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« La ruée vers l’or modifie profondément la géopolitique de tout le Sahara »

« Sahara, la soif de l’or » est le titre d’un reportage au long cours sur les chercheurs d’or, publié sur le site d’information Les Jours, et qui vient de remporter le prestigieux Visa d’or de l’information numérique France Info, à l’occasion du festival de Perpignan. En neuf épisodes passionnants, le reporter Amaury Hauchard et le photographe Michèle Cattani nous font découvrir l’incroyable vie des « creuseurs », en quête de la pépite qui fera d’eux des millionnaires. Écoutez Amaury Hauchard raconter l’histoire de cette ruée vers l’or, il est l’invité de Christophe Boisbouvier.

RFI : Tout a commencé en 2009, dites-vous, avec la découverte d’un gisement d’or au Soudan. Et depuis, la fièvre de l’or s’est emparée de tout le Sahara ?

Amaury Hauchard : Oui, donc tout a commencé comme vous le dites au Soudan en 2009. Après au Djebel Marra, au nord du Darfour, il y a eu une découverte par les Soudanais qui sont allés au Tchad, un peu à l’ouest, au nord du Tchad, au Tibesti, qui ont emmené les Tchadiens avec eux, puis de là, la Libye, de là le Djado, le Tchibarakaten au nord du Niger, puis l’Algérie, le Mali, maintenant la Mauritanie. Et en fait, ce qu’il faut comprendre, c’est qu’à chaque fois, tous ces chercheurs d’or qui arrivent emmènent d’autres jeunes avec eux et, en fait, la masse grandit, grandit, grandit. Et en fait, quand on arrive en Mauritanie, on rencontre des gens qui traversent le Sahara depuis quatre ou cinq ans, toujours avec ce rêve de trouver de l’or, qui n’est pas souvent réalisé d’ailleurs. Et voilà. Donc c’est une ruée énorme dans tout le Sahara.

Peut-on estimer le nombre de chercheurs d’or actuellement présents au Sahara ?

C’est extrêmement compliqué parce que tout se passe dans les zones nord de tous ces pays. Donc il y a la Libye, le Tchad, l’Algérie, le Mali, le Niger, la Mauritanie et le Soudan. Beaucoup de ces pays sont actuellement en conflit ou dans des situations de contrôle non étatique. Et donc, par exemple, il y a eu ces dernières semaines de grosses inondations au Sahara et donc il y a énormément de sites d’orpaillage où il y a beaucoup de morts. On parle d’une cinquantaine au nord du Tchad, d’une quarantaine au nord du Niger. Ou encore à Tinzaouatène, il y a quelques semaines, au nord du Mali, il y a eu des frappes de drones. On a vu des vidéos avec des milliers de jeunes orpailleurs qui partaient à pied et là, c’est très compliqué de mettre un chiffre.

Mais vous dites quand même au moins plusieurs dizaines de milliers…

C’est évident. Il y a beaucoup de gens qui sont tous jeunes, beaucoup d’hommes. Il y a très peu de femmes dans l’or du Sahara, qui traversent en espérant trouver la pépite.

Et vous dites que la migration Est-Ouest des prospecteurs a peut-être remplacé la migration Sud-Nord vers l’Europe parce qu’elle est moins dangereuse. Mais n’exagérez-vous pas un peu ?

Est-ce qu’on exagère ? Je ne saurais pas dire. Ces deux dynamiques sont très étroitement liées. Il y a beaucoup de chercheurs d’or qui vont ensuite en Europe. A l’inverse, beaucoup de gens qui essaient d’aller en Europe, ça ne marche pas forcément. En Libye, ils redescendent sur des sites d’orpaillage en Libye, au Niger. Après, ce qui est très important, c’est que chaque État réponde à sa manière. Vous avez l’Algérie qui refuse de voir des hordes et donc les Algériens ont opté pour une réponse très militarisée à la question. Ils font des arrestations massives de chercheurs d’or qui les repoussent ensuite à la frontière du Niger. Il y a d’autres États comme la Mauritanie ou le Tchad qui ont créé des sociétés comme Maaden en Mauritanie, Sonemic au Tchad, pour essayer de réguler, de « formaliser » cette ruée vers l’or. Mais cette dynamique est sans doute en train de changer profondément la géopolitique de tout le Sahara.

Y a-t-il des chercheurs d’or qui ont un jour trouvé la pépite et sont entrés dans la légende ?

En fait, tout le monde est connecté sur WhatsApp. Et sur WhatsApp, il y a des dizaines de vidéos, des centaines qui circulent. J’en reçois presque tous les jours, de gens au fond d’un puits qui se filment avec une pépite ou qui filment le filon parce que ce sont des filons qui suivent le sous-sol. Et en fait, ces vidéos, elles passent d’un WhatsApp à l’autre et tout le monde se dit « si un tel l’a trouvé, pourquoi pas moi ? ». Et en fait, tout le monde connaît quelqu’un qui a trouvé de l’or. Mais le problème, c’est que tout le monde connaît aussi quelqu’un qui est mort dans un puits ou dans des affrontements ou autre. Donc cette histoire est très ambivalente.

Mais existe-t-il vraiment des chercheurs d’or qui ont réussi parce qu’ils ont trouvé la pépite et sont devenus millionnaires ?

C’est évident. La manne financière est énorme. Quand vous allez à Agadez, par exemple, dans le nord du Niger, vous avez tout un quartier qui s’appelle le quartier de Dubaï. Le nom a été donné par des propriétaires de puits qui ont fait fortune. Et là, vous avez d’immenses maisons qui poussent comme des champignons partout. Après, les chiffres sont très compliqués. Par exemple, au début de l’année 2024, vous avez un jet privé qui a été saisi à Addis-Abeba, en Éthiopie, qui quittait le Niger pour Dubaï. Et dans le jet privé, il y avait 1,5 tonne d’or, soit l’équivalent de 100 millions de dollars d’or. Pour un jet qui est saisi, il y en a des dizaines qui ne le sont pas.

Ce dont vous parlez bien avec votre collègue Michele Cattani, c’est de toute l’organisation qu’il y a derrière ces prospecteurs, notamment ces camps de base comme la ville champignon de Chami en Mauritanie, la ville où tous les prospecteurs vont investir avant de partir creuser. Pourquoi un camp de base est-il important ?

En 2012, Chami est né. Il y avait 54 habitants à l’époque. Le maire nous en parle, et aujourd’hui, il y a des dizaines de milliers de personnes là-bas. C’est une ville qui est vraiment totalement tournée vers l’or. Vous avez des cafés de chaque communauté, des cafés soudanais, des cafés tchadiens, avec des gens qui se rassemblent en communauté. Vous avez des magasins avec des revendeurs de détecteurs de métaux, des revendeurs de générateurs, des revendeurs de matériel juste pour aller creuser. Et puis vous avez surtout un immense centre de traitement qui fait une quarantaine d’hectares, où tout l’or qui arrive, c’est en fait des gravats qui arrivent, qui sont broyés, qui sont pilés, qui sont traités sur ce site avec du mercure, du cyanure. Et l’utilisation du mercure et du cyanure pollue toutes les nappes phréatiques de la région. Cela va avoir un impact sur le bétail qui vient boire, sur les humains qui puisent aussi dans cette nappe phréatique. En fait, cette histoire de ruée vers l’or perturbe des petits équilibres qui vont avoir un impact énorme dans le futur.

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