Interview avec Docteur Cheikh O. Horma   
03/04/2006

Docteur Cheikh Ould Horma Ould Bebbana s’est engagé tardivement en politique malgré les multiples sollicitations dont il déclare avoir fait l’objet. En fait, son premier engagement politique public, remonte au mois de juillet 2003, quand il faisait partie du groupe, ayant soutenu la candidature de l’ex-président...



...Mohamed Khouna Ould Haidalla. Quelques mois après cet engagement, il fut arrêté, juste après les élections présidentielles de Novembre 2003, et condamné pour "tentative de renversement de l’ordre constitutionnel", par la Cour Criminelle à une lourde peine avec sursis. Remis en liberté, il fonde avec ses amis politiques, le Parti de la Convergence Démocratique (PCD) que les autorités refusent de reconnaître. A la mi-octobre 2004, il est cité par des milieux de l’enquête menée dans le "Dossier Saleh Ould Hannena et compagnons " comme ayant apporté un soutien financier à l’organisation armée "les cavaliers du Changement" et inculpé à ce titre dans le même dossier. Assez de développements en l’espace de quelques mois, dans la trajectoire de ce médecin opposant. Je l’ai interviewé en novembre 2004.


Après avoir été entendu par le juge d’instruction en tant que témoin, au sujet d’un soutien financier que vous auriez apporté aux " Cavaliers du changement", voilà qu’il vous convoque à nouveau pour vous signifier votre acte d’accusation pour participation à une tentative de renversement du pouvoir constitutionnel par la violence. Comment réagissez-vous à tout cela ?

Cette situation frise le paroxysme de l’absurde Kafkaïen. Il n’échappe à personne qu’à travers cette affaire qui n’est autre chose qu’un règlement de compte entre militaires, et dans laquelle les politiques n’ont été mêlés d’aucune manière, le pouvoir, après avoir ratissé large dans les rangs de l’armée, s’acharne aujourd’hui sur ses adversaires islamistes et politiques, pour les compromettre dans ce dossier et neutraliser en eux toute velléité d’opposition en les disqualifiant et en les excluant de tout projet de dialogue auquel le pouvoir n’aurait ainsi à associer qu’une opposition qui jouirait de sa bénédiction.

Les déclarations incendiaires et diffamantes du ministre de la Communication puis du Secrétaire général du PRDS procéderaient de cette logique. Tout cela au moment précis, où l’opposition travaillait de façon acharnée et sincère à l’élaboration d’une plate-forme de dialogue avec le pouvoir, en vue de décrisper et d’apaiser les esprits et désamorcer la crise.
Pour revenir à l’accusation qui m’a été signifiée par le juge d’instruction, je voudrais dire que je me place au dessus de tout soupçon et voudrait n’avoir ni à me justifier ni à me défendre, pour des faits que je n’ai pas commis. Les habits dont ou veut m’affubler ne me vont pas. Les forfaits dont on voudrait me charger sont antinomiques et en opposition flagrante avec ce que je suis, ce que je représente, avec mon éducation, mes convictions religieuses et philosophiques, avec mon statut d’humaniste et de médecin dont la vocation exaltante et la mission première intangible sont de donner la vie, la préserver, non de l’ôter. Le crime de ceux qui veulent aujourd’hui profiter de cette confusion pour faire la chasse aux sorcières et régler leurs comptes avec leurs adversaires politiques en essayant de les éliminer politiquement et physiquement par le mensonge, en les compromettant dans le dossier des putschistes, pour maintenir un statu-quo qui pérennise leurs privilèges et intérêts individuels, le crime de ceux-là est aussi grave et répréhensible que celui des putschistes eux-mêmes.

