Pour une rĂ©habilitation des rois Kaya Maghan et Tiloutane.   
06/10/2012

Il y a quelques semaines de cela, des pérégrinations m’ont amené à Koumbisaleh, ou sur ce qui reste de cette cité médiévale, ensevelie à vol d’oiseau de la commune de «Sahbi» à une cinquantaine de kilomètres de Timbédra (964 km de Nouakchott). Fondée l’an 300, Koumbi -disent les références historiques- servait de dépôt de sel et d’or, dans un florissant commerce avec l’Afrique du Nord notamment Sidjilmassa comme principale étape.



 Elle se situait aux portes du dĂ©sert et s’étendait dans sa partie sud  au Haut SĂ©nĂ©gal.
Elle se serait islamisĂ©e avec  la conversion volontaire de ses rois ou après avoir  Ă©tĂ© envahie  en 1076  par le deuxime Ă©mir (aprĂ©s Yahya)  des Mourabitounes:  Abu Bakr ibn Amer, mort en 1087. Celui-lĂ  mĂŞme qui repose sous une misĂ©rable tombe au Tagant (Mauritanie),  alors que son compagnon Youssouf ibn Tachifine gĂ®t dans un grandiose mausolĂ©e de Marrakech (Maroc).  Après les Mourabitounes (1039-1145), Koumbi a Ă©tĂ©  occupĂ©e par le  roi du  Sosso: Soumaoro KantĂ© (1190-1235) avant que Soundjata KeĂŻta l’empereur du Mali  ne s’en empare vers 1240 . Une pĂ©riode  qui correspond au dĂ©but de la dĂ©cadence du monde musulman minĂ© par les divisions avec le dĂ©but des invasions Mongoles et  l’intensification des croisades contre les  principautĂ©s musulmanes en Irak,  en Egypte et en Andalousie. PrincipautĂ©s  toutes dirigĂ©es par des militaires incorporĂ©s  agissant sur  des roitelets marionnettes.
Chez nous, cette  pĂ©riode correspond au dĂ©peuplement et  Ă  la  frustration nĂ©e de l’aventure impĂ©rialiste des Mourabitounes  aprĂ©s  la dĂ©faite dĂ©finitive des «Beni Ghaniya» qui revendiquaient leur hĂ©ritage  face aux Almohades.   L’occupation de Koumbi par Soundjata coĂŻncide par ailleurs, avec  la fondation de Chinguitti (718 ans avant Nouakchott). Tichitt Ă©tant  antĂ©rieure, car  fondĂ©e,  un siècle avant (1142).
Je me suis donc  baladĂ© Ă   Koumbi sur un  sol lunaire au milieu de ruines d’édifices en pierres,  dont l’un ressemble Ă  une mosquĂ©e. J’y ai vu des arbres qui m’ont semblĂ© millĂ©naires.  A l’ombre de l’un d’eux ,  la tombe du fameux  «Sahbi» (en arabe : compagnon du Prophète, PSL)  dont on ne sait,  qui est-il rĂ©ellement,  sauf qu’il serait venu Ă  une date inconnue du Maghreb ou du Moyen Orient , deux rĂ©gions qui avaient  eu des Ă©changes humains, culturels et commerciaux très  intenses avec la Mauritanie mĂ©diĂ©vale depuis la fondation de Kairouan en 670 avec Oghba ibn Navi,  du temps du Gouverneur rebelle Maaouya Ibn Abi Soufiane (661-680).
En marchant sur le sol de Koumbi, vous sortez du prĂ©sent. Vous oubliez un moment  ces pesanteurs de la vie : le prix en constante hausse du carburant, la facture de l’électricitĂ©, les aigreurs de votre employeur, les fourberies de vos amis,  les caprices du moteur de votre voiture,  ceux de Madame et des garnements,  ainsi que  les fanfaronnades du Gouvernement et les clameurs de ses opposants.  
C’est l’évasion! Vous vous projetez dans un passĂ© très lointain,  parfois antĂ©rieur ou contemporain des  Mourabitounes. Le film de vos lectures dĂ©file: Les mines d’or des rois du Ghâna: des Kaya Maghan CissĂ© dit-on, leurs parures, leur mode de dĂ©volution du pouvoir, leurs impressionnants rĂ©giments de cavalerie de 100. 000 hommes, leur paganisme et enfin,  leur laĂŻcitĂ© qui a prĂ©cĂ©dĂ© celle de l’Occident car ils croyaient dĂ©jĂ  en  la libertĂ© du culte et rĂ©servaient au dĂ©but du 1er millĂ©naire des espaces de leurs villes aux musulmans.
