Le survivant d'un massacre de l'Etat islamique Ă  Tikrit raconte   
06/09/2014

En juin, près de Tikrit, dans le nord de l’Irak, 800 soldats irakiens sont répartis en lignes de dix hommes par les combattants de l’Etat islamique, interrogés à la va-vite et abattus. A l’aube, il ne restait que 20 survivants, témoigne l’un d’entre eux, Mohamed...



...Madjoul Hamoud, 24 ans, rencontré dans sa ville d’origine à Diouaniya, à trois heures de route au sud de Bagdad. Il a raconté à Reuters ce massacre qui a bouleversé l’Irak et dont les combattants de l’EI se sont vantés sur internet.
 
    Mardi dernier, une centaine de proches des disparus ont envahis le parlement irakien pour rĂ©clamer des nouvelles des disparus, près de trois mois après les faits.
 
    Si Hamoud a Ă©tĂ© Ă©pargnĂ© par les ultra-radicaux sunnites de l’EI, qui s’appelait Ă  l’époque Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), c’est parce qu’il a prĂ©tendu ĂŞtre un bĂ©douin sunnite.
 
    Le jeune homme faisait partie d’un dĂ©tachement de 1.500 militaires qui venaient tout juste de recevoir une formation de base. Quand il est apparu que l’Etat islamique avançait, le groupe a Ă©tĂ© envoyĂ© Ă  la base aĂ©rienne d’Al Sahra, près de Tikrit, encore appelĂ©e Camp Speicher d’après le nom d’un pilote amĂ©ricain.
 
    Respirant difficilement parce qu’il a Ă©tĂ© battu, Mohamed Madjoul Hamoud parle de trahison de ses chefs. D’abord, dit-ils, les nouvelles recrues comme lui n’avaient pas reçu d’arme Ă  feu pour combattre les djihadistes qui approchaient. Ensuite, dit-il, les chefs leur avaient promis de pouvoir sortir en sĂ©curitĂ© quand le 11 juin, l’EI a pris Tikrit, ville d’origine de l’ex-dictateur Saddam Hussein, pratiquement sans combattre.
 
   
    FACE CONTRE TERRE
    "Si nous avions eu des armes, personne n’aurait pu capturer Speicher, Tikrit ou les autres endroits proches. Nous Ă©tions 4.000 et aucune force n’aurait pu nous affronter. Mais nous avons Ă©tĂ© vendus et trompĂ©s", affirme Hamoud.
 
    Le commandant de la province, le gĂ©nĂ©ral Ali al Freidji, a dit aux soldats qu’un accord avait Ă©tĂ© conclu avec les tribus locales pour permettre aux militaires de quitter les lieux, racontent Hamoud et deux autres soldats.
 
    "Nos chefs nous ont confirmĂ© que la route Ă©tait sĂ»re, protĂ©gĂ©e par les tribus, et demandĂ© de ne pas porter de vĂŞtements militaires. Ils nous ont vendus Ă  l’Etat islamique", raconte Hassan Khalil Chalal, qui a Ă©chappĂ© au massacre en faisant le mort, cachĂ© sous un cadavre.
 
    Les autoritĂ©s irakiennes dĂ©mentent. Selon elles, il n’y a pas eu de promesse de sortie sĂ©curisĂ©e. Elles accusent les recrues sans armes d’avoir quittĂ© la base, qui Ă©tait sĂ»re, malgrĂ© l’ordre de rester qui leur avait Ă©tĂ© donnĂ©.
 
    Le gĂ©nĂ©ral Freidji est parti et, le jour suivant, le 12 juin, les hommes des tribus sunnites sont entrĂ©s dans la base pour escorter les recrues.
 
    "Les tribus nous ont assurĂ© que nous Ă©tions sous leur protection et que nous allions Ă  Samarra", une ville vers le sud, raconte Hamoud.
 
    Quand les soldats atteignent l’universitĂ©, leur escorte tribale leur ordonne de se coucher face contre terre. Ils sont menottĂ©s.
 
    "Quiconque bougeait ou relevait la tĂŞte recevait une balle", raconte Hamoud. Du sol, il voit une femme s’approcher. Il espère qu’elle va faire honte aux hommes armĂ©s qui les maintiennent au sol. Au contraire, elle les encourage.
 
   
    "CHIENS CHIITES"
    "Elle a dit Ă  un membre de tribu : ’je sais que tu es un homme bon, un bon musulman courageux. Je te demande de ne pas laisser ces chiens chiites vivants, tue-les tous’ et elle l’a embrassĂ© sur la tĂŞte", raconte Hamoud.
 
    Des voitures se sont arrĂŞtĂ©es, des gens ont poussĂ© des acclamations Ă  la vue des soldats capturĂ©s. La haine pour le gouvernement chiite et l’armĂ©e a trouvĂ© son terreau dans les villes sunnites dĂ©laissĂ©es par le pouvoir central comme Tikrit.
 
    Les hommes demandent aux prisonniers de se dĂ©barrasser de leurs chaussures, chaussettes, bagues, portefeuilles et papiers d’identitĂ©. Un homme couchĂ© Ă  cĂ´tĂ© de Hamoud qui tente de dissimuler une bague est tuĂ©.
 