Selon des sources en relation avec le dossier vous auriez été cité pas deux prévenus comme contributeur financier à une organisation d’opposition armée. Pourquoi ces deux prévenus vous ont- ils accusé ?
Une fois de plus, je ne voudrais pas avoir l’air de me justifier pour des faits que je n’ai pas commis mais votre question m’inspire les observations suivantes :
1°) Une double contradiction grave fait perdre à cette accusation toute crédibilité :
dans la version officieuse rapportée par votre journal il était question de 4.500.000 CFA. Dans la déposition de police attribuée au prévenu Ould Hannena il est question de 4500 CFA ( Mille Neuf Cent Ouguiyas environ ). Laquelle des deux versions doit-on accréditer ?
Comment un mouvement armé soutenu par deux pays dont un richissime, peut-il avoir besoin de sommes aussi dérisoires ?
2°) Vous n’êtes pas sans savoir que les dépositions auprès de la police sont souvent faites dans une ambiance de contrainte et qu’elles n’ont de valeur que si elles sont confirmées devant le juge d’instruction. Toujours selon des sources en relation avec le dossier, Ould Hannena aurait formellement et de la façon la plus catégorique nié ces allégations. Ainsi, votre question devient sans objet et la mise en accusation du juge, un acte sans fondement juridique.
3°) A supposer que, pour des raisons mystérieuses, Ould Hannena serait l’auteur de ces aveux mensongers, qu’il maintiendrait devant le juge, je ne vois pas pourquoi, en l’absence de preuves matérielles irréfutables à charge -bien sûr inexistantes- la parole de Ould Hannena aurait plus de poids que la mienne.

Quel regard portez-vous sur la situation nationale depuis le 08 Juin 2003 ?
La tentative de coup d’état militaire du 8 juin 2003 en Mauritanie, intervenue sur un fond de crise multiforme stagnante, a été perçue par bon nombre d’observateurs et d’une large tranche de la classe politique comme une lézarde dans l’édifice monolithique du pouvoir en place et un signal fort sur la nécessité devenue urgente de reformes politiques, économiques et sociales dans la structure d’une Nation qui ira de plus en plus mal si elle ne prend pas acte de la crise dans laquelle elle s’enlise, pour prendre en charge son destin. Nombreux étaient ceux qui n’hésitaient pas, au lendemain du putsch manqué à clamer l’alternance politique comme seule alternative susceptible de tirer le pays du marasme grave dans lequel l’ont installé 20 ans d’une gouvernance désastreuse menée par un pouvoir autocratique, rigide, fermé à toute critique, à toute reforme. Gouvernance désastreuse, caractérisée par une confusion entre les différents pouvoirs, une domestication des institutions, une administration corrompue, la gabegie, les malversations de toutes sortes et la mainmise sur la finance et les biens publics par une nomenklatura d’hommes politiques et d’hommes d’affaires insatiables et sans scrupules. Ils ont fait de la Mauritanie un des pays les plus endettés et les plus pauvres du continent malgré des ressources importantes et une faible densité démographique. Si certaines personnes proches du pouvoir soutiennent que le chef de l’Etat n’est pas impliqué directement dans ces malversations, on lui reproche cependant, soit de les avoir couvertes, soit de ne pas avoir eu la vigilance et la rigueur qu’exige sa fonction de bon père de famille, devenu monarque inaccessible et inattentif à ses sujets, dont il ne tolère la moindre critique.
Pour autant la tentative de coup d’état a été unanimement condamnée par la classe politique opposante et la société civile comme moyen approprié de changement. Le peuple lui, a cherché plus à la justifier qu’à la condamner, balançant entre la réprobation nuancée et l’adhésion déclarée, traduisant à quel point le fossé s’est creusé entre le pouvoir et le peuple . A fond, tout le monde était d’accord pour récuser le changement par la violence et se félicitait, nonobstant la crainte de la fraude électorale, de la perspective proche de l’échéance électorale présidentielle du 7 novembre 2003, qui était l’occasion idéale et démocratique pour cette alternance salutaire tant souhaitée. Je reste pour ma part persuadé que le maintien des élections au 07 novembre, à quelques mois seulement d’un séisme grave dont les répliques demeuraient encore perceptibles, était une erreur; comme si on voulait conjurer un mauvais sort ou relever un défi.