Puis vous plongez dans les  pĂ©riodes historiques floues qui ont suivies les Mourabitounes,  le grand trou noir de notre histoire,  l’arrivĂ©e des Beni Hassanes,  la tumultueuse Ă©mergence des Emirats arabes,  les convoitises occidentales sur les cĂ´tes  mauritaniennes et la pĂ©nĂ©tration coloniale française,  cette fois, par la voie terrestre Ă  partir du SĂ©nĂ©gal et du Mali. 
De la solennitĂ© des lieux, dans  cette immensitĂ© dĂ©sertique chargĂ©e d’histoire et rĂ©duite aujourd’hui Ă   la misère criarde de ses hameaux environnants, surgissent d’autres prĂ©occupations. Elles  vous assaillent, vous tenaillent et  vous dĂ©montrent au moins, vos limites.
D’oĂą venaient-ils les gens qui vivaient Ă  Koumbi? Qui Ă©taient-ils? Comment vivaient-ils ? Comment ont-ils disparu ? OĂą sont-ils allĂ©s? OĂą sont-elles les mines d’or de Koumbi? 
MĂŞme des plus instruits, le mauritanien Ă©prouve toujours de  la peine Ă  comprendre son  histoire que ne lui fournissent guère  de  mĂ©diocres manuels scolaires et encore moins des chercheurs superficiels et sans courage acadĂ©mique. 
Il est vrai que la pĂ©riode antĂ©rieure Ă  la fondation des villes historiques en Mauritanie (Tichitt- Wadane- Walata- Chinguitti) n’est pas  riche en livres. D’ailleurs le papier chinois n’a circulĂ© qu’au milieu des annĂ©es 900. La culture y Ă©tait donc orale et langue Azer (un mĂ©lange de berbère et sarakollĂ©)  qui s’y parlait , a aujourd’hui totalement  disparu. Personne n’a voulu vivifier ce patrimoine,  attachĂ©s qu’ils sont,  certains d’entre  nous,  Ă  une arabitĂ©, qui ne fait pas de nous en dĂ©finitive, des surhommes.  
Les Mourabitounes  dont on est si fiers, ne nous ont lĂ©guĂ© que  deux tombes (au Tagant et en Adrar)  et un seul bouquin: « El ichara vi tedbir El Imara» , un prĂ©cis sur la conduite des affaires politiques, rĂ©digĂ© par AlHadramy Almourady,  le Cadi des Mourabitounes, mort  en 1095. Machiavel,  l’auteur du «Prince»  pourrait bien s’en ĂŞtre  inspirĂ©. Saleh Ould Hannena dans ses travaux de mĂ©moire publiĂ©s en 1998  a parlĂ© de plusieurs autres lettrĂ©s: "Ibn Oudhra",  "Cheikh Lemtad",  "Ibn Yahya  El Messouvi" et "El Jowhar ibn Seguene" qui aurait tenu tĂŞte au doctrinaire des Mourabitounes Abdellah ibn Yacine. Mais leurs Ĺ“uvres, si elles ont existĂ©, restent indisponibles.
Il aura fallu attendre des siècles après,  pour voir les Mauritaniens Ă©crire, mais  le plus souvent sur la religion (ouvrages du figh : règles du droit musulman,  exĂ©gèse du Coran, sa lecture, ses règles d’écriture, les hadiths, la prosodie, les opuscules Ă  finalitĂ© gĂ©nĂ©alogique, les ougouds).  A cela s’ajoute le patrimoine architectural  et artisanal ainsi que les lĂ©gendes entretenues par une  très alĂ©atoire tradition orale et celle des  griots qui ne peuvent, pour des raisons Ă©videntes, constituer des sources fiables.
Un rĂ©cent ouvrage intitulĂ© : «Tarikh Beni Saleh»  Ă©crit en 2009 par un mauritanien rĂ©sidant aux Emirats donne une version de l’évolution de Koumbisaleh. Elle se base sur la migration des « Benou Saleh » des descendants dit-il du quatrième Calife Ali, lesquels, se seraient  mĂ©langĂ©s aux populations autochtones  pour s’africaniser totalement  au fil des gĂ©nĂ©rations. Ainsi plusieurs familles negromauritaniennes seraient d’origine arabes et chĂ©rifiennes, affirme l’auteur. La tombe du fameux  «Sahbi» appartiendrait Ă  l’un d’eux. L’ouvrage n’a pas soulevĂ© un grand engouement.
