or de la ville à la Wilaya au titre de la lutte contre le terrorisme et le trafic de cigarettes.
Le policier sympathique et mal réveillé, sorti d’on ne sait où,  m’a demandé poliment si je n’avais pas entendu des coups de feux un peu plus loin au nord. Je lui répondis que non. C’est qu’à cet endroit, avec  l’appel au vent, en raison du canyon jouxtant les Gouachich de l’Inchiri, on peut entendre toutes sortes de bruitages. Les nouvelles recrues de police ne le savent pas, le plus souvent, et cela explique la question de l’agent . Celui-ci retourne se coucher.
 Akjoujt est juste devant moi. Akjoujt,  la citée  qui se prévaut d’être aussi misérable que la ville de Tichitt, parmi tant d’autres encore, bourgade médiévale perdue aux confins du pays du Ténéré. Cela en dépit de « sa » société minière, en réalité le fruit de l’un des doles juridiques entre secteur privé et état  le plus scandaleux de ces 3 derniers siècles.
Sans crier gare, je suis dans la ville. Des fûts en plastic méticuleusement espacés les uns des autres,  sont éclairés de l’intérieur de manière uniforme. Le voiturier doit ici comprendre qu’il peut acheter du lait de chamelles. S’il le veut bien, il doit descendre ; là on lui proposera aussi du thé à la menthe, voire un repas chaud , du riz ou des pâtes.
Seule artère vivante, à cette heure –ci,  et probabelement toute la journée, les centaines de mètres de route en forme d’un S qui permettent aux camionneurs  et leurs passagers,  aussi tristes que s’ils allaient à la potence, de s’arrêter un instant, le temps de  reprendre un peu de forces et augmenter la réserve de carburant.
 Renonçant au Leben Lebil  qui doit avoir développé un goût d’amertume à cette heure tardive, je continue mon avancée motorisée, non sans décélérer un peu. Des enfants jouent au ballon par ce temps frais, et je ne veux pour rien au monde gâcher leur fête innocente sous les potences éclairantes de la Somelec.
A Akjoujt, tout est original : les poteaux électriques sont fabriqués de manière artisanale en fer à béton, taille 10 et 12 millimètres. Le cahier des charges de cette livraison avait estimé, selon des dires,  qu’il ne pleuvrait plus à Akjoujt et donc, que les risques d’accident étaient pratiquement nuls.
 Je continue toujours devant moi… Dans le ciel magnifique, la lune brille comme un miroir au soleil.
Les échoppes étalées sur les abords affichent des produits douteux. Je décide de me limiter à mes provisions achetées à Atar, 3 heures plus tôt. Du pain sans sel griffé faux Zadva, des dattes et deux poignées de Labouj, encore bien vertes et aux aromes encensés d’Emacine. Rien de mieux que le Labouj pour tromper la faim et surtout pour tromper ses maxillaires, en leur faisant croire qu’elles en écraseraient  toute la nuit. Pour garder les yeux ouverts sur la route et éviter de se faire écraser par les porte-char nombreux à vous croiser tous phares allumés, roulant à toute vitesse, en ayant aucun égard pour les voitures qui les croisent.
Akjoujt, côté paysage,  est un mélange subtil entre Kandahar aux plus belles heures de la guerre de l’Afghanistan et l’arrière faubourg d’un village du far West, tel qu’on pouvait en voir les années 70 dans les films westerns.
On peut distinguer les trois à quatre  bâtiments de la poignée de riches natifs de la ville, facilement reconnaissables aux structures mono formes, travaillées suffisamment en hauteur pour impressionner les habitants mais aussi le Gouvernement durant, notamment, les courts passages du Président ou des  hauts fonctionnaires du parti. Ces habitations sont vides le reste du temps, mais font vivre tout de même les gardiens et leurs familles, souvent reconverties à d’autres petits métiers, chômage technique aidant..
 Il est minuit passée. La lune est haute dans le ciel décrivant une ellipse vertigineuse et le désert de  l’Inchiri se détache à l’horizon en demi-cercle lumineux. Les voyageurs non avertis sont souvent trompés par cette vue imprenable en forme de  demi -pomme parfaitement circulaire qui vous fait tourner éternellement en rond pour arriver toujours au même point de départ.

Certaines langues attribuent l’état de la ville à cet effet de trappe  malveillante qui arrache le voyageur à son désir de fuir le plus loin possible. Celui-ci une fois parti ne veut plus y revenir, exactement comme les fils de la ville, toujours selon cette légende.

