La prédication almoravide était, avant tout celle d’un enseignement élémentaire des préceptes de l’islam destiné à des populations éloignées des centres de rayonnement culturel de la civilisation islamique de l’époque. Or cet éloignement a contribué à la stagnation du figh auquel manquait le bouillonnement d’idées qui a permis le développement rapide des autres sciences religieuses et, particulièrement, celui de la parole dialectique
Bien que les données historiques confirment que le fondateur spirituel de l’Etat almoravide Abdallah bnou yacine fut un disciple de Wejaj bnou Zelou alamty qui se trouve être le disciple de Abu oumran Alfassi lequel est un sortant de l’école de l’un des Maîtres de l’Acharisme ,l’illustre al-Baqillani (m.1013) et que d’autre part,le juge almoravide d’Azougui ,auteur d’un célèbre ’’miroir du prince’’ revendique ,sans ambages,son adhésion au rationalisme ascharite., rien n’indique cependant que l’Acharisme était la doctrine officielle de l’Etat almoravide. A vrai dire, le rationalisme des gens du Kalam sunnite (les Asharites) suppose l’existence d’un milieu intellectuel émancipé qui tolère la logique, la dialectique ainsi que les subtilités liées à l’exégèse et la linguistique. L’absence du rationalisme ascharite dans l’islam almoravide résulte donc, essentiellement, d’une cause structurelle tenant au fait que leur prédication était destinée à des nomades peu réceptifs aux tendances philosophiques et aux doctrines rationalisantes qui sont inaccessibles au commun des mortels. D’ailleurs, parmi les prédicateurs qui se sont investis dans l’islamisation du Sahara, les dialecticiens du sunnisme ascharite étaient plutôt peu nombreux et aucune preuve concernant l’usage qu’ils auraient fait de la science du Kalam (parole dialectique) n’a été apportée. Dans ce sens, il convient de souligner que Abu Bakr ibnou Mohamed Al Hassan Al Hadramy Al Mourady qui fut le plus célèbre de ces dialecticiens et qui exerçait la délégation ou ministère de la justice en sa qualité de juge suprême de l’Etat almoravide, n’a pas pu ou n’a pas voulu propager, au Sahara, la pensée ascharite qu’il avait, lui même introduite au Maghreb occidental. En effet, les opinions et autres thèses rationalisantes de ce Maître almoravide bien connues ailleurs, n’ont été étudiées et commentées au Sahara que par des générations d’une époque tardive. C’est, aussi, le cas de Brahim Al Amawi (m. 1118 ap.JC) qui fut parmi les grands savants qui ont occupé des hautes fonctions dans l’Etat almoravide. Ce Savant d’origine omeyyade qui fut enterré à Nbaltoun prés de l’actuel Keur mécène (Sud mauritanien) s’occupait de la délégation ou ministère de l’enseignement. Le nom arabe de cette délégation appelée Majlis Al ilm (littéralement assemblée du savoir) fut, par la suite, employé pour designer la famille, les descendants et les disciples du Maître omeyyade. C’est d’ailleurs ce nom que porte, jusqu’à nos jours, la tribu maraboutique des Medlich laquelle a, joué un rôle fondateur dans l’établissement des traditions de spécialisation religieuse et scientifique des tribus Sanhadja. Ce rôle fondateur continue, jusqu’à nos jours, de s’exprimer à travers le dicton , bien connu des milieux traditionnels lettrés , selon lequel : «Les Medlich sont l’origine des Zawiyas» Dés ses premiers débuts, le projet almoravide a clairement opté pour l’ancrage du rite malikite. Dans ce domaine, la tache des prédicateurs fut d’autant plus aisée que les gens du Sahara acceptèrent, visiblement, sans aucune difficulté l’introduction du malikisme qu’ils ont, depuis lors, définitivement adopté. Grâce à un sucées aussi rapide qu’inattendu, les Almoravides ont ainsi posé les fondements d’une unité spirituelle en propageant d’une manière ferme l’enseignement malikite. L’ancrage précoce de ce rite ,dont la capacité d’adaptation aux problématiques soulevées par les réalités locales, fut à l’origine d’une unité spirituelle laquelle a été, sans cesse, revendiquée et défendue contre les tendances ’’réformistes’’ et ’’fondamentalistes’’, par toutes les générations de jurisconsultes postérieures aux Almoravides.