Les rĂ©fĂ©rences Ă©crites par des chercheurs Ă©trangers  fournissent aussi peu d’éclairages sur  Koumbi  pourtant Ă©picentre d’un puissant empire noir (sarakollĂ©)  qui avait sous sa coupe les tribus Sanhaja, Peulhs et SonghaĂŻs  qui  peuplaient la rĂ©gion depuis la nuit des temps,  avant qu’elle ne sombre Ă  son tour face Ă   de nouveaux conquĂ©rants venus de Mauritanie et du Mali . Koumbi  capitale d’une brillante  civilisation a une  histoire moins connue qu’Aoudaghost  capitale des Sanhadja  localisĂ©e Ă  70 km au nord de Tamchekett (Hodh El Gharbi). «C’était une belle ville construite en pierre. Des puits fournissaient de l’eau en abondance et, aux environs, s’étendaient des cultures de cĂ©rĂ©ales, de lĂ©gumes, d’arbres fruitiers et mĂŞme des vignobles»,  Ă©crit Alfred Fierro. Elle constituait -ajoute-t-il-  la plaque tournante du commerce entre les nomades sahariens et les sĂ©dentaires de l’empire du Ghana. Au IXe siècle, elle faisait figure de grande capitale grâce Ă  l’importance du commerce transsaharien, favorisĂ© par la sĂ©curitĂ© que font rĂ©gner les principaux rois sanhaja : Ourtentak, Mohamed ibn Tivewit, Temime,  Tilagaguine et son fils Tiloutane mort en 929. Mais leurs successeurs- prĂ©cise Fierro- furent incapables d’empĂŞcher les divisions qui affaiblirent les Sanhaja. Les rois du Ghâna (Koumbi) en profitèrent pour imposer un tribut Ă  Aoudaghost. Au Xe siècle, un gouverneur est installĂ© par eux dans la ville pour y percevoir l’impĂ´t en leur nom. Mais au dĂ©but du XIe siècle, part de la cĂ´te mĂ©ridionale de la Mauritanie le mouvement des Mourabitounes qui domine l’espace de la Mauritanie, submerge Maroc et l’Espagne au nord et dĂ©truit au sud l’empire du Ghana et la citĂ© d’Aoudaghost (1054). L’épopĂ©e almoravide dure Ă  peine un siècle et les invasions reprennent cette fois venant du Sud: Soumaoro, Soundiata puis reprennent Ă  partir du Maghreb.
Depuis le moyen âge  mouvements de populations, dĂ©prĂ©dations et disettes, ont alternĂ© sur ce vaste espace et Koumbi n’a eu  meilleur sort  qu’Aoudaghost, Aberre, Tinigui, Taaga, JingĂ©. Des citĂ©s  ont emportĂ© leurs secrets  ensevelis sous terre et  ne prĂ©sentent plus que  des ruines que ne peuvent faire parler que les archĂ©ologues,  anthropologues et historiens qui nous font tant dĂ©faut. 
Ces  vestiges prouvent que  la Mauritanie pays millĂ©naire, prĂ©sente  un  patrimoine toujours  mĂ©connu. On dirait que  l’anarchie et la prĂ©caritĂ© qui ont marquĂ© dix 10 siècles de notre histoire, pèsent  toujours.
EngluĂ©s dans les turpides d’un prĂ©sent inquiĂ©tant et Ă©voluant  vers un futur des plus obscurs, nous avons de sĂ©rieux  problèmes,  avec  notre  passĂ©,  proche et lointain. Et de toutes les façons  du moment que  ne savons pas oĂą nous allons, il est comprĂ©hensible que l’on ne sache pas non plus, d’oĂą nous venons. 
Qui connait aujourd’hui, les rois  Kaya Maghan et Tiloutane ibn Tilagaguine ?
Ils vivaient pourtant sur le territoire mauritanien,  Ă  Koumbi et Aoudaghost,  et furent de très grands monarques.
Peut ĂŞtre bien meilleurs, que ceux que nous avons eu, par moments.

IOM



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Commentaires
antipervers
antipervers@hotmail.fr
2012-10-07 12:15:04

Bravo! un article de bon contenu. comme quoi, on peut faire de la place au métier de journaliste à proprement dit. le secret c’est peut être cet état salvateur qu’à ressenti le journaliste " d’oublier" les contingences du présent. nul doute qu’avec de l’effort, il peut " s’ordonner’ un temps et des plages d’écritures" où il se libère des pesanteurs du devoir de survivre. amicalement

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