Ce soir, Hindou est en train de dormir dans la chambre des enfants, aux côtés de ’Sidi’* et de Raja. Un sommeil profond s’est emparé d’elle, sans qu’elle l’ait voulu franchement ; mais elle s’y était résignée, comme elle n’est pas de nature difficile.
"Monsieur x", par contre, en noctambule menant ses activitĂ©s sur les rĂ©seaux sociaux depuis dĂ©but ramadan, est, lui, toujours Ă©veillĂ© malgrĂ© l’heure bien tardive de la nuit. Elisant domicile dans un coin de cette grande pièce lui servant, Ă la fois, de bureau, de bibliothèque et de lieu de rencontres et d’échanges virtuels, il fait des allers retours incessants entre livres et ordinateur. Ça fait dĂ©jĂ plus de trois heures qu’il travaille ainsi, sans relâche. Il cherche Ă lui parler intimement, sans la dĂ©ranger, sans la rĂ©veiller, tout en s’adressant directement Ă elle. Et voilĂ qu’il se trouve involontairement plongĂ© dans un monologue, partageant avec Hindou ce qu’il fait, ce qui le hante. Bref : il rĂŞve d’elle, d’eux. « Ma chĂ©rie, je me suis dit depuis quelques heures que je vais mettre Ă profit mes insomnies « ramadanesques » pour faire fort : t’écrire une belle lettre d’amour comme je n’ai jamais fait dans ma vie. En y songeant, je me suis Ă©vadĂ© un moment, pas trop loin, il faut le prĂ©ciser. Mon attention a Ă©tĂ© accaparĂ©e, quelques minutes durant, par les deux plus belles perles les plus chères Ă toi, les plus prĂ©cieuses pour moi: Raja et ’Sidi’. Puis, je me suis repris, sans toutefois Ă©vacuer, de mon esprit, cette excursion dans les souvenirs, dans le prĂ©sent, dans le futur... en compagnie de nos deux enfants. Perfectionniste que je suis, comme tu le sais d’ailleurs très bien, je m’attelle aussitĂ´t Ă la tâche, exploitant et mettant Ă profit tous les outils Ă ma portĂ©e : modèles de lettres d’amour sur le net, poèmes d’amour sur le net, mon savoir faire en la matière, des bouquins, des textes dont certains sont familiers pour toi ; car nous les lisions ensemble ou partagions, comme par exemple : les poèmes de Nizar Qabani, ou comme ce recueil de « Mille et un je », que j’ai achetĂ© il y a quelques mois… Bref : un sacrĂ© travail de recherche bibliographique et de mĂ©moire, digne d’un confĂ©rencier mĂ©ticuleux, qui prĂ©pare une communication sur un sujet complexe, ou d’un Ă©tudiant, sĂ©rieux et travailleur, qui prĂ©pare un mĂ©moire diplĂ´mant. Et tout ça pour dire un mot : je t’aime ! « Comme c’est dingue, ridicule, enfantin… un effort si important pour un rĂ©sultat aussi simple et Ă portĂ©e de main ! », me dis-je, Ă un certain moment. Mais tant pis ! Je trouve du plaisir dans cet effort : toi, ta rencontre, Nous Parce que je te sens loin de moi, emportĂ©e par ce mĂ©chant sommeil qui transporte les âmes vers je ne sais oĂą ! On dirait une distance de milliers de kilomètres se dressant entre nous, comme une barrière gĂ©ographique lointaine, difficilement franchissable. En y songeant, j’imagine l’épreuve Ă endurer en cas d’absence rĂ©elle et prolongĂ©e, et comment elle est pĂ©nible Ă supporter. D’oĂą l’intĂ©rĂŞt de cette tentative de me documenter pour dire, autrement que d’habitude, mon affectif, mes dĂ©sirs, mes passions... Au moins en ce qui nous concerne, toi et moi. Et je t’assure que cette expĂ©rience m’a beaucoup aidĂ©. Derrière chaque mot que je lis, chaque image que je dĂ©cortique, chaque mĂ©taphore qui m’enchante, chaque souvenir qui me hante… je te vois, te lis, t’entends, te touche, te parle, te caresse. Oui, ce travail de recherche que je mène depuis ce soir n’en est pas un, c’est nous : notre vie, nos expĂ©riences, notre avenir. Notre amour y dĂ©file devant moi : il se dĂ©ploie, s’étale, s’exprime. Je le vis dans les pages des bouquins, dans celles du web, Ă travers mes souvenirs… le partage avec toi. Ô ! Combien j’affectionne ces sensations amoureuses si agrĂ©ables ! DĂ©sagrĂ©ables aussi - hĂ©las- quand je regarde autour de moi, et que je rĂ©alise