    Les soldats sont remis aux combattants de l’Etat islamique qui les emmènent vers les anciens palais de Saddam Hussein oĂą on leur bande les yeux avant d’être exĂ©cutĂ©s.
 
    L’EI, qui a diffusĂ© une vidĂ©o et des photographie des tombes sur internet, dit avoir tuĂ© 1.700 prisonniers. L’organisation de dĂ©fense des droits humains Human Rights Watch dit avoir des renseignements concernant la mort de 560 Ă  770 soldats tout en estimant que le total est plus Ă©levĂ©.
 
    "Nous Ă©tions plus de 800 dans une grande salle. Nous n’avions pas d’eau, pas de nourriture. Ils ont versĂ© une bouteille d’eau sur nous et ri quand certains ont ouvert la bouche pour attraper une gorgĂ©e", raconte Hamoud.
 
    Les combattants de l’EI ont assemblĂ© les prisonniers en groupes de dix. Ils doivent donner leur rang et le nom de leur unitĂ©.
 
   
    ACCENT BEDOUIN
    "Ils ont menottĂ© et bandĂ© les yeux de ceux qu’ils prenaient et leur ont donnĂ© un peu d’eau Ă  boire. Ensuite, nous avons entendu ’Dieu est grand’ et des tirs", dit Hamoud.
 
    Dans le groupe de Mohamed Madjoul Hamoud, il y a son frère Kamil et quatre de ses cousins. Quand c’est Ă  son tour de se lever pour ĂŞtre emmenĂ© et exĂ©cutĂ©, il dit : "Pouvez-vous me donner un peu d’eau?", en prenant un accent bĂ©douin.
 
    On lui demande alors d’oĂą il vient. Il improvise, dit qu’il appartient au groupe des Choummar, une grande tribu dont les membres sont ou chiites ou sunnites et qu’il vient de Baidji, une ville sunnite vers le nord. Toujours pour cacher son appartenance au chiisme, il dit s’appeler Bandar.
 
    Il est sorti du rang alors que son frère et ses cousins sont emmenĂ©s Ă  l’extĂ©rieur oĂą les autres soldats ont Ă©tĂ© exĂ©cutĂ©s.
 
    "Ils m’ont menottĂ© et bandĂ© les yeux et m’ont fait asseoir", raconte-t-il. Sans nouvelles de son frère et de ses cousins, il garde espoir qu’ils aient pu Ă©chapper Ă  la mort.
 
    Vers l’aube, les tirs ont cessĂ©. Dans la pièce oĂą il y avait des centaines de soldats, ils ne sont plus que 20.
 
    Un homme Ă  l’accent saoudien commence Ă  les bombarder de questions pour vĂ©rifier qu’ils sont bien musulmans sunnites.
  Hamoud explique qu’en tant que bĂ©douin, il n’a pas l’habitude de prier. Ceux qui sont considĂ©rĂ©s comme menteurs sont sommairement abattus. Le groupe de Hamoud se rĂ©duit Ă  11.
 
    Au bout de quelques jours, le site est touchĂ© par un missile. Le lustre dans la pièce vole en Ă©clats. Deux hommes tentent de s’échapper. Hamoud desserre ses menottes. Par la fenĂŞtre, il voit les deux soldats se faire tirer dessus. Il rĂ©ajuste ses menottes.
 
    Finalement, au dixième jour de sa captivitĂ©, un combattant de l’EI leur annonce qu’ils sont libres.
 
    Un de ses gardes lui dit : "Toi, le bĂ©douin : dis Ă  ton peuple que nous ne faisons pas de mal aux sunnites et que nous vous avons donnĂ© de la bonne nourriture, de l’eau et tout ce qui Ă©tait nĂ©cessaire."
    Le jour suivant, six d’entre eux sont escortĂ©s jusqu’à une maison oĂą ils sont interrogĂ©s par un dernier comitĂ©.
 
    "Ils m’ont demandĂ© si je faisais ma prière tous les jours.
  J’ai dit non. L’un d’entre eux m’a dit : ’prenez-le et apprenez-lui comment prier’. Ils m’ont tirĂ© parce que j’étais trop faible pour marcher et ont commencĂ© Ă  me battre", raconte Hamoud.
 
    Les 11 rescapĂ©s sont conduits Ă  un point de contrĂ´le avec un numĂ©ro Ă  appeler en cas d’arrestation Ă  un barrage de l’Etat islamique. TerrifiĂ©s, ils parviennent Ă  un village oĂą l’un d’entre eux a des amis.
 
    Mohamed Madjoul Hamoud n’ose pas appeler sa famille de crainte que les autres soldats, qui sont sunnites, ne dĂ©couvrent qu’il est chiite. Il entend le fermier parler de lui aux autres.
  Il dit : "Je pense que Bandar est chiite et pas sunnite mais, par Dieu, je le protĂ©gerai plus que mes propres fils."
    Le jour suivant, Hamoud avoue ĂŞtre chiite et appelle son père. Celui-ci demande Ă  parler au fermier qui dit : "je le protĂ©gerai et le considĂ©rerai comme un de mes fils." (reuters)


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