L’alternance prônée aux élections du 7 novembre, garantissait-elle la serennité et la paix sociale ?
 Le 07 novembre 2003, le pouvoir a ratĂ© lĂ  un rendez-vous important, une voie magistrale pour rentrer dans l’Histoire, une occasion rare de franchir le rubicond, pour utiliser une expression chère Ă  mon ami Ismail OULD AMAR. L’occasion de dĂ©samorcer cette crise qui menaçait et menace toujours notre pays de dĂ©stabilisation, voire de dĂ©sintĂ©gration. Le PrĂ©sident Ould TAYA aurait Ă©tĂ© certainement plĂ©biscitĂ© et serait sorti grandi de cette Ă©chĂ©ance Ă©lectorale s’il avait saisi la main tendue, demanderesse d’apaisement, de dialogue, de rĂ©conciliation nationale. Au lieu de cela il a privilĂ©giĂ© la confrontation, l’usage de la force. Le grand perdant dans tout cela a Ă©tĂ© sans nul doute la DĂ©mocratie encore balbutiante et notre cohĂ©sion nationale. Toutes les deux n’arrivent toujours pas Ă  se relever de ce choc.
Le putsch manqué du 08 juin 2003 n’était de mon point de vue q’un épiphénomène, le prodrome bruyant d’une implosion qui menaçait et qui continue de menacer la patrie, un acte grave qui devait interpeller les consciences vives et les hommes de bonne volonté de ce pays appelés, dans un élan patriotique sincère, à conjuguer leurs efforts pour tirer la Mauritanie de ce mauvais pas et la mettre sur la seule voie de salut, la voie d’une démocratie réelle, pour une Mauritanie moderne, réconciliée avec son identité et attachée à ses valeurs fondamentales retrouvées, à l’abri des dérives extrémistes ou totalitaires. Un état de droit où chaque citoyen retrouverait sa place, et sa dignité, dans une fraternité apaisée, transcendant les sensibilités, les clivages et les querelles ethniques, tribales ou raciales, entretenues, souvent attisées par les marchands de la discorde, dont c’est le fond de commerce. L’occasion était belle pour le pouvoir pour jouer la carte gagnante de l’unité nationale, seule capable de mobiliser tous les mauritaniens, seule capable de couper la route aux dérives violentes et extrémistes.
Au lieu de cela le pouvoir a préféré diviser les mauritaniens, indexant et diabolisant l’opposition de façon générale et les " islamistes" de façon particulière. Nous aurions tant souhaité que le Président, au lendemain de cette aventure sanglante parlât aux mauritaniens, tous les mauritaniens, en père de la Nation, qu’il les rassurât, les consolât de ce qu’ils venaient de subir ; qu’il leur montrât sa capacité à transcender l’adversité, sa capacité à être magnanime et généreux. Nul doute que le visage de la Mauritanie en aurait été changé.
Déçu, choqué, anxieux et crispé le peuple mauritanien n’avait pas fini de panser ses blessures qu’il devait faire face à une autre épreuve qui allait encore le déstabiliser et diviser davantage : des élections présidentielles sous haute sécurité pour cause de candidature inattendue et importune de l’outsider Mohamed Khouna Ould Haidalla. Les mauritaniens ont afflué vers OULD HAIDALLA plus en termes d’irrationalité que de logique politique, en tant que contrepoids supposé à un pouvoir hégémonique qu’ils voudraient conjurer. Un pouvoir qui gère une société en crise, par la répression et le tout sécuritaire et qui ne favorise que ses courtisans organisés en nomenklatura vorace, le confinant dans la précarité et l’exclusion, lui imposant une austérité spartiate et les privations les plus flagrantes. Société en crise, bloquée et emprisonnée dans un cloaque dont elle ne peut sortir que par des réformes fondamentales et des changements structurels. Elle est bloquée par le haut par une oligarchie fatiguée, qui n’a plus la force de créer, d’innover, d’inventer et qui ne peut plus tracter l’attelage. Sa capacité de nuisance n’est pas pour autant éteinte. Elle demeure capable de brider, de brimer, de réprimer. Par le bas, elle est bloquée par une jeunesse démotivée, installée dans le désespoir et qui s’exclut parce qu’elle a le sentiment qu’il n’y a plus d’avenir, que plus rien n’est possible. Entre ces deux pôles s’est produite un fracture, s’est creusé un hiatus béant, un précipice de chômage, de précarité, de paupérisation, de restrictions des espaces de liberté. Ce précipice est le lit des mauvaises pensées qui conduiront immanquablement aux dérives extrémistes le plus inquiétantes. Dans sa terrible cécité, cette oligarchie ne peut voir, ne peut comprendre qu’avec la répression, le rationnement et la restriction des espaces de liberté elle obtienne inéluctablement le contraire de l’objectif qu’elle poursuit. Qu’en s’attaquant aux conséquences au lieu de s’attaquer aux causes elle accentue la dérive et creuse d’avantage le fossé. Tous les Mauritaniens aspirent au changement et aux reformes comme une nécessité légitime et vitale pour sortir des abysses ténébreuses de ce précipice.
Le discours de KIFFA a suscité un espoir immense rapidement tué et enterré par la " tentative de coup d’état" du 08 Août 2004 avec un recul et une régression terribles, exprimés dans la volonté non dissimulée d’anéantir l’opposition, comme si un tel dessein était de nature à apaiser les mauritaniens anxieux et crispés ou répondait à leur expectative face aux bruits de bottes, à une sécheresse rigoureuse et à une invasion acridienne dévastatrice, prometteuses de famine.