La cohésion spirituelle
Il semble que la faiblesse du niveau d’instruction des populations visées par l’islamisation almoravide qui a été déterminante dans l’occultation de la pensée ascharite a, par contre, contribué à l’essor du malikisme dans le Sahara. Les prédicateurs du mouvement n’ont pas manqué de prendre prétexte de cette faiblesse pour se contenter d’un enseignement du figh malikite et, pour la même raison, mettre en garde contre la vulgarisation de la parole dialectique censée égarer le commun des croyants. Ce n’est qu’à partir du XVIéme siècle, avec le développement de la culture arabe, que le Kalam ascharite a été introduit dans les programmes didactiques des Mahdras. Cet attachement au malikisme dans sa rigueur ’’salafite’’ correspondrait à la description faite par Ibnou Khaldoun pour lequel « La bédouinité était un trait marquant de la culture des Maghrébins, des Andalous et autres gens du Sahara), qui étaient plus influencés par les usages et coutumes du Hijaz que par la civilisation irakienne, c’est pourquoi, ils ont gardé un rite malikite pur qui, contrairement aux autres rites, n’a pas été affecté par les mutations survenues ailleurs ». En fait, la spécificité du rite malikite semble avoir attiré les nomades Sanhadja qui ont trouvé dans les principes et les méthodes de ce rite des idées adaptables aussi bien à la rigueur qu’à la simplicité de leur mode de vie saharien. Dans son application almoravide, ce rite a conservé son caractère idéal par le biais d’une sobriété qui a été simplement exprimée ainsi que par une piété qui s’est traduite par le respect scrupuleux des normes contraignantes. Néanmoins, ce rigorisme allait de pair, toujours conformément à l’esprit du rite, avec une faculté d’adaptation aux réalités qui permet de faire face aux Nawazil (cas réellement survenus) lesquels sont , ainsi, résolues en référence aux Massa’il (cas d’espèces) répertoriés dans la célèbre Moudawana de L’imam Malik.. Au niveau politique et social, ce rigorisme almoravide à instauré la tradition de l’autorité islamique et s’est traduit par une conception du pouvoir dont la légalité se fonde sur le consentement ainsi que sur l’allégeance des musulmans. Le modèle de l’idéal almoravide, érigé en utopie du commencement, a, toujours, été invoqué pour légitimer les mouvements idéologiques ou intellectuels qui prônent l’unité spirituelle de l’ensemble saharien. De même, les qualités requises pour exercer la fonction d’Imam al mouslimin (émir ou président) sont, jusqu’à nos jours, définies par les Fughahas du pays en référence à celles de ’’la bonne gouvernance’’ almoravide. En outre, l’imaginaire populaire attribue à ’’nos ancêtres les almoravides’’, la division sociale fondée , essentiellement, sur les trois couches suivantes : la couche guérierre qui sera, plus tard, connue sous l’appellation Hassan, la couche savante (devenue Zawiyas) et la couche laborieuse (Zanagas). Cette répartition, assez superficielle, semble indiquer, d’un point de vue historique, que le mouvement almoravide a légué à la société sanhadjienne et même, plus tard , à la société mauritanienne, une super structure composée de modèles, de cadres référentiels et autres concepts ressources qui se sont renouvelés, à travers les ages, et sur lesquels se fondent diverses options à même fonder les mutations d’ordre intellectuel, social et économique .
Hamahou Allah Ould Salem Professeur d’Histoire à l’université de Nouakchott
NB : Cher(e)s lectrices et lecteurs, vous aviez devant vous ci-dessus, la cinquième et dernière partie de la série «Le pouvoir des homme voilés». Après ce numéro débutera, une troisième et nouvelle série intitulée : «La fin du Ribat» qui consacre le déclin des Almoravides. La rédaction
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