que, physiquement, tu n’es pas lĂ , que ton esprit est ailleurs, probablement transformĂ©, transportĂ© par le sommeil… Un cauchemar ! En cet instant de ma rĂ©flexion, qui s’évade dans tous les sens, de ces Ă©lucubrations qui me tourmentent, tout me semble lointain, comme des illusions infinies, des illusions perdues, des chimères insaisissables… Des sentiments en perdition comme un navire fou, qui chavire, menĂ© par les courants maritimes au grĂ© des vents. Non ! Non ! Je me refuse Ă cette perception sombre, Ă cette vision pessimiste, fausse et angoissante, qui dĂ©forme tout. La vĂ©ritĂ© est tout autre : tu es bien lĂ , Hindou, dans mon cĹ“ur, dans mon corps, partout avec moi, autour de moi. Je te regarde, t’écoute, te prends, te serre, t’enferme… et je ne lâche pas prise comme un fauve affamĂ© se saisissant de sa proie de plus en plus docile. Pardon pour la comparaison ! C’est pas du tout cette fĂ©rocitĂ© bestiale, ni la conflictualitĂ© qu’elle sous entend, que je ressens en ce moment, ni Ă aucun moment de notre vie, de notre aventure, loin s’en faut ! Tu le sais très bien : Je ne suis pas la bĂŞte fĂ©roce, arrogante et dirigiste, et toi, tu n’es pas non plus la faible victime, toujours condamnĂ©e Ă la soumission, Ă la rĂ©signation. Toi et moi, nous sommes deux amoureux paisibles, formant une famille qui se veut tranquille. Deux ĂŞtres aussi sensuels, l’un que l’autre, mais chacun Ă sa façon. VoilĂ qui fait notre complĂ©mentaritĂ©, notre bonheur… et Ă©galement nos soucis quand il y’a lieu d’en avoir, des les sortir. Eh oui, des problèmes, des insuffisances, des erreurs, des errements… nous en avons eu, nous en commettons… comme tous les humains. Tout n’est pas toujours rose, tout n’est pas balisĂ©. Une Ă©vidence, mais je la rappelle quand mĂŞme. QualitĂ©s et dĂ©fauts nous accompagnent, surtout dans notre amour, dans cette institution complexe. Elle est Ă la fois bonheur et difficultĂ©s. Nous avons, toi et moi, cette chance qui consiste Ă ne pas nous dĂ©rober Ă ses contraintes. Nous les assumons, les intĂ©grons ; ce qui rend notre amour sincère et, du mĂŞme coup, le renforce aussi, en le soumettant parfois Ă rudes Ă©preuves dont il sort raffermi. Cette une conclusion qui me rassure. Prions Allah et Ĺ“uvrons pour qu’elle perdure. Banale Ă première vue, mais essentielle, Ă mon sens, pour la pĂ©rennitĂ© de notre couple, de notre foyer. J’y ai rĂ©flĂ©chi beaucoup ce soir quand je cherchais Ă Ă©crire cette « fameuse » lettre de « dingue ». Elle est juste, cette conclusion et indispensable pour Ă©clairer notre marche, pour sa pĂ©rennitĂ©. Mais en terme de mots d’amour, il me semble, honnĂŞtement, qu’il y’a plus expressif et plus simple Ă dire que ça : je t’aime. Tel est l’aboutissement de toutes mes recherches, celles de ce soir et celles d’avant. Seul un mot me revient sans cesse: je t’aime. Et parce qu’il sonne bien Ă l’oreille, il va droit au cĹ“ur, ce mot. Je te l’ai dĂ©jĂ dit, je ne sais pas combien de fois. Pourtant, je ne cesserai pas de le rĂ©pĂ©ter : je t’aime, je t’aime, je t’aime… Pour ça, ai-je besoin de faire des recherches acadĂ©miques ? Bien sur que non. Je le savais et je n’ai fait que le confirmer ce soir. Toi aussi, tu le sais. Je t’aime, c’est notre fusion, l’endroit de nous. Nous y sommes toujours. Y’a t-il un espace plus confortable ? Tu conviens bien avec moi que non. Nous y sommes et nous y restons. Il nous abrite, nous procure plaisir, sĂ©curitĂ©, bonheur… et toutes sortes de sensations qui accompagnent et font vivre l’amour. Qu’il est beau, riche et gĂ©nĂ©reux, ce je t’aime. Je t’aime, Hindou. RĂ©pète-le pour moi, toi Ă ton tour, Ă ton rĂ©veil. Chante-moi : je t’aime ». El Boukhary Mohamed Mouemel Juillet 2014 ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- * C’est par ce nom que l’appellent ses copains Ă l’école, et lui, il n’aime que ça, comme identifiant.
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