Docteur, vous soutenez que le 8 juin a été un déclic mais d’aucuns pensent qu’il y aurait également un rapport entre votre patronyme et votre engagement politique ?
Ma filiation et les autres considérations dont vous avez fait état ne créent pas une obligation
atavique à s’impliquer en politique. Le compagnonnage et l’éducation reçue de Feu mon Père ont sans nul doute engendré en moi une conscience politique, et un intérêt permanent pour tout ce qui touche mon pays, une sorte de prédisposition latente, prête à s’exprimer par un engagement formel approprié à la situation. Aujourd’hui, j’ai, plus qu’un sentiment, la conviction forte qu’une menace grave de déstabilisation pèse sur la Nation. Mon engagement est total, à la mesure de la menace.
La politique dans notre pays, à l’instar de beaucoup de pays du tiers-monde, pèche par une carence d’éthique et de sincérité, un manque de professionnalisme et l’absence de rationalité. Le jeu politique est constamment biaisé. Il doit s’accommoder du bon vouloir parfois capricieux et de la versatilité souvent fantaisiste du chef : les alliances politiques se nouent et se dénouent au gré des enchères, des intérêts et des ambitions personnelles, au mépris de tout principe dogmatique, déontologique ou moral ; la transhumance politique devient un fait banal qui ne heurte aucune conscience. Ce climat délétère voulu et entretenu par les régimes successifs, tantôt par la terreur, tantôt par la corruption, souvent par les deux à la fois, est l’instrument de leur pérennité. Mon statut d’homme libre, mon éducation et ma culture m’interdisant de souscrire ou de me soumettre à de telles pratiques, je me devais alors de rester à l’écart de l’exercice d’une politique viciée par une dégradation des mœurs et un affaissement des convictions, tout en suivant de la façon la plus attentive, la plus critique et la plus responsable tout ce qui se passe dans le pays. Aujourd’hui je m’implique sur la scène politique, non par ambition personnelle, encore moins par goût de l’aventure mais par devoir. Ce sentiment est certainement celui qui anime toutes les consciences vives de ce pays aujourd’hui mobilisées autour d’un projet de réforme et de changement.

Quelle "ordonnance" préscriveriez -vous aux acteurs politiques dans la situation actuelle?
 L’opposition a transcendĂ© ses clivages et ses diffĂ©rends pour tomber unanime que la seule voie de salut et de sortie de crise rĂ©side dans le dialogue, la concertation et la rĂ©conciliation nationale. Seule cette voie est susceptible de couper la route aux solutions extrĂ©mistes et violentes.
Propos recueillis par IOMS



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