Mes souvenirs reviennent à près de 30 ans plutôt. Cela me donne un fourmillement dans les pieds. Akjoujt reste immuable, comme rebelle au temps qui passe, jurant de garder sa parure couleur de sable pour l’éternité.

Je me rappelle bien tout à cette époque. La route Akjoujt–Nouakchott, défoncée par les poids lourds était devenue alors impraticable et les voitures allaient dans tous les sens, afin d’éviter les nids de poule particulièrement profonds et tranchants. A plus d’un endroit, c’étaient des ravins, profonds de plus  d’un tiers de mètre ! De véritables tueurs,  en fait, car les pneus explosaient littéralement à leur contact et les dégâts matériels et humains étaient, alors, imprévisibles, souvent mortels.

L’Inchiri prenait ainsi, bon an mal, son lot de proies perdues, le plus souvent, dans les hauteurs de l’Amatlich, cette mer de sable silencieuse mais vorace que seuls les enfants de Damane peuvent vaincre.

En 1980, deux cents  jours de tempête de sable continue, jour et nuit, avaient rendu ce désert, grand comme le Sénégal, l’un des plus avides tueurs du pays. Entre le mois de décembre 1980 et mars 1981, une vingtaine de personnes au moins, perdues dans le Tbeg de cailloux rongeurs et qui cherchaient à s’orienter en descendant de voiture, avaient été retrouvées mortes, parfois à courte distance de leur véhicule, le moteur encore en marche !

Il est, donc,  minuit bien passée.

Je viens d’arriver  à la station  Star du carrefour Akjoujt- Mogrein, la montagne d’or dont  les akjoujtois ne voient que la poussière ocre. Je veux y penser quelques instants, me rappelant aussi que le diesel de la centrale électrique, il y a 30 ans, à l’âge d’or,  enfumait jusqu’à Boutilimit, éloigné de plus de 200 Kilomètres à vol d’oiseau.
Mais je suis fatigué et mes membres sont endoloris. Je ne veux pas y songer tant cela me fait mal. J’ai envie de continuer à rêver, mais je n’ai plus de forces. Dans quelques minutes, je vais me faire avaler par l’Inchiri, doucement.

Bientôt la ville sera derrière moi, mais je ne pourrai m’empêcher de revenir un jour goûter malicieusement à cette misère bienfaisante qui vous fait remonter le temps. Une misère qui nous fait partager le plaisir des petits enfants jouant au ballon, à plus de minuit passée sous les lumières de la seule artère éclairée de la ville…
Dinedine


Toute reprise totale où partielle de cet article doit inclure la source : www.journaltahalil.com
Commentaires
bot bot
bot12@yahoo.fr
2009-09-25 12:03:18

merci pour ce temoignage pathetique qui plonge le lecteur dans l’immuable poussiére d’akjoujt.....une legende qui fache certains autochtones de l’inchiri attribue la maledection de la bourgade au courroux d’un saint qui voulait s’y installer et qui fut mal acceuilli...il est en tout cas certain qu’akjout affiche les stigmates d’une incurable maladie que nulle prosperité ne pourrait effacer..pour ce qui se souviennent des années 70 quand les fleurs , les clubs el hassi et bir moghrein, le super marché bitar,les lumieres de l’usine torko , les lampadaire de la cité des cadres ornaient l’univers inchirois, il est bien triste de constater que la villie est condamnée a etre un asile pour les chats...A qui la faute? à l’etat bien sur qui n’a pas su maintenir le minumum dejà acquis mais surtout aux akjoujtois qui n’ont pas sur preserver le rayonnement de cette ville construite, il y’a un siecle, autour du fort Ripoux...les vrais autochtones de cette cité ne sont pas les bedouins de lemdena, de damane, de louebda, de tabrenkout et de laba mais bien ces braves gens sans tribus souvent metissés qui ont eté attirés par l’implantation coloniale dans la region et qui ont par la suite formé le noyau d’une cité cosmopolitique abritant les commerçants de l’adrar et du sahel...le chikh dachra etait un notable de chinguity qui avait la responsabilité de gere’’ ces etranges etrangers ’’ alors que les marabout de l’inchiri et leurs protecteurs guerriers nomadisaient dans le parages environnants...avec la prosperité des années 70 et suite à la secheresse de la meme epoque , ils se sont installés comme ils peuvent dans la ville en apportant, avec eux, selon les mauvaises langues, la malediction du saint ....

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